Entre autres secteurs que la pandémie dynamite, celui de la générosité : explosion des dons de 693% la première quinzaine d’avril 2020 (Iraiser) d’un côté, recul des récoltes pour 29% de associations de l’autre au premier semestre (Mouvement associatif). Les chiffres 2020 ne sont pas compilés mais déjà se dessine un tableau nuancé. « Les grosses ONG n’ont pas connu de baisse du tout car elles ont pris la parole de manière importante mais un tiers des associations ont pris le bouillon », résume Yves Colin, directeur de la communication de la fondation Abbé Pierre. Si ce moment de « grande émotion » a, comme pour les tsunamis ou tremblements de terre, déclenché de nouveaux dons et a touché les jeunes, il s’est aussi caractérisé par une concurrence accrue des causes ; un signe des grandes crises. En résulte une remise en question de certaines organisations qui ont redoublé d’idées en matière de communication pour stimuler le don.
Détourner Amazon
L’auberge des migrants, lieu d’entraide pour les réfugiés de la « jungle de Calais » plusieurs fois démantelée, a par exemple vu sa cause complètement occultée par le Covid-19 et son feuilletonnage médiatique tout au long de l’année. Problèmes : les réfugiés sont encore là et souffrent d’autant plus que les bénévoles sont freinés par les règles sanitaires. Pour attirer à nouveau le regard du grand public sur eux, l’association s’est appuyée sur BETC qui a eu l’idée de détourner Amazon. « Personne ne parle des migrants mais la plateforme e-commerce a fait les gros titres – hausse de la demande ; concurrence avec les librairies ; fortune de Jeff Bezos au sommet ; polémique sur le Black Friday… - donc nous avons donné la parole à d’anciens exilés au sein-même des commentaires des fiches produits Amazon », explique Matthieu Bouilhot, copywriter à l’agence. Une photo d’une brosse à dent attachée à un arbre a particulièrement fait mouche. Le commentaire : « Elle ne s’use pas vite. Je laisse la mienne accrochée au camp de Calais après l’avoir utilisée pour ne pas la perdre ou l’abîmer. » À côté des faux commentaires et des habituels mécontents, ça détonne. Une fois que l’on cliquait sur le nom de la personne, on atterrissait sur sa « wish list »… Et ça a marché. « Des reportages sur France Inter ou France 3 ont parlé de l’opération mais surtout, elle a généré des dons. Nous avons lancé la campagne lundi 25 janvier et dès mercredi, des bénévoles de l’association nous envoyaient des photos de fourgonnettes remplies de colis Amazon jusqu’au siège passager. Ils ont même été contactés par un entrepôt d’île-de-France qui pensait qu’il y avait une erreur dans la commande de 35 sacs de 20 kg de riz », se félicite le publicitaire.
Réinventer le Téléthon
Jean-Baptiste Matray, directeur de la communication et du développement de Médecins du Monde, avait prévu de lancer son tout premier Speedon en mars 2020. Puis de retenter sa chance en octobre ; mauvaise pioche. Ce live streaming de jeux vidéo de 52 heures se tiendra finalement du 5 au 7 mars 2021 à l’Accor Arena, sans public et diffusé sur Twitch avec le streamer Mistermv. Le rapport avec l’ONG : ZeratoR et son Z Event. Le célèbre streamer a prouvé que les gamers étaient généreux : en 2018, il levait 1 million d’euros pour Médecins sans frontières, en 2019, 3,5 millions pour l’Institut Pasteur et en 2020, 5,7 millions pour Amnesty International. « Certains disent que le Z Event sera le prochain Téléthon », concède le dircom qui a décidé de s’inspirer du concept en y apportant sa touche : les participants feront du « speed run », soit finir un jeu le plus vite possible. L’objectif de cet événement budgété à pas plus de 50 000 euros est de lever autant que le premier Z Event : 450 00 euros. « Le Covid nous a empêchés de mener nos missions de street marketing et de collectes événementielles », déplore Jean-Baptiste Matray – même si les dons ponctuels ont augmenté de 1,5 million d’euros en 2020, sur un total de 10 millions ; et de 42 millions en incluant tous les canaux de récolte. « Mais si un donateur perd son job, avec la crise qui guette, il aura moins tendance à donner », s’inquiète-t-il. Alors, le levier du gaming serait est encourageant.
Concurrencer Leboncoin
Emmaüs n’a pas attendu le Covid-19 pour être chahutée : par le boom de la seconde main et de ses plateformes Vinted et Leboncoin. Après avoir lancé Label Emmaüs en 2016, un site marchand recensant 1 million de produits et n’hésitant pas à cibler les « bobos » dans sa com', l’organisation vient de dégainer Trëmma. Le principe : les gens y donnent des objets et s’ils sont vendus, ils flèchent les bénéfices à l’association de leur choix, ou à un projet mis en ligne sur le site. Du crowdfunding caritatif. « Notre objectif est d’être une solution de financement pour l’économie sociale et solidaire », résume Maud Sarda, co-fondatrice et directrice générale d’Emmaüs Connect. La conception de Trëmma a été initiée il y a deux ans et a demandé 700 jours-hommes accordés par Accenture Interactive, Wavestone, l'agence de design 40/60, Fidal et l’agence Bearideas qui a conçu la campagne de lancement.
Pour la forêt d'associations qui n’attirent pas de telles agences les choses évoluent aussi. « Quand on s’appelle la Croix Rouge c’est plus facile d’innover mais pour beaucoup, cela passe simplement par le fait de réussir à collecter des fonds en ligne », pointe Charlie Tronche, directeur de la communication et des partenariats d’HelloAsso, la « brique paiement » de 145 000 associations en France. « La part du don en ligne a bondi de 230% au premier semestre 2020 et est passée de 30 à 56 millions d’euros sur l’année » relève-t-il. Mais si le Covid a accéléré aussi la transformation numérique des organisation caritatives et peut aider à débloquer l'acte de don, Yves Colin, de la fondation Abbé Pierre, invite à la prudence et rappelle qu'« à situation exceptionnelle, donateurs exceptionnels ».