Musique
Cinq ans après avoir installé sa filiale africaine en Côte d'Ivoire, le groupe Universal Music poursuit son déploiement en Afrique francophone en étendant son label légendaire, Def Jam. Cette stratégie, plus globale, vise à développer sur le continent les marchés de la musique enregistrée et du streaming musical.

Malgré la crise liée à la pandémie de Covid-19, Universal Music Group (1) garde le cap. Sur les neuf premiers mois de 2020, son chiffre d’affaires s’élève à 5 314 millions d’euros. Une progression de 4,4 % à taux de change et périmètre constants par rapport aux neuf premiers mois de 2019, a annoncé le groupe Vivendi ce mois-ci. Universal Music Africa (UMA) est toujours, elle, dans sa phase de construction. La filiale africaine implantée à Abidjan en Côte d’Ivoire s’est restructurée en début d’année, en nommant les deux artistes Franck-Alcide Kacou (ancien rappeur sous le nom de Black Kent) au poste de directeur général et Guillaume Ngoumou (rappeur sous le nom de Pit Baccardi) au poste de directeur du label et du publishing. 

Sur le continent, le groupe a réparti ses activités dans trois zones. La branche anglophone est gérée depuis les bureaux de l’Afrique du Sud et au Nigéria, les branches francophone et lusophone sont gérées depuis le siège à Abidjan et récemment un bureau au Cameroun. Et les marchés de l’Afrique du Nord sont rattachés à la zone MENA (Middle East and North Africa) avec un siège à Dubaï et récemment un bureau au Maroc et en Israël. Et pour renforcer son développement en Afrique francophone, UMA lance une extension en mai dernier du label légendaire Def Jam dans trois territoires clés : le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. « Il était important pour nous de compartimenter les styles musicaux, à la fois pour rassurer les artistes et pour donner une meilleure visibilité à leurs projets. Et quoi de mieux que Def Jam pour lancer une particularité strictement hip-hop ? », lance Guillaume Ngoumou. Spécialisée dans l’édition et la production de musique, UMA cible également le Togo, le Bénin ou encore le Burkina. Deux contrats de label exclusif ont déjà été signés avec les artistes Suspect 95 (Côte d’Ivoire) et Tenor (Cameroun) et un contrat de licence avec le rappeur Omzo Dollar (Sénégal).

Live et brand

La filiale africaine ne communique pas sur son chiffre d’affaires, mais indique que le live et les partenariats avec les marques représentent aujourd’hui 60% du chiffre d’affaires global. Les deux leviers correspondant aux principaux revenus de l’industrie de la musique africaine. UMA est d’ailleurs en contact régulier avec le Burida (Bureau ivoirien du droit d’auteur) pour que les droits d’auteurs viennent assurer une rémunération aux artistes et aux labels. « Nous avons construit notre modèle en fonction des réalités du marché. Le marché du digital n’est pas encore mûr, mais des signaux forts nous poussent à être acteur de cette évolution », indique franchement Franck Alcide Kacou. 

Pour faire face à la crise sanitaire, le département créatif d’UMA, qui mêle marketing et direction artistique, a réinventé l’expérience du live en créant le concept « Digital Live Play ». « L’objectif était de faire le plein dans une salle vide en organisant des concerts en live une fois par semaine. Ce programme était diffusé en exclusivité aux abonnés de la box télé d’Orange en Côte d’Ivoire », explique Guillaume Ngoumou. Une stratégie de diversification intéressante pour celui qui collabore régulièrement avec l’opérateur. « On part du principe que la musique est un vecteur d’émotions sans équivalent. De par la démographie actuelle, on est sur des annonceurs qui vont chercher le “mass market”. On ne va pas seulement collaborer ou signer des partenariats avec des marques qui ont une politique musicale, on est dans une construction globale. Récemment, nous avons signé avec l’humoriste Ramatoulaye », précise Franck Alcide Kacou. 

Vers un décollage du streaming musical ?

Pour tenter de concurrencer les grandes plateformes internationales comme Deezer, Spotify et récemment Apple Music, des acteurs locaux tentent de monétiser la musique enregistrée. UMG autorise par exemple les services Waw Musik et Deedo à exploiter leur catalogue sur les territoires africains. Pour afficher la playlist d’un artiste en tête de classement, le label lance une petite opération marketing avec l’artiste et envoie des notifications push aux utilisateurs. « Nous menons un travail de proximité avec les artistes et nous essayons de les impliquer justement pour que le public s’inscrive sur ces plateformes et qu’on puisse identifier une base de données », indique Guillaume Ngoumou. 

Pour s’inscrire dans l’écosystème, UMG crée même ses propres playlists sur la plateforme Digster. Le produit est notamment disponible en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Sénégal et « répond à certaines contraintes locales, dont celle du mode de paiement. Les formules d’abonnement sont diverses : journalière, hebdomadaire ou mensuelle », indique Franck Alcide  Kacou. En effet, pour compenser la faible bancarisation selon les territoires, nombreux sont ceux qui adoptent le modèle du paiement sur mobile. En 2018, le taux de bancarisation strict (mesurant le pourcentage de la population adulte détenant un compte dans les banques, les services postaux, les caisses nationales d’épargne et le Trésor) était seulement de 19,3% (2).

Pour autant, le streaming musical n’est pas encore au cœur des usages sur le continent. Mais n’est-ce qu’une question de temps ? Pour Franck Alcide Kacou, l’extension des services d’Apple Music sur le continent est un signal fort. « ll y a d’abord un pari sur la démographie, puis un pari sur le positionnement vis-à-vis des contraintes locales. Il y a également les talents. Et avec l’essai de six mois gratuits [au lieu de trois mois habituellement], on est sur un produit d’appel qui leur permet encore d’étudier les premières “best practices” de la population» Les opérateurs de téléphonie pourraient également « jouer un rôle prépondérant dans la consommation du streaming, soulève Fabrice Brovelli, vice-président de BETC et Président de General Pop. Ils seront l’intermédiaire unique entre le consommateur et la plateforme de musique car elle va en faciliter l’usage. Selon le rapport du groupe Ericsson de 2018, le taux de pénétration des smartphones en Afrique et au Moyen-Orient sera de 70% en 2024» Universal Music avait déjà joué sur ce terrain en signant un partenariat avec Bouygues Telecom au début des années 2000. Le produit proposait des services et contenus musicaux issus des catalogues d’Universal Mobile.

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