Fiscalité
Les juges ont tranché: le géant du numérique ne devra pas rembourser les 13 milliards d'avantages fiscaux qu'il avait eu avec l'Irlande via une fiscalité particulière entre 2003 et 2014. C'est une grosse défaite pour la vice-présidente de la Commission européenne Margrethe Vestager.

Nouvel épisode de la bagarre entre Bruxelles et les géants américains du numérique: les juges européens ont donné raison à Apple, annulant mercredi la décision de la Commission européenne qui avait sommé le géant américain de rembourser l'Irlande de 13 milliards d'euros d'avantages fiscaux jugés indus par Bruxelles. Cette décision est un énorme revers pour la vice-présidente de la

Commission européenne Margrethe Vestager, chargée de la concurrence, et une victoire pour Apple et l'Irlande.

Cet arrêt très attendu intervient la veille d'une autre décision dans un dossier tout aussi sensible, concernant cette fois Facebook et les transferts de données personnelles de l'Europe vers le reste du monde. Dans le cas d'Apple, l'affaire remonte au 30 août 2016 : la Commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, aujourd'hui vice-présidente de la Commission européenne, décide de frapper un grand coup contre la marque à la pomme. La Commission n'est pas parvenue à démontrer «l'existence d'un avantage économique sélectif» a-t-elle déclaré dans son rapport. 

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Selon l'enquête de la Commission, Apple a rapatrié en Irlande entre 2003 et 2014 l'ensemble des revenus engrangés en Europe (ainsi qu'en Afrique, au Moyen-Orient et en Inde) car l'entreprise y bénéficiait d'un traitement fiscal favorable, grâce à un accord passé avec les autorités de Dublin. Le groupe a ainsi échappé à la quasi-totalité des impôts dont il aurait dû s'acquitter sur cette période, soit environ 13 milliards d'euros, selon les calculs de la Commission. Un avantage qui constitue pour Bruxelles une «aide d'Etat» illégale, puisqu'elle se fait aux dépens d'autres entreprises soumises à des conditions moins favorables. Pour Dublin néanmoins, il n'y avait rien d'illégal. Connue pour ses positions «pro-business», l'Irlande a attiré sur l'île de nombreuses multinationales, pourvoyeuses d'emplois, grâce à une fiscalité avantageuse. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'Irlande, comme Apple, a fait appel de la décision. «La Commission a outrepassé ses pouvoirs et violé la souveraineté» irlandaise concernant l'impôt sur les sociétés, avait affirmé Dublin. Quant au patron d'Apple, Tim Cook, il avait qualifié l'affaire de «foutaise politique». Quelle que soit la décision mercredi, l'arrêt est susceptible d'appel. «Je pense que ce sera une étape intermédiaire, importante certes, mais certainement pas la fin de l'histoire», a estimé Alfonso Lamadrid, avocat spécialisé dans les affaires de concurrence du cabinet Garrigues à Bruxelles.

Tax lady

Généralement, lorsque les affaires font l'objet d'un pourvoi devant la Cour, la décision définitive intervient environ 16 mois après. Donc dans le cas d'Apple, au cours de l'année 2021. Pour la Danoise Margrethe Vestager, bête noire des Gafa et surnommée la «tax lady» par le président américain Donald Trump - précisément à cause du cas d'Apple - cette décision constituera un nouveau test de sa politique menée contre une série de multinationales ayant bénéficié d'un traitement fiscal jugé trop favorable. Dans deux affaires similaires, les juges européens avaient donné en septembre 2019 un premier aperçu de leur analyse.

Une atmosphère de taxes

Ils avaient réfuté les arguments de la Commission européenne concernant la chaîne américaine de cafés Starbucks, sommée de rembourser jusqu'à 30 millions d'euros d'arriérés d'impôts aux Pays-Bas. En revanche, dans le cas de Fiat, ils avaient donné raison à Bruxelles, qui exigeait du groupe italien le versement au Luxembourg d'une somme identique pour avantages fiscaux indus. «Dans l'affaire Apple, la question sera de savoir si la Commission est parvenue à démontrer que le groupe américain a vraiment bénéficié d'un avantage compétitif et comment quantifier cet avantage (donc le montant de la somme à rembourser)», a estimé M. Lamadrid. Cette affaire survient dans un contexte bien particulier, où plusieurs pays européens, dont la France, veulent parvenir à une meilleure imposition des géants du numérique, partout où ils réalisent des profits. Cependant, dans une UE à 27, où toutes les questions fiscales se décident à l'unanimité, il n'est guère facile de s'entendre. «Outre l'Irlande, les Pays-Bas, Chypre, Malte et le Luxembourg mènent également des politiques fiscales favorables aux multinationales», observe Tove Ryding de l'ONG internationale Eurodad. «Avoir un système fiscal plein de failles et les combler ensuite en utilisant les règles sur les aides d'État n'est pas du tout efficace», ajoute l'experte.

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