CLM BBDO : un volcan créatif s'éteint (2/2)

1996-2003 : Les années Christophe Lambert 

- La méthode Lambert 

Marie-Pierre Benitah : «Après Philippe et l’école de l’idée, avec Christophe Lambert [décédé en 2016], c’était l’école de la conviction. Christophe travaillait étroitement avec Marie-Christine Dax, directrice des stratégies, la seule personne qu’il craignait... J'ai vu peu de gens se battre comme lui : il nous a appris l’art du combat.» 

Capucine Chotard : «Christophe n’était pas originellement de la famille CLM, mais comme il aimait la tauromachie, il avait de l’instinct, c’était un taureau ! Comme Philippe, il faisait partie des gens qui donnaient le “la”, qui savaient où aller». 

Bertille Toledano, présidente de BETC France : «Je peux vous raconter les "plansboards" dans le bureau de Christophe Lambert en 2000 sur la compétition EDF. Il y avait au même moment Valérie Accary, Anne de Maupeou, Fred et Farid, Marie-Christine Dax, Christophe Lambert et moi-même autour de la table. A l’époque, il y avait un nuage de fumée au-dessus de nos têtes, on fumait encore dans les bureaux et on n’était pas d’accord souvent aussi, mais c’était intense. Ce sont les créatifs Vincent Behaegel et Bernard Naville qui ont trouvé la campagne. On a gagné cette compétition dans une ambiance électrique. A l’époque il y avait une très forte émulation et des grosses personnalités pas faciles. C’était très exaltant.»  

Valérie Accary, présidente de BBDO Paris : «Un de mes meilleurs souvenirs avec Christophe, c’est lorsqu’on a bataillé pour gagner Pepsi. Nous étions en compète contre BBDO New York... Nous sommes partis en limousine pour la réunion avec les grands patrons de Pepsico, durant laquelle nous avons gagné avec un énorme insight, «Ask for more». Repartir dans cette limousine, rouler vers Manhattan... Avec Christophe, on se disait qu’on était les rois du monde !». 
 

- CLM ou BBDO ? 

Nicolas Bordas : «Avec l’époque du nouvel immeuble sur l’Île Saint-Germain a coïncidé l’ère où l’agence était devenu un groupe avec le succès de Proximité/Proximity et le rapprochement avec d’autres filiales de ce que nous avons appelé « La Compagnie BBDO ».» 

Pascal Grégoire : «En 2003, alors que je dirigeais Leagas Delaney, j’ai reçu un coup de fil : on me proposait la présidence de CLM BBDO... Quand je suis arrivé à l’agence, j’ai vu une plaque... BBDO ! Mon premier réflexe a été de me dire : “Mais on n’est pas chez BBDO, on est chez CLM !» 

Anne de Maupeou : «L'autre école CLM, c’est l’école BBDO. L’exigence créative : « The Work, the Work, the Work». Seul le résultat compte, peu importe contre qui ou contre quoi on doit se battre. Un peu avant mon départ, j’avais envoyé un mail vraiment salé a tous les clients Pepsi Monde, (notre plus gros budget et premier client de BBDO) en leur disant qu’ils nous faisaient faire de la merde, alors qu’ils savaient pourtant ce qu’était la bonne création. Et pour aggraver mon cas, j’avais copié Allen Rosenshine, patron du groupe BBDO à l’époque. Juste après avoir appuyé sur « send » je me suis dit que c’était sans doute mon dernier mail. Quelques heures plus tard, la réponse d’Allen, avec tous les mêmes clients en copie, est arrivée. Ca disait juste: "She’s right."» 

Gilles Fichteberg, cofondateur de Rosapark : «Le plus important, c’était de proposer aux gens les campagnes les plus inspirantes possible. C’est d’ailleurs sur ce point précis que l’esprit de CLM et la culture de BBDO se rejoignaient. «The Work, the Work, The Work» (les campagnes, les campagnes, les campagnes ) était le leitmotiv du réseau et la philosophie de la création de CLM avec le fameux « C’est quoi l’idée » ?» 

2003 – 2020 Les années collégiales 

Marie-Pierre Benitah : «Après Philippe, après Christophe, il y a eu toute une époque, avec des personnalités fortes (Jean-François Sacco et Gilles Fichteberg, David Leclabart, Séverine Autret, Brice Garçon...) où on n’a pas forcément élu de leader.» 

Pascal Grégoire : «J’ai passé deux ans à la tête de l’agence, suis retourné là-bas sur une forme de nostalgie... C’était très fort comme sentiment d’être président de CLM. Un accomplissement.» 

Barka Zérouali, directrice associée de La Chose : «Je n'ai pas connu Philippe Michel, mais son héritage était partout sur le «Bateau». Bosser chez CLM BBDO était le Graal : les meilleurs étaient chez sur le «Bateau». Il y avait une atmosphère surhumaine, une force créative qui nous poussait à nous dépasser. Nous étions tous unis, quel que soit le poste. Nous étions tous sur le même bateau». 

Matthieu Elkaïm, chief creative officier d’Ogilvy Paris : «CLM, c’est une aventure que j’avais souhaitée collective en m’entourant de Benjamin Marchal et Olivier Lefebvre [aujourd’hui DC chez F&F Paris]. Nous avons vécu deux années fantastiques tous les trois, on nous a laissé énormément de liberté. Valérie Accary, Bertille Toledano, Marie-Pierre Benitah… Il était agréable de constater que CLM était une agence dirigée par des femmes.»  

Valérie Accary : «Chez CLM, dans les périodes fastes ou les périodes plus difficiles, je n’ai jamais transigé sur le fait que la création devait être dominante, avec des créatifs de leur temps.» 

Benjamin Marchal, executive creative director de TBWA Paris : J’ai tout aimé dans cette agence, l'ambiance avec le poids du passé, l'excitation du futur, l'audace du présent et le fait de ne jamais être rassasié de création.» 

Lauren Weber, directrice de la communication de Rosapark : «C’est impressionnant de voir qu’une grande majorité des patrons actuels des grandes agences françaises ont fait leurs armes chez CLM (Bertille Toledano chez BETC, Gilles Fichteberg et Jean-François Sacco chez Rosapark, Benjamin Marchal chez TBWA, Severine Autret et Olivier Lefebvre chez F&F, Marie-Pierre Benitah chez Marystone, Matthieu Elkaïm chez Ogilvy, David Leclabart chez Australie, Cecile Lejeune chez VMLY&R...). Ce n’est pas un hasard.» 

2020 – L'héritage CLM, et après ? 

Pierre Berville : «La fin de CLM, pour la com, c’est comme Notre-Dame qui part en fumée. Mais finalement, CLM BBDO, c’était mieux que Notre-Dame. C’était la statue de la Liberté, dont il ne faut pas oublier qu’elle était un cadeau de la France aux USA. Et aujourd’hui, ce sont les Américains qui ont décidé de la déboulonner.» 

Fanny Vielajus : Entre anciens, on continue à se voir, on continue à partager, nous sommes complètement nostalgiques de cette période magique... CLM, peut-être qu’on va la recréer, je ne sais pas quand, je ne sais pas comment...» 

Marie-Pierre Benitah : «CLM, on l’appelait “l’agence du retour”  : nous sommes énormément à être partis puis revenus chez CLM... Aujourd’hui, nous sommes beaucoup à nous dire : qu’est-ce qu’on va faire de cette marque ? On va essayer de la garder !» 

Pascal Grégoire : « Nous sommes plusieurs à souhaiter créer un projet pour relancer la boîte... Nous désirons qu’Omnicom s’engage à céder la marque CLM, plutôt que de la vendre à n’importe qui. Fermer sans donner sa chance à l’existence d’un projet autour de CLM serait peu respectueux de l’identité publicitaire française. CLM est un monument !» 

(Re)lire la première partie : CLM BBDO : un volcan créatif s'éteint (1/2)