Influence & création
Que ce soit parmi les talents ou dans l'écosystème qui gravite autour, le secteur de l’influence marketing se professionnalise. Mais il doit encore améliorer sa transparence et ses outils de mesure pour arriver complètement à maturité.

En 2015, Webedia rachetait Mixicom et signait l’avènement des youtubeurs stars, Cyprien, Norman, Squeezie en tête. Cinq ans plus tard, Squeezie a quitté Webedia pour poursuivre sa carrière en solo ; on ne dit plus youtubeurs mais producteurs de contenus et de nouvelles plateformes sont apparues comme TikTok. En 2020, le marché du marketing d’influence représente 150 000 influenceurs en France, dont une majorité de non-professionnels : 86% gagnent moins de 5 000 euros par an, selon l’étude annuelle de la société Reech. Le nombre moyen d’abonnés est de 50 000, pour 400 créateurs à plus d’un million de fans. « 25 % des influenceurs sont accompagnés d’un agent, ils étaient 13 % en 2019. Avant, on n’en avait pas à moins de 500 000 abonnés ; aujourd’hui, ça commence à 50 000 », détaille Guillaume Doki-Thonon, président et fondateur de Reech.

Écosystème

Autour de cette activité en pleine ébullition gravite tout un écosystème : agents de talents (Ykone, Follow par exemple), technologies basées sur la donnée (Kolsquare, Traackr), sociétés d’études (HypeAuditor, Socialbakers), plateformes de mise en relation (Hivency, Octoly), agences de relations presse dotées d’un département influence (quasiment toutes), pure players mêlant technologie et conseil (Reech, Influence4you), studios de production adossés à des médias (Studio71 chez TF1, Golden Moustache chez M6)… Sans oublier les services qui se développent en interne chez les annonceurs. Selon l’Influencer Marketing Hub, les investissements des marques s’élèvent à 10 milliards de dollars dans le monde, ils pourraient atteindre 18 milliards en 2022, dont 400 millions en France.

« Il y a deux ans, les annonceurs se demandaient encore si le marketing d’influence était efficace. Aujourd’hui, tout le monde veut en faire. Il n’existe pas encore de poste de chief influencer officer mais on en parle en comité de direction », assure Quentin Bordage, président fondateur de Kolsquare. « Avec l’explosion des réseaux sociaux, les marques doivent communiquer tous les jours. Elles deviennent des médias, les directeurs marketing, des directeurs des programmes », souligne Thomas Clément, vice-président de l’agence La Nouvelle, lui-même influenceur gastronomie sous le nom de Ministry of French Food (plus de 20 000 abonnés sur Instagram). D’où l’arrivée d’acteurs spécialisés pour proposer la meilleure collaboration, créative et à moindre coût. Ces dispositifs ne sont plus réservés au jeu vidéo ou à la beauté : on trouve des influenceurs experts sur Linkedin, guitaristes pour Fender, chauffeurs poids lourds pour Michelin ou bûcherons pour l’outillage Stihl.

Marché fragmenté

Selon Influence4you, le marché s’est fragmenté entre les célébrités à plus d’un million d’abonnés, les top influenceurs (100 000 à 1 million), les middle (10 000 à 100 000), les micro (1 000 à 10 000) et les nano (moins de 1 000). Cette segmentation permet de mieux cibler les audiences, car plus la communauté grandit, plus le taux d’engagement mesuré en likes et en commentaires diminue : de l’ordre de 3% pour 1 000 vues pour une top influenceuse, 10% pour une middle. « Nous avons démarré autour des macro influenceurs à plus de 3 millions d’abonnés mais nous activons aussi des instagrameurs à partir de 40 000 abonnés, crédibles sur des sujets précis comme la tech ou la santé, explique Michèle Benzeno, directrice générale en charge du développement de Webedia. Les uns sont comparables à un média de masse qui assure une couverture instantanée, les autres représentent l’expertise. » Le premier label français d’influence est aussi présent dans la nano influence avec Sampleo, une base d’un million de consommateurs chargés de poster des avis sur les réseaux sociaux pour augmenter le référencement naturel. Face aux transformations du marché, le groupe a décidé de rassembler toutes ses activités influence sous la bannière Webedia Creators.

Recherche d'authenticité

L’agence de RP Vianova consacre « 30 000 à 40 000 euros » par an, pour 4 millions d’euros de chiffre d’affaires, dans des outils de pilotage de l’influence comme Hivency, témoigne Céline Chanvin, directrice associée : « Nous préférons les dispositifs de co-création plutôt que du placement de produit. Par exemple, cet été, pour San Pellegrino Momenti, nous avons proposé à des influenceuses de créer des illustrations. C’est beaucoup plus valorisant pour tout le monde. » « On cherche de l’authenticité, des moments de vie, comme un déménagement ou la naissance d’un enfant, renchérit Brice Djirackor, directeur adjoint du pôle outreach et influence d’iProspect. Il faut créer de vrais partenariats de confiance, pas seulement une vision court-termiste. »

Avec la professionnalisation, le juridique entre dans la danse pour contractualiser l’accès aux données, le droit d’image, le droit d’archivage… « On ne peut pas donner de budgets types pour une campagne, cela dépend du nombre d’abonnés, de l’engagement, de la durée, de la plateforme », expliquent Ruben Cohen et Samuel Skalawski, cofondateurs de l’agence Follow, qui accompagne des talents comme Paola Locatelli ou Gabrielle Caunesil. Les dispositifs transversaux sont de plus en plus courants. Par exemple, Samsung a réalisé une campagne d’affichage avec deux « poulains » de Follow, Sundy Jules et Mayadorable. Seb, une des stars de Studio71, a eu droit à son propre prime time en décembre dernier, Seb en Papouasie sur TFX. « On a adapté son univers aux codes de la télé, explique Nicolas Capuron, directeur général de Studio 71 (groupe TF1). Les youtubeurs étaient méfiants vis-à-vis des médias historiques au démarrage, mais ce n’est plus le cas. »

De l'eldorado au far west

Même s’il arrive à maturité, le marché connaît encore des crises de croissance. L’ARPP, l’autorité de régulation de la publicité, a analysé 500 campagnes d’influence réalisées au second semestre 2018. « 55 % étaient correctement identifiées en tant que partenariat rémunéré, relate Mohamed Mansouri, directeur délégué. 33% n’étaient pas assez explicites. La simple mention #ad pour publicité n’est pas suffisante. » L’autorité a relevé d’autres manquements : le dropshipping, la revente de produits propice à la contrefaçon, la promotion de dispositifs médicaux potentiellement dangereux...

Sophie Noël, PDG de l’agence Heaven, le reconnaît : « L’influence a été l’eldorado pour les marques, aujourd’hui, c’est plutôt le far west. Les annonceurs sont perdus face aux nombreux acteurs, aux critères de mesure, à la rémunération des influenceurs. » L’agence met en place une nouvelle offre, Pilot, pour coordonner les différents partenaires influence des marques. « Les mesures de reach, d’engagement, d’earned media value (EMV, équivalent achat d’espace) ne sont pas suffisants, affirme Stéphane Bouillet, PDG d’Influence4you. L’annonceur veut connaître le coût d’acquisition s’il est distributeur, l’impact sur la notoriété ou l’intention d’achat s’il est fabricant. » « Rien que pour l’EMV, il existe cinq méthodes de calcul différentes. Il faut mettre au point un référentiel de la mesure », insiste Pascale Azria, présidente du Syndicat du conseil en relations publics. Celui-ci a établi une charte de déontologie pour clarifier les relations avec les influenceurs. De son côté, Kolsquare est à l’initiative d’une « task force » influence au sein de l’IAB France (Interactive Advertising Bureau) pour créer une norme commune de mesure. Une avancée très attendue.

Un influenceur raconte son métier

« Il y a souvent une curiosité malsaine autour des influenceurs, comme si on était des profiteurs, soupire Bruno Maltor, blogueur voyage depuis 2012. Mais pour bien faire ce métier, il faut maîtriser la photo, la vidéo, le référencement, le community management… Je passe deux à trois heures par jour à répondre aux messages privés et ma communauté est très engagée, avec environ 20 000 likes pour 300 000 abonnés. Je suis indépendant pour avoir le choix de mes collaborations. Par exemple, je suis végétarien depuis cinq ans et j’ai refusé une collaboration avec une marque de fast food sans même connaître le budget. »

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