Conjoncture
Hervé Navellou, directeur général de L’Oréal France, exprime en tant que président de l’Union des marques sa vision du monde d’après, là où l’engagement concret des marques auprès de tous leurs publics et de la planète n’est plus une option.

Quels premiers enseignements peut-on tirer d’une période qui entrera dans les livres d’histoire?

Hervé Navellou. Au-delà de sa brutalité, elle aura surtout été un accélérateur de tendances déjà engagées. D’un côté, nous ressentions depuis longtemps un climat de tensions et de doutes liés à l’urgence climatique, au devenir de la planète ou aux instabilités géopolitiques, auxquels est venu s’ajouter la pression du risque sanitaire. De l’autre, nous avions commencé à identifier les opportunités d’un progrès technologique et scientifique exponentiel. Cette crise a cristallisé cette ambivalence de peur et de progrès. Ce qui en fait une époque incroyable en termes de ruptures.

 

Doit-on en conserver seulement une seule chose?

Oui, la capacité inédite des entreprises françaises à faire face. Elles ont dû imaginer l’impensable et s’y adapter. Mais elles ont aussi démontré leur capacité à jouer leur rôle d’acteur civil et solidaire, notamment face à leurs écosystèmes de clients et de fournisseurs. Ce fut une période très apprenante, qui nous a amené à être plus audacieux, à tester de nouveaux modèles, à inventer d’autres manières de communiquer avec nos publics.

 

On parle aussi d’une accélération digitale majeure pour le consommateur…

Les usages se sont massifiés et nous devons nous adapter. D’abord en tant qu’entreprise, car la nature du digital implique de nouvelles expertises et oblige à former en permanence ses équipes. L’autre enjeu, c’est la mesure de l’efficacité des investissements en digital, devenue complexe en raison de la fragmentation de ces nouveaux parcours consommateurs.

 

Votre sentiment sur l’impact en matière d’e-commerce?

L’émergence de l’e-commerce est un des éléments les plus marquants de ces dix dernières années. Pour un groupe comme L’Oréal, par exemple, il représente déjà plus d’un quart de nos ventes mondiales et continue à croître fortement. La crise l’a désormais érigé en canal incontournable pour toute marque. C’est un changement majeur, impliquant de combiner de manière permanente le on et le off, pour toucher un nouveau consommateur hybride.

 

Au-delà de cette hybridation, le consommateur a-t-il changé?

Il est aujourd’hui plus engagé et plus exigeant. Les entreprises parlent désormais à un individu qui consomme, travaille et agit en citoyen. Pour le convaincre, la marque doit bâtir un contrat de confiance qui, au-delà du produit, rend explicite sa mission, ses valeurs et les causes qu’elle défend. Qui êtes-vous ? Comment produisez-vous ? Puis-je avoir confiance ? Autant de questions qui rendent aujourd’hui fondamentale la raison d’être des marques. Notre baromètre Union des marques montre d’ailleurs que près de la moitié des entreprises ont déjà réfléchi à cette raison d’être. Et elles ont raison, puisque les gagnants d’aujourd’hui ont cette longueur d’avance qui favorise la préférence de marque.

 

Les marques ont donc un véritable rôle sociétal à jouer?

Oui. Dans notre dernière étude réalisée avec Kantar pour l’Union des marques, 43 % des Français estiment que ce sont elles qui pourraient avoir le plus d’impact pour lutter contre les dommages environnementaux. Les marques doivent jouer leur rôle, elles font partie de la solution. Ce sont des porte-voix forts puisqu’elles épousent les époques dans lesquelles elles évoluent. Et elles ont aussi tout à y gagner en interne pour fédérer leurs équipes.

 

Comment communiquer intelligemment sur ces nouveaux rôles sans risque de greenwashing?

L’attente de transparence impose aux entreprises de maîtriser ce nouvel exercice. Cela veut dire utiliser un ton et des moyens de communication différents. Nous venons par exemple chez L’Oréal France de nous prêter à un exercice inédit en donnant la parole à nos chercheurs sur les réseaux sociaux. Mais cela veut surtout dire mettre le développement durable au cœur du modèle. C’est en innovant et en inventant de nouveaux usages que nous ferons bouger les lignes. Plus que de la communication ou des engagements, les gens attendent des preuves de la part des marques. Et également que ces dernières soient capables de mesurer leur impact.

 

La mesure devient alors un véritable enjeu dans la durabilité des entreprises?

Des outils de mesure précis, objectifs et permanents vous permettent d’évaluer votre impact et représentent des points de départ pour décider d’améliorations. Il ne peut donc y avoir de méthode sans un outil de mesure robuste. L’Union des marques propose d’ailleurs depuis trois ans, un programme, FAIRe, qui permet de rendre la communication des marques plus responsable, au travers de quinze engagements très concrets. Plus de 42 entreprises et marques y adhèrent et je suis certain que beaucoup d’autres vont nous rejoindre.

 

Vous faites aussi de l’employabilité des marques un défi majeur pour les prochaines années… Pourquoi?

Nous sommes rentrés dans une époque où les connaissances et le savoir-faire acquis sont «disruptés» en continu par l’évolution technologique permanente. L’adaptabilité et l’actualisation constante des compétences seront demain absolument nécessaires pour durer. Aux entreprises d’en prendre conscience et d’investir massivement dans la formation permanente de leurs équipes.

 

Un dernier mot sur l’avenir? À quoi ressemble-t-il?

Le monde va se remettre en marche. Et avec, l’envie forte de se retrouver, de partager, de célébrer, pour compenser l’isolement du confinement. C’est un phénomène que nous observons déjà dans les pays où le déconfinement a déjà eu lieu. À plus long terme, nous vivrons d’assez profonds changements liés au progrès de la science et des technologies et à l’impératif environnemental. Ces deux sujets nous emmèneront sans nul doute vers des transformations profondes et durables de nos modèles.

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