Harcèlement
L’application #NotMe se lance en France. Son fondateur, Ariel D. Weindling, basé aux États-Unis, revient pour Stratégies sur le harcèlement en entreprise.

Vous lancez l’appli #NotMe en France, pour lutter contre le harcèlement dans le milieu professionnel. En quoi consiste-t-elle ?

Ariel D. Weindling. Le but principal, c’est d’aider à parler. Je suis avocat aux États-Unis depuis 2005, spécialisé en droit du travail. En 2017, pendant le mouvement MeToo, je me souviens avoir lu une interview d’une victime d’Harvey Weinstein, une grande actrice connue, qui expliquait qu’elle n’avait pas pu parler. Je me suis dit « Si une célébrité avec du pouvoir ne peut pas parler, comment une personne lambda en entreprise le peut-elle ? » Peu importe son secteur ou son emploi, le harcèlement peut avoir lieu partout, personne n’est à l’abri. En douze ans d’exercice en tant qu’avocat aux États-Unis, j’ai bien vu que les problèmes étaient toujours les mêmes. Il s’agit de comportements humains de base et le tabou est énorme. Les entreprises ne parlent pas, et les employés ne s’expriment pas. Selon l’Equal Employment Opportunity Commission [commission pour l'égalité des chances en matière d'emploi], 75% des salariés se taisent sur ce qu’ils vivent ou ce dont ils sont témoins, et les 25 % de courageux qui osent parler sont victimes de représailles. Dans ce contexte, c’est la peur qui gagne. S’ensuit un profond mal être car les salariés vivent un hiatus énorme entre ce que l’entreprise affiche comme valeurs en public et ce qu’ils vivent au quotidien. Je me suis dit que la techno pouvait aider.

 

Comment fonctionne #NotMe?

L’application est centrée sur la personne. Tout ce qui a été fait aujourd’hui a été pensé pour le management. Ici, l’application est personnelle. Le salarié se connecte avec ses identifiants personnels [e-mail], et non ceux de l’entreprise. Il peut alors signaler, de manière anonyme ou non, selon son choix, des comportements qui lui semblent problématiques. L'entreprise, elle, a accès à un tableau de bord. 

 

Est-ce un outil de signalement ?

Oui mais le but consiste surtout à créer du dialogue autour de ces questions, en s’affranchissant des freins. C’est un travail de long terme et un outil de conversations avec les responsables (RH, CSE...) après le signalement, et de communication interne sur le sujet. Plusieurs entités peuvent avoir accès au dashboard, et il est même recommandé que ce soit le cas. En matière de harcèlement, on manque de nuance dans les conversations, parce que personne ne se parle. L’employé a peur de frapper à la porte des RH, et l’entreprise a peur pour son image. Il faut aider l’employé, il n'a plus confiance dans tout ce qui a été mis en place, car toutes les procédures servent davantage à couvrir les sociétés qu'à parler. Rien n’est centré sur lui. En se taisant, c’est l’escalade. Les petits comportements dévient vers des choses plus graves. Il faut parler pour désamorcer et clarifier les choses. Notme aide la personne à signaler ce qu’elle a vécu ou vu, l’aide à mettre des motsn avec un questionnaire et desz champs libres. Et nous créons ensuite un suivi des signalements. L’employé sait quand son signalement est lu, en traitement, et si quelqu’un revient vers lui pour en discuter. Il est très important de voir les choses avancer. Le but n’est pas forcément d’aboutir à des sanctions, mais de créer du dialogue entre les entreprises et les employés.

 

 

Le but n’est pas de sanctionner ?

L’être humain a le droit à l’erreur, et il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Certains managers sont juste de mauvais managers, et les salariés estiment que cela ne mérite pas d’aller prévenir les RH ou le CSE. Mais à terme, le problème vient quand les gens se taisent. Si une personne dit un mot blessant ou fait une blague malveillante, cela peut arriver. Mais si personne ne lui dit rien, il persistera dans son erreur, et cela ira de pire en pire. Beaucoup d’actes choquent sous le coup de l’émotion, et par la suite, par peur, par réflexion, ne sortent pas. Et avec le temps c’est l’escalade. Le but de #notme est d’encourager les employés à dire les choses dès qu’ils les ont vécues, pour qu’au moins un dialogue se crée avec l’entreprise. Que la personne qui a mal agi puisse en prendre conscience, ou qu’on explicite les choses dans le contexte dans lequel elles arrivent.

 

Et que fait l'entreprise ?

Si un témoignage est anonyme, il restera anonyme. Nous ne livrerons jamais l’identité à la société. Celle-ci pourra dialoguer avec la personne, mais toujours en anonyme. Cela doit aussi s’accompagner d’un certain rôle de l’entreprise, qu’elle soit aussi là dans le but d’aider, et qu’elle ait envie de commencer une vraie discussion. Comprendre et aider le salarié, pour trouver une solution. Nous avons un système d’analyse par intelligence artificielle qui permet de trier les témoignages, de les classer, les prioriser, pour aider à réagir. Les problèmes sortent sur les réseaux sociaux parce qu’il n’y a pas eu de dialogue. Et lorsqu’ils sortent, la réalité est soit blanche soit noire, mais il n’y a jamais de gris. Nous pensons qu’il faut revenir à la nuance au plus tôt dans le processus, et parler des situations vécues. Notme est un outil pour tendre vers des discussions calmes et sereines. Mais chacun doit prendre ses responsabilités : l’entreprises ne doit pas infantiliser ses salariés, et les salariés doivent aussi se responsabiliser. Il est normal qu’un employeur attende de ses employés du bon travail. L’outil doit permettre de parler entre adultes. Les salariés ne sont pas des bébés, et cherchent avant tout respect et dignité. Mais en aucun cas le «bonheur au travail». Trop de gens ont vue des Happyness officer tout faire pour construire un cadre de vie amusant, avec des tables de ping pong, du yoga etc. mais en parallèle, être témoin d’actes qui n’ont pas leur place en entreprises. Il faut revenir à plus de mesure dans tout cela.

 

Et qu’est ce qui empêche les représailles ?

S’il y a des représailles il faut nous le signaler. Mais ce n’est souvent pas dans l’objectif d’une société de mettre ces outils en place pour faire des représailles ensuite. Et plusieurs personnes peuvent avoir accès aux signalements. Pas uniquement les RH, ni la direction, mais aussi les CSE, ou d’autres référents. Aux Etats-Unis, où l’application est disponible depuis deux ans, nous avons 40 clients et plusieurs types de profils d’entreprises. Celles qui font face à de gros problèmes et qui désirent changer les choses, et celles très progressistes, qui estiment que ça a du sens de procéder de la sorte pour prévenir les éventuels débordements. L’outil ne doit pas être abusé ni par les employés, ni par les employeurs. Mais vous savez, #notme n’est pas une solution miracle. Mais c’est un des outils qu’une société devrait mettre en place pour faciliter les signalements de tous ces comportements néfastes, et inciter au dialogue. On arrive à un moment de l’histoire où les gens en ont marre de ne pouvoir rien dire, d’avoir peur de parler. Il faut mettre un terme à tous ces tabous.

 

Que faites-vous des témoignages dans le temps ?

L’employé possède une copie de son témoignage dans son application. Il le garde autant de temps qu’il la conserve. Pour l’entreprise aussi. En France, pour le moment, seuls les employés des entreprises partenaires peuvent signaler des comportements. Mais à termes, ce sera le même fonctionnement qu’aux Etats-Unis, où l’application est ouverte à tous. Ce n’est qu’une question de conformité légale.

 

Quel est votre modèle économique ?

Nous fonctionnons par souscription, pour les entreprises, en mode Saas [Software as a service]. Cela peut aller de 50 centimes à 8 euros environ par employés, tout dépend des fonctionnalités de la taille de l’entreprise etc. Nous discutons.

 

Vous avez récemment dû mettre un terme à votre collaboration avec Christelle Delarue suite aux témoignages qui sont parues dans la presse et sur les réseaux sociaux. C’est définitif ?

Si nous restons attachés à la présomption d’innocence, les témoignages des victimes doivent être respectés. Et il n’était plus possible pour nous de développer #notme, un outil de discussion et de lutte contre le harcèlement, dans ces conditions. Mais cela prouve selon moi que le harcèlement peut toucher n’importe quelle organisation. Aucune société, aucun manager n’est à l’abri. Et cela démontre la profonde nécessité d’un outil comme le nôtre. Si les salariées de l’époque avaient pu signaler de façon discrète ces comportements, sûrement dans l’anonymat, pour entamer une discussion, tout aurait peut-être pu évoluer différemment.

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