Luxe
Derrière une cession à vil prix de la marque Vendôme – petite ville du Loir-et-Cher – à Louis Vuitton, dont la presse s’est largement fait l’écho, se joue une stratégie ambitieuse d’attractivité territoriale.

Visites de châteaux, balades en plein air, dégustation de produits du terroir… la partition jouée par la ville de Vendôme sur son site consacré au tourisme est classique. Mais bientôt, la sous-préfecture du Loir-et-Cher de 16 000 habitants va muscler son jeu grâce à un allié de poids : la maison Louis Vuitton. Le sujet n’est pas nouveau mais il a été monté en épingle ces derniers jours à la suite de la décision du conseil municipal du 4 février de céder la marque Vendôme au groupe de luxe. Ce qui a ému la presse : la note d’à peine 10 000 euros et son côté mercantile. Un peu chiche comparé aux 15,8 milliards de dollars que LVMH (la maison mère) va débourser pour Tiffany. En fait, Vuitton avait acquis les droits d’exploitation de Vendôme dans la classe maroquinerie en 2019, ce dont il jouit au travers d’une gamme de plusieurs souliers. Cette fois, le géant du luxe étend ses droits à la joaillerie, secteur dans lequel il nourrit certaines ambitions. Autrement dit, il pourra nommer ses bijoux Vendôme… et empêcher des concurrents – fussent-ils eux aussi installés Place Vendôme à Paris – d'en faire autant.

Royalties

Ce qui se joue en réalité à Vendôme ne se résume pas à une histoire d’oursins dans les poches. En 2018, Louis Vuitton a acquis et restauré le bâtiment Régence, une ancienne abbaye de 3 500 mètres carrés au total, dans laquelle il y a installé un atelier de maroquinerie. Sans la pandémie, l’inauguration aurait déjà eu lieu. En 2019, la marque de luxe a annoncé la création d’un second atelier construit sur le parc du Bois de l’Oratoire. Selon nos informations, la somme totale investie sur ces deux sites s’échelonne entre 15 et 20 millions d’euros. C’est l’un des arguments que le maire UDI de Vendôme, Laurent Brillard, met dans la balance. « Beaucoup de villes ont prêté leur nom dans le cadre d’un échange commercial pour vendre un produit en boutique mais dans notre cas, la marque s’est doublement installée et a investi dans notre patrimoine et la restauration d’un bâtiment colossal que ni les municipalités précédentes et, je dois l’avouer, ni la nôtre, n'avaient les moyens d’assumer. » Alors que certaines municipalités préfèrent signer des contrats de licence – temporaires – plutôt que de conclure des cessions de droits – définitives –, l’édile tranche : « Ce n’est peut-être pas très orthodoxe ce que je vais dire mais les royalties, avec une marque comme Vuitton qui s’installe, nous les percevrons à travers les impôts locaux ! »

Des retombées concrètes pour l'emploi

Un acteur proche de la ville de Vendôme déplore que cette transaction prenne tant d’espace médiatique et « occulte toute la stratégie territoriale de Vendôme, qui va bien au-delà ». « À la limite, ils n’auraient pas dû faire de transaction car cela rend le dossier très basique », ajoute-t-il. Si la presse grand public a tiré à boulets rouges sur Vendôme à l’instar de Libération qui l’accuse de « se vend[re] encore un peu plus à Louis Vuitton », les professionnels du secteur, passée la maladresse des 10 000 euros, y voient beaucoup de bon. « Derrière la polémique, il y a plusieurs éléments factuels, reprend Cédric Morel, CEO de l’agence Hula-Hoop. Le droit d’utilisation sur des produits va dans le bon sens du marketing territorial car derrière, on trouve une réalité industrielle avec l’implantation de Vuitton sur le territoire. Cela ne provoque pas de perte de la marque Vendôme pour la ville et cela génère de la visibilité et de l'attractivité. » Une source proche de Vuitton confirme que ces ateliers seront des « showrooms devant attirer des clients d’Asie et du Moyen-Orient », de quoi imaginer des retombées pour le secteur de l'hôtellerie-restauration.

Louis Vuitton va employer environ 180 personnes dans le premier atelier et entre 300 et 350 dans le second. En ces temps de velléités de relocalisation et de revalorisation des métiers artisanaux, Vuitton coche, ici, toutes les cases. « Pôle emploi a enregistré des records de demande », se félicite déjà le maire. Mais quand même, des observateurs se demandent si le géant du luxe n’a pas obtenu la marque à ce prix avec un peu de chantage à l’emploi. Une source chez LVMH s’agace : « S’arrêter sur ce contrat, c’est donner l’impression que nous ne faisons rien à Vendôme. Si nous n’avions rien payé, nous aurions continué à utiliser le nom et il n’y aurait pas eu cette polémique. » Mise en perspective du maire Laurent Brillard : « 257 marques utilisent déjà Vendôme sans payer mais il est impossible de les assigner, ce serait bien trop cher pour nous. Maintenant, Vuitton va nous aider à protéger notre marque. » En revanche, le géant du luxe aurait promis de ne pas s’attaquer à la sellerie percheronne et à ses sacs… Vendôme.

Un nom fréquemment utilisé

La fréquence de l’utilisation du nom Vendôme aide à comprendre cette faible valorisation. « Comme Scotch, Vendôme risque de devenir un nom commun et de voir disparaître son asset de marque. Avant, il n’y avait pas de retombées pour la marque mais désormais il y en aura », avance un proche du dossier. « Que vaut une marque en tant que telle ? », questionne quant à lui Laurent Brillard. Étienne Vicard, CEO de l’agence Bastille et qui travaille par ailleurs sur la stratégie territoriale de Vendôme, considère qu’on « ne peut pas résumer une démarche d’attractivité à la marque ». « Une stratégie d’attractivité, c’est attirer du tourisme, des entreprises, des résidents et c’est ce que fait Vendôme en valorisant son savoir-faire en matière de maroquinerie et en renforçant son image de luxe à la française », analyse-t-il. Pour les territoires, s’adosser au privé « permet d’alléger le coût de l’attractivité et cofinancer les campagnes », ajoute Étienne Vicard. Alors que Louis Vuitton n’est installé Place Vendôme à Paris que depuis 2016, le lien qui lie les deux n’est-il pas trop artificiel pour un secteur qui repose sur l’authenticité ? « L’histoire n’est pas figée », balaie Cédric Morel. « S’adosser à une ville n’est pas un prétexte marketing mais un jalon dans la construction de la maison. »

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