Dossier Sport
Malgré les polémiques qui entourent l’organisation de la prochaine Coupe du monde de football, les sponsors ne semblent pas prêts à lâcher la Fifa, organisatrice de l’événement. Les enjeux économiques sont colossaux.

Corruption, dépenses exorbitantes, stades climatisés en plein désert... La prochaine Coupe du monde de football, organisée au Qatar du 21 novembre au 18 décembre 2022, semble une parodie des dérives du foot business tellement les scandales qui se succèdent sont à l’image des projets d’aménagement de ce Mondial, pharaoniques. Depuis 2013 et les premières révélations de soupçons de corruption des dirigeants de la Fifa pour l’attribution de cette Coupe du monde au Qatar, les scandales et polémiques s’enchaînent. Au point que même le très peu critique ancien président de la Fifa, Sepp Blatter, a reconnu en 2014 que cela avait été une « erreur » d’attribuer ce Mondial à l’émirat du Golfe.

Partenariats maintenus

À l’époque, l’image des marques sponsors avait été écornée. Les logos des partenaires de la Fifa avaient été détournés par des activistes : les trois bandes d’Adidas étaient devenues des pierres tombales penchées ; les logos de Coca-Cola et McDonald's avaient été transformés en fouets. Malgré tout, cela n’a pas empêché les principaux sponsors de la Fifa (Visa, Adidas, Coca-Cola, Hyundai) ou de la Coupe du monde 2022 (Budweiser, McDonald’s, Hisense, Vivo) de maintenir leur partenariat. Seul Visa a menacé de mettre un terme à son contrat. « Notre déception et notre inquiétude vis-à-vis de la Fifa à la lumière des développements d'aujourd'hui sont profondes », avait déclaré l’entreprise dans un communiqué, ajoutant que « nous avons informé (la fédération internationale) que nous réévaluerons notre parrainage » si elle n'apportait pas de changements immédiats.

Coca-Cola s’était, lui, contenté de souligner : « cette longue controverse a terni la mission et les idéaux de la Coupe du monde et nous avons exprimé à maintes reprises nos inquiétudes à (ce) propos ». De leur côté, Sony et la compagnie aérienne Emirates avaient profité de l’arrivée à échéance de leur contrat en 2018 pour ne pas renouveler leur partenariat. C’est finalement à l’issue de la Coupe du monde 2022 que les cartes risquent d’être rebattues, les partenariats de Visa, Coca-Cola et Hyundai arrivant à échéance cette année-là...

Un organe de surveillance local indépendant

Sollicité par Stratégies, Adidas – engagé dans un partenariat de très longue durée avec la Fifa (jusqu’en 2030) – a déclaré : « Nous suivons de près tous les développements autour de la Coupe du monde et, en tant qu'entreprise, Adidas s'engage à faire respecter les droits humains parmi ses fournisseurs et partenaires dans le monde entier. » « Au cours des sept dernières années, nous nous sommes engagés avec nos partenaires pour améliorer la situation des droits humains au Qatar », poursuit un porte-parole de la marque aux trois bandes. « Cela inclut le soutien à la création d'un bureau indépendant de l'Organisation internationale du travail en tant qu'organe de surveillance local indépendant, le renforcement des droits des migrants étrangers et la promotion d'un salaire minimal national pour tous les travailleurs. »

« La puissance d’attractivité du football est telle que les polémiques n’arrêtent ni les événements, ni les passionnés de les suivre. Les polémiques n’arrêtent pas le cheval au galop », souligne Thomas Marko, fondateur et dirigeant de l’agence de relations publics du même nom. La Coupe du monde est le second événement le plus suivi au monde avec 3,6 milliards de téléspectateurs pour l’édition 2018, dont plus d'un milliard pour la seule finale. Même constat à Sportfive. « Même si, en tant que citoyen, je me pose la question de savoir s’il est bien responsable d’avoir une Coupe du monde au Qatar, il est évident que – comme tous les passionnés - je serai devant mon écran dès le match d’ouverture », reconnaît Benjamin Deblicker, VP sales de l’agence en France.

Apolitisme et fraternité

« Les grands événements sportifs se sont calés sur les grands principes des Jeux olympiques : apolitisme et fraternité, décrypte Thomas Marko. Si vous n’y allez pas, cela veut dire que vous remettez en cause ces principes fondateurs. » « Les marques sont partenaires de l’événement ou de l’organisateur, pas du pays hôte », rappelle de son côté Matthieu Caste, responsable du département sportif de l’agence Fuse (groupe Omnicom). « La Coupe du monde au Qatar ouvre une fenêtre de discussion pour faire bouger les lignes en concertation avec les dirigeants du pays. Un boycott par les marques ne reviendrait-il pas à une forme de refus d’accompagner le changement ? », s’interroge-t-il.

Le point de vue est partagé par Sporsora, l’association qui regroupe les principaux acteurs français de l’économie du sport, qui a rédigé une charte du partenariat sportif durable et créé une commission engagement responsable en 2019. « La Coupe du monde va obliger le Qatar à faire bouger les lignes en matière de droit du travail, droit des femmes et droit de l’environnement », veut croire sa déléguée générale, Magali Tézenas du Montcel. Celle-ci estime toutefois que ces changements prendront beaucoup de temps : « nous ne pouvons pas demander à un pays de mener en quelques années des changements que nous avons mis des décennies à réaliser. » « Budweiser, producteur d’alcool et sponsor d’une Coupe du monde qui se tient dans un pays qui applique la charia, c’est quand même un signe qui permet d’espérer que les choses puissent bouger un peu de l’intérieur... », espère Nicolas de Fautereau, directeur associé de l’agence spécialisée dans le marketing sportif Willie Beamen.

« Chaque marque partenaire peut, à son niveau, faire en sorte que cette Coupe du monde soit plus exemplaire. Pour contrer l’image potentiellement négative de celle-ci sur leur marque, les partenaires doivent accroître et valoriser leurs engagements responsables », conseille Nicolas de Fautereau. « Je suis partisan d’une poursuite du partenariat, complète Thomas Marko, et cela, de façon tonitruante afin d’affirmer fièrement les valeurs de la marque. » Son conseil : « Soyez acteur car sinon, les Jeux se feront sans vous ! »

« De nombreuses marques ont été associées à des scandales et s’en sont relevées », complète Benjamin Deblicker. Dans certains cas, les affaires peuvent même avoir des effets étonnamment bénéfiques : Festina et Cofidis ont vu leur notoriété augmenter considérablement à la suite des révélations de dopage dans le Tour de France. Les avocats de Lance Armstrong ont aussi soutenu que son sponsor, US Postal, avait davantage bénéficié de l’impact médiatique du scandale de dopage du cycliste américain qu’il n’en avait souffert...

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