E-commerce
Acteur dominant de l'e-commerce en Afrique, Jumia, qui fêtera ses dix ans en 2022, a réussi là où Amazon s’est heurté aux contraintes logistiques, sans atteindre encore la rentabilité. Focus sur ses priorités stratégiques, son image de marque et les défis qui lui restent à relever.

Non pas un mais quatre jours de promotions, étalés tout au long du mois de novembre. La marketplace Jumia, présente dans onze pays d’Afrique, notamment le Nigeria, son plus gros marché, possède une manière bien à elle de fêter le Black Friday. Ses millions d’utilisateurs, avec ces différents rendez-vous programmés sur quatre vendredis successifs, auront de quoi faire.

L'e-commerçant est l’acteur du secteur le plus installé en Afrique. « Il est le premier à vraiment marcher, relève Jean-Michel Huet, associé au sein du cabinet de conseil BearingPoint, en charge du développement international et de l’Afrique. Google, Apple et Facebook y sont présents mais pas Amazon, qui commence toutefois à l’être un peu plus, par le cloud. Jumia a pris une place vacante. » S’il réussit sur un terrain où Amazon ne s’est pas déployé, pour des raisons logistiques (pas d’adresses postales, manque d’infrastructures routières…), Jumia se distingue aussi par un positionnement spécifique. C’est moins un retailer qu’une place de marché, mettant en avant des commerçants et entreprises locales, à qui il offre ainsi un canal de vente supplémentaire et un moyen de se valoriser.

Problématiques logistiques

« Notre premier concurrent, ce sont les marchés de rue », indique Abdesslam Benzitouni, responsable de la communication et des relations publics de Jumia Group. Ceux-ci restent des lieux d’achat privilégiés, même si l'e-commerce est promis à un fort développement sur le continent, malgré des disparités entre les pays. Il pourrait ainsi « passer de 16,5 milliards de dollars en 2017 à près de 41 milliards d’ici 2025, d’après les données Statista », notait le cabinet EY sur son site, en mai dernier.

Si le secteur de l'e-commerce a globalement bénéficié de la crise sanitaire, Jumia en a aussi vu les effets, mais pas de la manière escomptée. Les premiers temps l’ont conduit à se recentrer sur la vente de produits essentiels, comme des masques. Le paiement sans contact a été encouragé, en partenariat avec Mastercard. Les consommateurs ont, par ailleurs, plébiscité le site pour acheter des produits de grande consommation et répondant à leurs usages quotidiens, au-delà notamment des biens électroniques. Une pratique qui serait restée. En revanche, ces évolutions ne se sont pas forcément traduites sur le chiffre d’affaires. « Nous avons fait face à des problématiques logistiques, d’autorisations gouvernementales. Les confinements n’ont pas duré longtemps, c’était surtout des couvre-feux, on n’accélère pas les commandes sauf au Maroc, en Tunisie où il y a eu des confinements plus forts », témoigne-t-on chez l'e-commerçant  cofondé par deux Français, Jérémy Hodara et Sacha Poignonnec.

Un millier de campagnes en 2020

Alors qu’elle fêtera ses dix ans en juillet l’année prochaine, Jumia n’est pas encore rentable mais « s'approche » de ce cap. Pour réussir, la plateforme peut compter, entre autres, sur la publicité. Alors que l’offre Jumia Advertising a été lancée en 2019, plus de mille campagnes publicitaires ont été menées en 2020, pour le compte de 370 clients comme Unilever, Nivea, L’Oréal, Xiaomi ou Huawei. Un effort a été progressivement fait pour leur donner accès à une audience de plus en plus ciblée. Les grandes marques sont, sur un autre plan, également mises en avant dans le Jumia Mall, un espace en ligne regroupant leurs boutiques officielles.

Quoi qu’il en soit, la plateforme a certainement, depuis la crise du covid, gagné en visibilité. Son image, d’ailleurs, est déjà forte. « Nous avons enregistré 1 milliard de visites sur notre site en 2020 et figurons souvent selon les pays parmi les cinq sites les plus visités. Nous sommes connus et perçus comme une marque locale, algérienne, nigériane… », explique Abdesslam Benzitouni. Une image due au fait que les équipes internes ainsi que les vendeurs et leurs produits sont largement locaux. Tandis que Jumia est régulièrement qualifiée dans les médias « d’Amazon africain » – il est vrai que cela colle à son secteur, donne une idée immédiate de qui il est et parle au grand public aussi bien qu’aux investisseurs –, la comparaison ne ravit pas forcément les concernés. « Nous sommes plus proches du modèle d’Alibaba car nous sommes une marketplace, pas un retailer. Nous connectons les vendeurs et les acheteurs, déployons une plateforme logistique et proposons Jumia Pay qui permet de réaliser des transactions dans l’écosystème », tempère ainsi le responsable. 

Tournant tech et fintech

En matière de communication, Jumia déploie une stratégie bien rodée. Prenant la parole uniquement dans les pays où elle est présente, elle se fait connaître en utilisant l’ensemble des leviers disponibles (publicité, médias sociaux, influence…) et notamment des opérations de marketing – comme le Black Friday, qu'elle dit avoir été la première à lancer en Afrique, en 2014. Cotée à la Bourse de New York, où elle est entrée en 2019 et où ses performances ont parfois été compliquées, elle doit également rendre publiques un certain nombre d’informations financières.

Pour la suite, les défis sont nombreux. Jumia entend accélérer en matière d’innovation en ouvrant un tech center en Égypte vers janvier 2022 avec plusieurs centaines de développeurs afin de travailler sur de nouveaux projets. Elle s’appuie déjà sur des experts au Nigeria, au Maroc et au Portugal mais ne dispose pas aujourd'hui d’un tel « centre d’excellence ». L'entreprise entend aussi renforcer le développement de Jumia Pay dans un contexte d’essor de la fintech en Afrique. De nouvelles formes de concurrence pourraient ainsi voir le jour alors que cet écosystème s’affirme particulièrement dynamique, « à l’image de ce que développe Total [devenu depuis TotalEnergies] en partenariat avec la start-up sénégalaise InTouch, faisant des stations-service du groupe des points de retrait », illustre Jean-Michel Huet.

Sans compter que le défi logistique reste de taille. « En moyenne, un livreur Amazon livre 150 à 200 colis en un jour, un livreur Jumia, 30 à 40 », estimait par ailleurs l’associé de BearingPoint. Et les problématiques d’accès à internet, de développement d’une classe moyenne, de changement des habitudes se poseront à la plateforme comme à tous les autres acteurs de ce marché.   

Lire aussi : Jumia, l'Amazon africain a levé 196 millions de dollards

Chiffres clés

139,6 millions d'euros . Chiffre d’affaires de Jumia pour 2020.

5500 collaborateurs. Effectif du groupe.

110 000. Nombre de vendeurs actifs sur la plateforme.

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