Dossier Design
Malgré la fermeture des commerces dits non essentiels, la crise de la Covid a accéléré la transformation des commerces physiques autour de deux priorités : le digital et la RSE.

À première vue, la crise sanitaire a été dévastatrice pour le commerce physique, à l’exception des enseignes de l’alimentaire. La fermeture de 1 200 magasins Zara dans le monde, la fin de Topshop au Royaume-Uni, les difficultés d’André, Camaïeu, La Halle en France ont montré l’essoufflement d’un certain modèle. Pourtant, le tollé autour de la fermeture des librairies à l’automne 2020 a prouvé l’attachement du public aux boutiques de proximité. Si des projets dans l’hôtellerie-restauration et le luxe ont été stoppés net, les agences spécialisées en aménagement de magasin ont profité de la période pour réfléchir aux concepts de demain. Avec une certitude : le « monde d’après » de la distribution ne sera pas tout digital mais articulera de façon plus fluide le virtuel et le réel. « Le gros sujet du moment, c’est le click-and-collect, souligne Philippe de Mareilhac, directeur général de Market Value. Les clients habitués à commander en ligne veulent un service efficace en magasin. Il est hors de question de les faire attendre ou de les obliger à un parcours compliqué. On peut au contraire en profiter pour leur proposer une expérience agréable et des achats complémentaires. »

Au-delà de la tablette

Ainsi la digitalisation des magasins va au-delà de l’équipement des conseillers en tablette. « Depuis dix ans, tous les retailers ont investi sur le digital en installant des écrans souvent en panne, alors que la vraie innovation, c'est la data, qui permet de personnaliser l’expérience client. Or celle-ci est encore sous-exploitée », affirme Julien Reibell, directeur d’Altavia Pallas. L’arrivée d’une nouvelle classe d’âge accélère ce changement, confirme Rémi Le Druillenec, cofondateur de l’agence Héroïne : « La génération Z, qui représentera 50 % du monde du travail en 2025, est habituée à passer du virtuel au réel en permanence. Pour elle, il n’est pas envisageable d’acheter en ligne et de ne pas avoir de service après-vente en magasin. Cela suppose aussi de motiver les équipes différemment, pas seulement sur les ventes réalisées localement. » « Il faut repenser la gestion du personnel, avec des espaces de libre-service pour aller vite mais aussi des conseils beaucoup plus pertinents car le consommateur a gagné en expertise pendant cette période », renchérit Stéphane Jardin, président de l’agence spécialisée Intangibles, qui travaille notamment pour Sephora, Cultura et Intermarché.

Exemple de magasin ouvert en 2020 qui allie l’efficacité avec le spectaculaire : la Nike House of Innovation sur les Champs-Elysées à Paris, quatre étages voués à la mise en valeur des produits et à la personnalisation du service. « La Covid-19 est loin d’avoir ralenti les déploiements de concepts, au contraire. Notre client Le Petit Lunetier a prévu d’ouvrir quatre boutiques en France en 2021, témoigne Sophie Darriere, cofondatrice de l’agence Label Experience. Mais cela suppose l’expérience physique la plus attractive, avec une cible marketing bien définie et une proximité avec sa communauté. » Les designers ne se contentent pas de dessiner des croquis, ils accompagnent leurs clients dans leur stratégie omnicanale. « La bataille du flux se gagne non plus sur le nombre de points de vente et sur la qualité des emplacements mais sur la puissance de l’audience de la marque retail. Celle-ci devient une marque média qui va amplifier ses messages sur les réseaux, contextualiser son offre, promouvoir son savoir-faire pour étendre son influence », analyse Dan Otmezguine, directeur général associé de Stories.

Engagement positif

Autre priorité, la RSE (responsabilité sociétale des entreprises), qui détermine les préférences des consommateurs. Selon l’Observatoire des marques positives du cabinet Utopies, l’intention d’achat est 2,4 fois plus élevée pour les marques dont l’engagement positif est perçu par les consommateurs. CBA travaille par exemple avec l’enseigne Cojean pour la mise en valeur de ses engagements en termes de traçabilité, de recyclabilité, de suppression du plastique jetable… La nouvelle identité sera révélée cet été. Market Value a signé la première boutique de La Ruche qui dit oui, plateforme alimentaire en circuit court, avec du mobilier réemployé et de l’éclairage LED fourni par Enercoop.

« En matière de RSE, nous travaillons sur trois axes : l’éco-conception des lieux, les nouveaux usages (réparation, location, recyclage) et le bien-être des salariés. Nous accordons beaucoup plus d’attention aux locaux du personnel », témoigne Philippe de Mareilhac. « Le retail de demain sera engagé et engageant, assure Rémi Le Druillenec, d’Héroïne. Il doit avoir un impact environnemental moins élevé en réduisant l’éclairage, la climatisation, mais il doit aussi montrer les missions de la marque, son ancrage local, ses actions pour l’emploi… » Pour toutes ces raisons, « le distributeur ne doit pas seulement penser à son retour sur investissement mais à son retour sur expérience », ajoute le consultant, ce que confirme Frédéric Messian, président de Lonsdale : « Il ne faut plus parler de points de vente mais de points d’expérience. Ce ne sont pas des lieux purement fonctionnels mais des lieux d’interaction humaine. » Et ce quel que soit le format du magasin : « Les marques doivent réfléchir au sens de leur présence avec d’un côté quelques lieux très spectaculaires et, de l’autre, de multiples points de vente du quotidien », résume Margaux Lhermitte, directrice du pôle retail de CBA.

Designer la distanciation

Pour rassurer les clients, les magasins ont mis en place des solutions de distanciation comme des panneaux de plexiglas, du marquage au sol, du gel hydroalcoolique à l’entrée mais il y a bien peu de design dans tout cela. Certaines agences ont cependant travaillé sur des messages esthétiques, comme Saguez & Partners avec la RATP à destination des usagers et des employés. De son côté, le Studio Jean-Marc Gady a proposé des gestuelles adaptées aux marques de luxe, comme des distributeurs portatifs pour les vendeurs. « C’était une façon de démontrer notre expertise, car il est possible d’apporter de l’émotion même dans un contexte anxiogène », souligne Émilie André, directrice du studio.

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