Dossier Digital
Redif. Le chamboulement des modes de consommation, sous l’effet de la crise sanitaire, impose aux marques de réinventer leur expérience client. Cette révolution est à la fois commerciale, technologique et philosophique.

En matière de consommation, plus rien ne sera jamais comme avant. Même une fois que le vaccin sera largement distribué et que le coronavirus devrait progressivement disparaitre, le pli du digital est pris. « Les comportements ont changé, et durablement », affirme Mathieu Morgensztern. Le dirigeant du groupe de communication WPP, qui gère en France pas moins du quart des investissements publicitaires du secteur alimentaire, selon ses calculs, appuie sa conviction sur des études réalisées par ses différentes filiales. Toutes montrent l’adoption, à la faveur de la crise, de comportements auxquels les Français n’ont aucunement l’intention de renoncer. Selon lui, le fait que les consommateurs aient découvert, dans un secteur aussi structurant que le food, que les achats pouvaient aussi se faire en ligne, constitue bien « une révolution ». Des secteurs comme l’automobile ou le luxe qui, jusqu’à présent, avaient échappé, au moins dans leur partie transactionnelle, au digital, y ont aussi goûté. « Sur le registre du e-commerce, on a gagné quelques années en trois mois », estime Mathieu Morgensztern.

 

Démontrer son rôle éthique et social

À la digitalisation de l’acte d’achat s’ajoute un autre enjeu, décuplé avec la crise : le rôle éthique et social des marques. « L’entreprise doit aujourd’hui démontrer, et plus seulement affirmer, qu’elle contribue à un enjeu sociétal, elle doit passer de la promesse produit à la démonstration de sa raison d’être », analyse Perle Bagot, directrice associée du Hub Institute, dont la prochaine édition du Hubforum, les 13 et 14 octobre à Paris, portera sur l'hybridation de l'expérience.

« La crise favorise la montée en puissance de comportements plus responsables, plus engagés, avec des attentes très fortes en matière de sécurité sanitaire, de solidarité locale, de transparence, de traçabilité, de réduction de l’impact écologique, des notions déjà présentes avant la crise mais qui ressortent aujourd’hui comme plus prégnantes et qui vont perdurer », constate Stéphanie Lafontaine, directrice exécutive chez Accenture Interactive. « La digitalisation de l’acte d’achat, combinée au rôle éthique et social, implique pour les marques une nouvelle façon de s’exprimer, d’atteindre le consommateur et de vendre, et donc cela influence profondément le marketing », résume Mathieu Morgensztern.

« Il y a le “pourquoi” il faut se réinventer, et aussi le “comment”, et cela va passer par la maîtrise de la data, de la technologie et, demain, de l’intelligence artificielle », avance Emmanuel Vivier. Le cofondateur du Hub Institute prévient toutefois que cela suppose au préalable « une remise à plat du socle technique » en matière de gestion des données. Il y a, en cette matière et pour bon nombre d’entreprises, « deux à quatre ans de mise à niveau », selon lui. « Ce n’est pas très fun, c’est ingrat et ça coûte beaucoup d’argent mais si on ne le fait pas aujourd’hui, on sera incapable d’accélérer demain sur la personnalisation et l’omnicanalité », jure-t-il. Travail indispensable, et pourtant pas encore suffisant, selon Pascal Malotti, directeur de la stratégie et du développement de l’agence digitale Valtech. « Il y a aujourd’hui beaucoup de datas et de données qui permettent de faire des ciblages ultra-précis. Le problème, c’est que ça n’aide pas à comprendre pourquoi il y a des points d’inflexion dans les comportements des consommateurs, pourquoi des marques, aujourd’hui, décrochent », indique-t-il citant la marque de lingerie Victoria’s Secret, « révérée » naguère par les consommatrices et dont le modèle de femme qu’elle renvoie ne correspond plus à leurs attentes.

Vendeur-coach
En matière d’expérience client, « le point de vente doit devenir une vitrine, non pas seulement des produits mais aussi du rôle sociétal des marques », estime Mathieu Morgensztern. Même si un rééquilibrage s’opère en faveur du e-commerce, le magasin conserve, dans de nombreux secteurs dont le luxe, sa raison d’être. Au sein de l'agence digitale 1969, Benoît Bergeaud, son président, et Lucas Duquenne, planneur stratégique, plaident pour cette « réinvention », citant un exemple qu’ils ont observé pendant la crise, celui de RougeGorge. Cette enseigne de lingerie a innové avec, selon eux, « une expérience qui commence sur le digital et qui se poursuit dans le physique ». RougeGorge a ainsi imaginé de réserver l’ouverture de ses boutiques aux clientes qui prenaient rendez-vous en ligne. « Le vendeur change de statut, il devient un coach », appuie Perle Bagot au Hub Institute.
L’expérience doit aussi se réinventer en ligne, avec notamment un besoin accru de « simplicité », estime Pascal Malotti chez Valtech. Pour lui, beaucoup de sites ne sont pas à niveau. Stéphanie Lafontaine plaide de son côté pour « une expérience sans couture ». « Il n’est pas encore très courant qu’une cliente puisse utiliser ses points de fidélité sur le drive, il faut que cela devienne beaucoup plus fluide pour que le client ne se rende plus compte de la différence », estime-t-elle.

L’enjeu est aussi créatif, remarque Christophe Huck, fondateur de l’agence Helmut, spécialisée dans le luxe et la beauté. « Sur le digital, le sujet, c’est comment on arrive à trouver une appétence, un attrait pour le produit, comment on parvient à être aussi sexy que la découverte d’un produit de luxe dans une boutique », estime-t-il. « Pour un sac à main ou un rouge à lèvres, rien ne remplace l’expérience physique, mais à nous de donner l’envie, au travers notamment du visuel, pour que l’appétence amène à la conversion » sur le web, indique-t-il.

Établir un lien
En période de crise, l’important est également d’établir un lien avec ses clients. L’agence Disko travaille pour Koosh, qui propose aux parents un abonnement à des produits de toilette pour bébé. « On a développé avec eux un format de questions/réponses avec leur communauté sur le social, cela permet de créer de la confiance », relève Laure Frémicourt, directrice du planning stratégique de l'agence digitale. Établir un lien passe aussi par de nouveaux points de contact avec les clients, comme le note Jean-Charles Correa, président de Deafi. Son entreprise, issue de l’économie sociale et solidaire, gère un centre d’appels spécialisé dans la relation avec la clientèle des sourds et des malentendants, pour Free, Engie ou La Poste. Elle lance aujourd’hui une offre de « messaging ». « Il s’agit d’utiliser des outils comme Whatsapp, Messenger ou Viber pour faire de la relation client », indique-t-il, mettant en avant « l’intimité » créée entre l’appelant et la marque. « On met les marques que l’on autorise à communiquer avec nous au même niveau que ses amis », estime-t-il.
Reste maintenant aux entreprises à passer à l’action. Or en cette période ô combien confuse, certains, comme Philippe Lucas, redoutent « un rendez-vous raté avec la transformation digitale ». « Il y a une prise de conscience de nos clients, mais il manque encore le fait de se mettre autour d’une table, en présentiel, et de voir quel budget ils auront pour l’année prochaine », note le PDG de l’agence Wellcom, un peu inquiet de ne voir arriver encore aucun « brief structurant » en cette rentrée si particulière.

L’IA, « nouveau compagnon du marketeur »

Chez Microsoft, Sébastien Imbert, chief marketing officer, témoigne des bouleversements auxquels son métier est aujourd’hui confronté. Ce responsable marketing souligne notamment l’irruption d’un « nouveau compagnon du quotidien pour le marketeur », l’intelligence artificielle, que Microsoft développe via sa solution Azure. « L’IA nous permet de gérer la complexité de l’engagement », remarque-t-il, parlant d’un outil devenu indispensable dans un contexte « d’omnicanalité permanente ». L’IA permet notamment de « savoir quels dispositifs de communication permettent d’engager » et de « nourrir les territoires des commerciaux ». Dans sa dernière campagne, sa compagnie a mis en scène l’un de ses clients, L’Oréal, avec qui il est parvenu à gérer la production de gel hydroalcoolique sur différents sites via la plateforme collaborative Microsoft Teams.

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