Dossier Game changers
De la Camif à WPP, en passant par TF1 Pub ou l'agence Sabooj, marques, agences et médias sont nombreux à faire bouger les lignes dans la société ou sur leurs marchés respectifs, pour certains bien avant le début de la crise sanitaire. Focus sur dix entreprises particulièrement engagées.
  • Les précurseurs

Société

La Camif en mission

L’entreprise doit être un levier de transformation pour la société : c'est la conviction d'Emery Jacquillat, président de la Camif. L’ancienne mutuelle des instituteurs a bien changé depuis qu’il l’a reprise en 2009, faisant d’elle un précurseur du Made in France - alors qu’« à l’époque, tout le monde s’en fichait » - et de l’entreprise à mission, ce qu’elle a formalisé dans ses statuts en 2017, deux ans avant la loi Pacte. Pour cette entreprise à rebours des codes de son secteur (production mondialisée, promotions « agressives »…), qui veut s’inscrire dans une économie plus locale, circulaire et inclusive, cet engagement sociétal se joue à tous les niveaux. Il passe non seulement par la mise sur le marché de meubles fabriqués en France, conçus avec des professionnels locaux, mais aussi par le refus des codes habituels, incarné par le boycott du Black Friday, ou encore, et surtout, par une action sur toute la filière. Pendant la crise du Covid-19, la Camif a par exemple mis en place un plan de solidarité à destination de ses fabricants contraints à la fermeture au début du confinement. Parmi les mesures mises en place, le fait de payer les factures dix jours à l’avance. « Nous travaillons en ce moment à la mise en place d’un fonds de relance pour accélérer sur le local et le durable », complète Emery Jacquillat. Ce fonds, qui s'appuie sur des partenaires, sera abondé à hauteur de 100 millions d’euros.

 

Environnement

Pocheco réconcilie économie et écologie

Lorsqu’Emmanuel Druon, président de l’usine de fabrication d’enveloppes Pocheco, découvre, en 2009, dans un livre de Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement, le mot d’« écolonomie », c’est le déclic. « Nous procédions déjà à cela depuis des années sans mettre un nom dessus », avance-t-il. L’écolonomie consiste à entreprendre sans détruire, faire tourner l’économie tout en préservant les ressources de la planète. Cela passe par un certain nombre d’actions concrètes, largement déployées par celui dont le documentaire Demain avait contribué, en 2015, à mettre en lumière les actions. Celles-ci portent aussi bien sur le choix des matières premières et la production que sur l’organisation ou le bâtiment en lui-même. L’usine est zéro déchet, zéro fossile, zéro fissible – elle n’utilise ni gaz, ni pétrole, ni énergie nucléaire mais est équipée de panneaux photovoltaïques produisant de l’énergie. Une toiture végétalisée permet aussi de récupérer l’eau de pluie pour tous les usages industriels. « L’inocuité totale », résume le dirigeant. Plus écologique, ce modèle est aussi plus économique, puisqu’il permettrait de mieux performer financièrement, par exemple en réduisant de plus de 35 % le coût de fabrication des encres. Cette démarche globale a fait des émules tout autour du monde : une centaine d’usines, de différents secteurs d’activité, se sont déjà converties à ces pratiques.

 

Marketing

Fenty Beauty bouscule les codes de la cosmétique

La chanteuse Rihanna a sorti fin juillet sa première marque de soin de la peau, Fenty Skin. Un nouveau tournant très attendu pour sa marque Fenty Beauty qui, à son lancement en 2017, avait déjà secoué l’univers des cosmétiques, le magazine Time allant jusqu’à la classer parmi les 25 meilleures inventions de l’année. « Fenty, c’est la révolution, Rihanna, la femme qu’on attendait, la première à lancer 50 teintes de fond de teint [40 au démarrage], un modèle de réussite pour les femmes noires, explique Audrey Roulin, directrice beauté de l’agence conseil NellyRodi. Pas de tabous, fluidité totale, décatégorisation des sexes… Rihanna est le gourou non pas de l’inclusivité mais d’une nouvelle façon de penser. » Tournée vers l’ensemble des femmes quelle que soit leur carnation, la marque, soutenue par LVMH, prône la beauté pour toutes. Cette ouverture se joue à tous les niveaux. Alors que les mannequins blanches sont omniprésentes chez d’autres marques, même si des efforts sont faits pour diversifier les profils, là, « on est dans l’ouverture totale des catégories, des âges, des spécificités physiques », remarque Audrey Roulin, avant de rappeler les dons et les engagements de la star sur d’autres sujets sociétaux. Plus largement, ces derniers mois, plusieurs entreprises du secteur de la beauté ont décidé de retirer les mentions « blanchissant » du descriptif de leurs produits, voire les ont retirés purement et simplement du marché.  

 

Social

Sabooj valorise le handicap

Ils sont graphiste, DA, chef de projet. Et salariés de l’agence de communication Sabooj, qui est aussi une entreprise adaptée, employant des personnes en situation de handicap. Un projet pionnier à son lancement en 2009. « Un jour, alors que je travaillais au Crédit Agricole, je cherchais une entreprise adaptée pour mener un projet de communication mais je n’en ai pas trouvé », se remémore Marie-Helène Delaux, dirigeante fondatrice de Sabooj, passée par les RH et la communication du groupe bancaire. Généraliste, l’agence travaille pour Worldline (Atos), SNCF, BNP, Technologies et services (Crédit Agricole) ou encore l’association A Talent Egal, pour laquelle elle a réalisé une websérie sur le handicap. Comptant sept personnes, elle travaille aussi avec un réseau d’indépendants, dans les métiers de l’illustration, du son ou de l’image. Aujourd’hui, la structure souhaite accompagner les entreprises sur les sujets sociaux et environnementaux, plus que jamais mis sur le devant de la scène avec la crise du Covid-19. « Nous souhaitons aider les entreprises à aller plus loin sur la RSE », expose la dirigeante. Une tendance de fond qui se combine avec deux autres changements en profondeur dans la société : le fait que le handicap psychique soit de plus en plus identifié, même si des progrès restent à faire, et une attention plus grande portée aux salariés dans les entreprises.

 

  • Les engagés

Management

Thermador Groupe pratique la transparence salariale

Dévoiler son salaire à ses collègues, un tabou bien français. Mais chez Thermador Groupe, spécialisé dans la distribution de matériels pour le chauffage et la plomberie, la question est dépassée. Quel que soit son poste, chacun a accès aux salaires de l’ensemble des collaborateurs du groupe et de ses filiales une fois par an, lors d’une réunion. La transparence salariale est appliquée dans l’entreprise depuis 50 ans. Il s'agit là de l’héritage d’un fondateur précurseur sur le sujet, qui comporte plusieurs avantages. « Vous instaurez dans l’entreprise un climat de confiance, confie Guillaume Robin, son PDG aujourd’hui. Cela avance plus vite, dans un climat plus serein. Les salariés sont davantage impliqués. » Transparence ne signifie pas pour autant égalité, même si les écarts doivent pouvoir être expliqués selon l’expérience et la performance de chaque collaborateur. Cette pratique innovante s’inscrit dans un cadre global. Un compte d’exploitation simplifié est présenté chaque mois aux salariés, qui suivent ainsi l’avancement des performances de l’entreprise. Fixer une rémunération peut se décider de façon collégiale en cas de besoin des managers. Cette pratique, qui renforce l’attractivité du groupe lors des recrutements, a suscité beaucoup de retombées médiatiques mais aussi parfois des réactions « dubitatives » de la part de dirigeants. Elle n’est pas non plus toujours simple à étendre aux entités intégrées par rachat.

 

Santé

Alan veut simplifier l’assurance santé

Avec l’ambition de faire évoluer l’accès aux soins, Alan, PME de 220 personnes et plus de 50 millions de chiffre d’affaires prévisionnel en 2020, propose une assurance complémentaire santé indépendante entièrement digitale. Tournée vers les entreprises - elle en compte 5 000 en portefeuille -, les indépendants et les freelances, elle déploie une application et des services associés aussi bien pour ses clients (gestion de la portabilité…) que pour leurs salariés, soit 80 000 personnes (téléconsultation, chat avec un médecin, prise en charge de la méditation avec l'appli Petit Bambou…). « Nous avons un NPS [Net Promoter Score, taux de satisfaction] à 75 quand l’industrie oscille entre -10 et 15 », assure Jean-Charles Samuelian, qui a fondé Alan en 2016, avec Charles Gorintin, ex-data scientist chez Facebook et Twitter. Pendant la crise, la PME, qui veut se positionner comme un partenaire santé, s’est illustrée par l’envoi de masques et par le partage d’un outil d’autodiagnostic ainsi que d’un portail d’informations sur la pandémie. Pour l'entreprise qui a levé 125 millions d'euros en quatre ans d’existence et qui est membre de l’indice Next 40, qui regroupe 40 entreprises françaises à fort potentiel de croissance, l’objectif pour la suite est triple : conquérir des entreprises de plus en plus importantes en taille (2 000 salariés et plus), se lancer en Espagne et en Belgique, et poursuivre l’optimisation et la personnalisation de son outil. 

 

Publicité

TF1 rend la pub solidaire

Faire rimer publicité et solidarité, c’est possible. C’est du moins la volonté de TF1 Pub au travers d’un partenariat noué avec Goodeed, site qui permet de réaliser des dons pour des projets variés (environnement, santé, éducation, urgence, droits humains...), avec une nouvelle offre orientée digital, lancée fin août. Concrètement, à chaque publicité diffusée avec le format Gooded sur MyTF1, 17% du budget média de l’annonceur est reversé à l’association partenaire de son choix parmi 170. L’internaute quant à lui est informé que son visionnage va entraîner un don par un carton d’introduction ainsi qu’une jauge et un logo de l’association visibles durant le spot. La régie prend en charge les quelques secondes du module solidaire ajouté à la publicité. Pour les associations, c’est aussi le moyen de toucher des donneurs plus jeunes tout en économisant des frais de collecte. L’initiative s’inscrit dans une politique globale du groupe TF1 en la matière, avec par exemple l’offre publicitaire EcoRespons’Ad, construite avec l’Ademe et orientée RSE. Doté de longue date d’une direction RSE, le groupe audiovisuel a regroupé ses actions sociétales sous le label TF1 Initiatives, lancé en 2017. Ces actions peuvent être en faveur d’associations ou de grandes causes, de la diversité ou de la protection de la planète.

 

  • Les volontaires

Société

WPP soutient la diversité

C’était en juin, en plein mouvement Black Lives Matter aux États-Unis (lire Stratégies n° 2040). WPP prenait des engagements pour lutter contre le racisme et l’injustice raciale ainsi que pour mettre en avant les talents des personnes noires. Dans une lettre ouverte de 1 200 professionnels du secteur publicitaire, « A call for change » (Un appel au changement), le groupe mondial de communication a formulé douze préconisations, parmi lesquelles la prise d'un engagement spécifique, mesurable et public pour améliorer la représentation des personnes noires à tous les niveaux dans les agences, en particulier aux postes les plus élevés. Le groupe dirigé par Mark Read s’engage également à se pencher sur ses méthodes de recrutement et de promotion, ou encore à publier ses chiffres de diversité raciale. WPP souhaite encourager la représentativité des personnes noires dans ses agences mais aussi plus largement dans son écosystème, par exemple en refusant de participer à des événements où les personnes de couleur ne seraient pas représentées. Autre méthode, identifier et mettre en avant des speakers potentiels. Enfin, son engagement se situe aussi au niveau financier : WPP veut consacrer 10 millions de dollars par an ces trois prochaines années à des programmes d’inclusion et apporter son soutien à des organisations antiracistes.  

 

Empowerment

Voxe change de ton

Dépoussiérer la manière d’aborder l’actualité sérieuse et donner des clés aux jeunes femmes actives pour oser intervenir dans les débats : c’est l’ambition de Voxe.org avec La Quotidienne, newsletter au ton décalé, envoyée chaque matin depuis janvier à ses abonnés (plus de 8 000 aujourd’hui, dont environ 80% de femmes), avec pour objectif de les aider à lutter contre « un sentiment de manque de légitimité » dans les discussions,  décrit Léonore de Roquefeuil, dirigeante cofondatrice. Ce nouveau média, dans la lignée de Brief.me, TTSO, My Little Paris ou Les Glorieuses - dont les positionnements diffèrent -, est issu de huit ans de cheminement et de pivots. Voxe a été successivement un comparateur de programmes électoraux, un fournisseur de vidéos pédagogiques sur la politique et un chatbot Messenger autour de l’élection présidentielle française de 2017, avant de devenir ce qu’il est aujourd’hui. La newsletter porte sur cinq thèmes : la vie professionnelle, la transition écologique, la participation citoyenne, les finances personnelles et la culture. Son modèle économique est basé sur la publicité, même si Voxe se finance aussi en organisant des programmes de coaching. « Notre audience est très engagée : une personne sur deux nous lit chaque jour et le taux de clic pour la newsletter se situe entre 10 % et 15 % », précise Léonore de Roquefeuil. La formation d’une communauté, ou « gang », est en cours et le lancement de formations en ligne est prévu pour septembre.

 

Ville durable

Wever prône la mobilité participative

La crise du Covid-19 a remis en avant la nécessité de revoir nos modes de déplacement. La start-up Wever développe une plateforme dédiée aux entreprises, villes, collectivités, qui permet de faire remonter des données sur les déplacements des personnes afin de mettre en place de nouvelles offres de mobilité. À la différence des cabinets de conseil, elle automatise le diagnostic, la gestion des datas et les préconisations d’actions en croisant ses données avec d’autres sources (Insee…). « Les transports sont construits comme un service où, à la fin, on se demande comment faire rentrer l’utilisateur dedans. Nos solutions sont construites à partir des besoins des gens », revendique Thomas Côte, dirigeant cofondateur. Concrètement, via des questionnaires, l’utilisateur est invité à témoigner de ses habitudes en matière de déplacement puis à tester de nouvelles offres. Née il y a cinq ans, soutenue par Transdev, entré à son capital à hauteur de 10 %, l’entreprise, basée à Sophia-Antipolis, passe désormais à une phase d’industrialisation en France et a aussi réalisé deux POC [proof of concept, test grandeur réelle] à l’international. Elle mène aussi des expérimentations avec Pôle Emploi pour mettre en place des stratégies d’accompagnement du retour à l’emploi en adaptant les transports et vient d’être référencée par l’Ugap, centrale d’achat public. Sur le seul mois de juin, la start-up a réalisé le même niveau de chiffre d’affaire que sur l'ensemble de l'année 2019.

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