Décryptage
Whatsapp est dans la tourmente après une mise à jour de ses conditions générales d’utilisation. Mais l’info qui a circulé en France était imprécise : le partage des données avec sa maison mère, Facebook, ne concernait pas l’Europe. Décryptage d’un enchaînement de couacs.

Contexte

Au théâtre, les quiproquos sont sources de bonnes tranches de rigolade. En com, c’est beaucoup moins drôle. Le 7 janvier, des articles abondent : « Whatsapp va modifier ses conditions générales d’utilisation et partager ses données avec sa maison mère, Facebook », indiquent-ils en substance. « Si au 8 février, les nouvelles conditions ne sont pas acceptées, il ne sera plus possible d’utiliser l’application ». Le consommateur se sent comme pris au piège... Mais comme souvent, la réalité est plus complexe, et bon nombre de journalistes ont péché de simplicité. « Le changement de CGU a été mal compris. Le partage des données ne concernait pas l’Europe », se défend auprès de Stratégies un porte-parole français du groupe de Mark Zuckerberg. Un autre quiproquo s’est alors rajouté au premier sur la Toile : le fait de partager le contenu des messages envoyés entre proches. « Facebook n’a pas accès au contenu des messages », s’étrangle le groupe. Facebook indique respecter scrupuleusement le RGPD, et même anticiper le règlement européen e-privacy, pas encore adopté. En réalité, Whatsapp, dont la monétisation est une des priorités, veut, en Europe, permettre aux entreprises de mettre en place de la relation client – sous réserve du consentement des utilisateurs. Dans les pays hors zone Europe, où l’utilisation de Whatsapp est différente, le groupe cherche effectivement à créer des ponts, notamment publicitaires, entre ses applications (Instagram, Facebook, Whatsapp). Et partager quelques données comme le numéro de téléphone. Si cette annonce a aussi eu son lot de polémiques, comme en Inde, où le gouvernement a demandé à Facebook de reculer, les situations sont clairement distinctes entre l’Union européenne et le reste du monde.

Problématique

Cependant, si le sujet de la donnée est complexe, celui du droit des données est diablement abscons. La presse, le public et les parties prenantes n’ont pas saisi, ni indiqué toutes ces nuances. « Imaginez-vous qu’une grande partie du public français a découvert avec cette affaire que Whatsapp appartenait à Mark Zuckerberg, commente un expert de la com de crise. Comment voulez-vous rentrer en détail sur ces sujets auprès de vos lecteurs ou vos téléspectateurs ? »

En termes de RP, Whatsapp est aussi bien moins structuré en Europe. « Les communiqués de presse sont quasi unanimement des billets de blog traduits des États-Unis », explique un autre consultant. « Au-delà de la transparence, dont Facebook veut faire preuve, la polémique pose la question de la proximité de l’entreprise. Il y a certes un phénomène de défiance envers toute entreprises à l’heure actuelle - exacerbée depuis quelques temps envers les géants américains - mais pas seulement. Les messages doivent être recontextualisés, la presse doit se les approprier. C’est la question de la décentralisation de la communication », commente Emilie Molinier-Ravage, directrice associée pour l’agence Maarc. Un travail de longue haleine.

Résultats

Les géants américains, s’ils vantent des modèles horizontaux, sont encore très pyramidaux leur communication. « La sensibilité du sujet des données personnelles a peut-être été sous-estimée, continue Emilie Molinier-Ravage. Un travail en amont, même informel, avec des associations de consommateurs, par exemple, aurait sûrement aidé à mieux expliquer les choses. » Toujours est-il que les nouveaux téléchargements de Whatsapp ont chuté de 14 % selon l’entreprise Sensor Tower, et qu’a contrario, les installations des autres applications sont en explosion (lire l'encadré). Un exode si inquiétant que l’entreprise californienne a choisi de repousser de trois mois sa mise à jour en Europe. Le temps de mieux expliquer son projet, sûrement, mais d’arrêter l’hémorragie, aussi... Même si à long terme, la monétisation de Whatsapp par la donnée paraît inévitable.

Où vont les utilisateurs ?

Telegram. Lancée en 2013 par Nikolaï et Pavel Dourov, les fondateurs de Vkontakte - le Facebook russe -, l’application fonctionne comme Whatsapp. La fonction de chiffrement de bout en bout n’est pas automatique, mais peut s’activer par discussion. Telegram a dépassé les 500 millions d’utilisateurs actifs mensuels début janvier, et a vu 25 millions de nouveaux utilisateurs arriver en trois jours après les annonces de Whatsapp - une hausse de 5 % en 72 heures. À noter, la possibilité de rechercher et de lire des discussions de groupes publics avec très peu de modération, ce qui pourrait poser des questions en termes de contenus.

Signal. Elle a profité d’un tweet de recommandation d’Elon Musk. Développée en open source par la branche « messagerie » de la Signal Foundation, une fondation américaine pour le développement de la technologie open source créée par Moxie Marlinspike et Brian Acton, un des deux cofondateurs de Whatsapp. L’application Signal avait été vantée par Edward Snowden pour sa sécurité. Au lendemain de l’affaire Whatsapp, l’application a caracolé en tête des services de téléchargement d’applications Google Play et Apple Store, avec 8,8 millions de nouvelles installations en une semaine. Elle utilise le chiffrement de bout en bout. Elle est aussi recommandée par la Commission européenne à son personnel.

Wire. Elle a été développée par la société suisse Wire Swiss. Elle offre – selon Edward Snowden, encore – « la meilleure technique de chiffrement disponible en gratuit ». Si elle présente tous les atouts d'une messagerie gratuite, Wire se présente essentiellement comme un service professionnel, pour échanger en entreprise – d'où le haut niveau de sécurité - et offre même des options payantes, comme le fait d’inviter des utilisateurs externes à des discussions de groupes.

Olvid. C’est le petit bébé français. Développée par deux chercheurs en cryptographie Thomas Baignères, de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, et Matthieu Finiasz (diplômé de l’X, de l’ENS et chercheur à l’Inria), elle est ce qui se fait de mieux en matière de sécurité. Plus confidentielle que ses cousines, l’application ne passe par aucun serveur, les données transitent d’un téléphone à un autre, et elle se dispense des numéros de téléphone. Les contacts se valident chacun manuellement.

Et toutes les autres : Skred, Threema, Wickr, Dust…

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