Sport
Les enseignes sportives « Made in France » tentent de s'affirmer avec de nouveaux atouts : du « body positivisme » à la production responsable, elles soignent leurs engagements et leur identité digitale pour concurrencer les grands acteurs du marché.

Connaissez-vous Ranna Sport, jeune marque française aux 10 000 abonnés tous réseaux confondus qui a fait de l'ombre à Adidas avec ses chaussettes ? En 2018, alors que le mastodonte de l’équipement sportif fournissait le RC Strasbourg, les joueurs du club coupaient les chaussettes aux trois bandes pour mettre les R-One Grip de Ranna à la place. « Adidas est gentiment venu vers nous pour nous demander d’arrêter mais ça n’a pas empêché certains joueurs de répéter l’opération », s’amuse le co-fondateur Alexandre Adler.

Comme Ranna, une quinzaine de marques ont exploré un terrain de plus en plus compétitif : l'équipement sportif Made in France. Dans une arène cannibalisée par Adidas et Nike, elles tirent leur épingle du jeu en surfant sur un chauvinisme économique qui attire les foules. Selon un sondage OpinionWay réalisé pour l’agence de communication Insign, 81 % des consommateurs seraient d’ailleurs prêts à acheter moins pour s'offrir des produits fabriqués en France. « Il y a quelques années le Made in France attirait par sa qualité, aujourd’hui c’est le patriotisme qui motive les Français », analyse Eric Bonnet, directeur associé de l’agence Insign.

Du body positivisme à l’éco-responsabilité en passant par la mixité culturelle… Ces nouvelles griffes françaises multiplient les engagements pour tenter, un jour, de clouer le bec au centenaire Coq Sportif. « Les marques de sport ont tout intérêt à miser sur la transparence en matière de Made in France. Elles induisent le goût de l’effort, de la compétitivité, de la vérité, les ambiguïtés n’ont plus leur place en 2020 et les marques émergentes l’ont compris », ajoute Eric Bonnet.

«Abdos et mojitos »

Ranna Sport n’a pas attendu pour enchaîner les coups francs dans sa stratégie de communication. En septembre dernier, elle a lancé l’opération french&fast sur Instagram mettant à l’honneur chaque semaine, les témoignages de douze joueurs professionnels dont Olivier Giroud ou Moussa Sissoko. « On ne rémunère pas les athlètes avec de l’argent mais via l’envoi de produits. Donc quand Olivier Giroud décide de témoigner, il le fait de son plein gré, il n’y a pas de gros chèques sponsoring derrière », assure Alexandre Adler, de Ranna Sport. Cette sincérité qui transpire aussi à la conception française de leurs produits, n’est pas le seul argument marketing. Ranna a opté pour un ADN atypique loin de l’univers terroir. « On voulait sortir du cliché franchouillard et faire ressortir la France urbaine, le foot de rue et mettre en avant la diversité », poursuit Alexandre Adler.

Les Poulettes Fitness, aussi, n’a pas souhaité innonder ses réseaux de cocorico. Cette marque Made in France propose des vêtements de sport décalés sur lesquels les slogans « Abdos et mojitos » règnent en maître. Leur vitrine digitale met à l’honneur toutes les silhouettes, du XS au XXL, un côté inclusif qui a rapidement dopé les ventes et le nombre d’abonnés. Pour Arnaud Perrier Gustin, de l’agence Mif360, spécialisée dans le Made in France, il est impératif de trouver un bon équilibre: « Plus on martèle sa communication à coup de Made in France, plus ça semble suspect aux yeux du consommateur. L’idéal est d’avoir un positionnement singulier en plus du message patriotique. » Alors les Poulettes Fitness, rappelle son goût pour la France à travers ses partenariats. En juillet, elle proposait ainsi un concours avec la marque de cosmétique française Energie Fruit . « Aujourd’hui 80% de nos produits textiles sont fabriqués dans des ateliers français mais pour d’autres articles comme les gourdes, nous n’avons pas trouvé de fournisseurs sur place », reconnaît Roxane Sutet, la fondatrice. À l’inverse, d’autres marques détournent l’authenticité française par appât du gain, c’est ce que l’on appelle le French-Washing.

Portraits de couturières

Les mentions récurrentes : «élaboré en France» ou encore «création française» ne sont que des leurres. Le Coq Sportif regroupe tous les symboles de la France en un logo : drapeau tricolore, coq, nom bien local... Mais lorsque l’on soulève les languettes de nos baskets, le Made in Taïwan saute bien souvent aux yeux. « C’est compliqué pour les marques qui ont une grosse notoriété industrielle de changer l'outil productif », atteste Arnaud-Perrier Gustin de l’agence Mif360. Pourtant, en 2010 la griffe a fait le pari de renouer avec ses racines à Romilly dans l’Aube. Un challenge qui n’a pas fonctionné tout de suite puisqu’en 2014 encore, la firme était accusée d’exploiter des immigrés dans une usine en Argentine, au même titre que Adidas et Puma. Pour éviter ce genre d’incident, le Coq revient dans une forme olympique et chante de nouveau les louanges du savoir-faire français. Adieu opération de communication pimpante à l’oeuvre dans la campagne « Souriez, c’est du sport », l’heure est à la proximité digitale, à l’authenticité. Gros plan sur les coulisses de fabrication, portraits de couturières… le capital émotionnel de la production locale est devenu le fil rouge.

D’autres géants ont pris le virage du Made in France pour changer leur image… En mars 2014, des ouvrières asiatiques manifestent pour dénoncer leurs conditions de travail déplorables dans les usines Adidas. Son image en prend un coup et le scandale devient viral. Coïncidence ? En décembre de la même année, la marque revient sur le devant de la scène avec sa basket phare Superstar mais Made in France. Pour redorer son blason, la griffe aux trois bandes avait misé sur une campagne épurée, tournée au cœur des ateliers Heschung situés dans l’Est de la France. Si la marque a essuyé des critiques, elle reste bien en position de force sur le marché international de l’équipement sportif avec ses 20 milliards d’euros de chiffre d'affaires (données Statista).

« Garder son indépendance »

Quand Nike dépense 3 milliards de dollars à l'échelle mondiale par an pour son marketing (source Statista), les marques Made in France, elles, se lamentent de leur faible budget. Hermine Running, qui élabore tous ces vêtements de course en France, a tenté de se livrer à un vrai marathon digital, sans succès. « Nous avons fait le choix de garder notre indépendance. Nous ne voulions pas apparaître sur les marketplace pour éviter les contraintes économiques », se justifie Eric Costechareyre, cofondateur de la marque. Leurs idées tombent rapidement à l’eau, faute de moyens. Ils avaient commencé un journal de bord sur le site mais les articles n’étaient pas réguliers, ils ont supprimé le kit écologique « À vos armoires » car l’opération n’a pas eu suffisamment de visibilité et leurs publications sur les réseaux sociaux ne sont qu’occasionnelles. Pour l’instant, la marque préfère se concentrer sur la fabrication et sur la rentabilité plutôt que sur son image. Roxane Sutet, des Poulettes Fitness, l'admet : « Toutes les normes françaises découragent, c’est compliqué de produire ici, il faut vraiment le vouloir ».

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