Dossier Dossier engagement / marques utiles

Pressées de donner des garanties de leurs engagements en faveur du bien commun, les marques doivent veiller à apporter des preuves tangibles de leur utilité pour éviter les accusations dévastatrices de « purposewashing ».

En cinq ans, entre 2017 et 2022, le pourcentage de Français qui attendent d’une marque qu’elle contribue au bien commun est passé de 64 % à 89 %, et même à 94 % chez les moins de 30 ans. Ce sont les enseignements du dernier baromètre Brandgagement de Kéa Tilt. « On assiste à un vrai bouleversement, l’engagement des marques devient aujourd’hui une évidence », note Antoine Mahy, directeur conseil en innovation stratégique de ce cabinet de conseil. Selon lui, les consommateurs ont moins confiance dans les pouvoirs publics et se tournent vers les entreprises, les sommant de prendre leurs responsabilités. Reste à concilier utilité et engagement, deux notions qui ne vont pas forcément de pair. « On peut être utile sans être engagé, comme Doctolib, par exemple. Au contraire, C’est qui le patron ? ! est une marque engagée mais où est son utilité réelle ? », s’interroge Franck Saëlens, vice-président stratégie de VMLY&R. Selon lui, c’est dans l’action qu’il est possible de conjuguer utilité et engagement, avec un exemple probant, celui de Decathlon. « La marque a été utile pendant le confinement et continue à l’être en intégrant l’économie circulaire via la location de vélos ou les ateliers pour les réparer. L’engagement devient efficace quand il permet d’apporter des solutions intelligentes à la vie de tous les jours », note-t-il.

Le planneur stratégique Thomas Saunders, dont l’agence DPS (groupe Syneido) a publié un livre blanc sur l’engagement des marques, cite le modèle de l’enseigne de vêtements Des marques et vous (ex-Devianne). Celle-ci implante dans ses magasins un service, Red Lab, qui recouvre toutes les facettes de la seconde vie des produits : réparation, upcycling, revente et achat de seconde main… « Tous les retailers ne le font pas de manière aussi transversale, en prenant en compte l’ensemble des attentes et en tolérant toutes les marques », relève Thomas Saunders. « La notion d’utilité oblige à ce que l’engagement soit concret », estime Céline Veyrard, cofondatrice de l’agence Sweet Spot. Dans son portefeuille de clients figurent notamment les hôtels Campanile. Chaque établissement travaille avec des fournisseurs locaux pour les petits-déjeuners servis à la clientèle, installe dans ses jardins des arbres à insectes, limite la consommation d’eau et d’électricité, implique ses parties prenantes…

Une politique de petits pas, des engagements concrets pour se rendre utile… Mais faut-il le communiquer ? Directrice associée de l’agence Maarc, Émilie Molinier-Ravage estime que la communication peut jouer un rôle à deux titres : « D’abord en interne, en installant cette raison d’être dans tous les services, puis auprès des consommateurs et des parties prenantes en donnant à voir et en valorisant cette mission. » Selon elle, le purposewashing relève plus souvent de la maladresse que de mauvaises intentions. À trop vouloir bien faire en matière d’inclusion, par exemple, on risque le retour de bâton, comme Marks & Spencer au Royaume-Uni, quand l’enseigne avait sorti un sandwich LGBT, peu du goût des personnes concernées…

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Le risque est tel aujourd’hui que les annonceurs redoublent de prudence en matière d’affichage de leurs engagements. CNP Assurances s’est lancé il y a trois ans dans la définition de sa raison d’être. Le groupe se définit aujourd’hui comme un « assureur et investisseur responsable » soucieux d’apporter « des solutions de protection au plus grand nombre ». « Notre parti pris est de ne pas considérer la raison d’être comme un sujet de communication au profit d’un projet d’engagement de tous les métiers du groupe pour apporter des solutions concrètes à toutes nos parties prenantes », justifie Agathe Sanson, directrice dialogue parties prenantes, communication et mécénat de CNP Assurances. Dans ce cadre, l’entreprise s’est interrogée sur l’impact qu’elle pouvait avoir sur ses publics. Six parties prenantes ont été définies : collaborateurs, clients, partenaires, actionnaires, société et planète. Pour chacune, un engagement a été pris. En face de chaque engagement, des objectifs à atteindre d’ici à 2025 ont été fixés. Une vingtaine d’indicateurs de performance permettront de voir s’ils ont été atteints, par exemple en matière d’achats inclusifs, en mesurant le recours aux PME, aux entreprises des quartiers, aux acteurs de l’économie sociale et solidaire… « Nous communiquerons par la preuve : dès 2023, nous rendrons publics nos objectifs chiffrés et rendrons compte de leur avancement tous les ans », souligne-t-elle encore.

Chez L’Oréal, Laurie Deyirmendjian, directrice générale des marques, estime elle aussi que le meilleur moyen de couper court aux accusations de purposewashing est de pouvoir apporter les résultats concrets de ses engagements. Au travers de ses marques, le groupe s’est impliqué dans la lutte contre le harcèlement de rue, la dépression chez les jeunes ou l’homophobie. « À chaque fois, je peux chiffrer le nombre d’actions de formation ou les montants médias investis derrière. Si on ne le fait pas, le consommateur aura raison de se plaindre », estime-t-elle, jugeant également indispensable, pour se préserver des accusations de purposewahing, de rester « authentique et aligné avec les valeurs de la marque ».

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Dans un autre registre, Radio France, qui vient de s’engager dans un « tournant environnemental » en prenant dix grandes résolutions en ce sens, veille à ce que le message passe bien auprès du public. « C’est un engagement important mais pas un engagement partisan. En tant que service public, on se doit d’être impartial », note Xavier Domino, son secrétaire général, attentif aux remarques que les auditeurs de Radio France, souvent très impliqués, peuvent faire auprès de la médiatrice du groupe. Dernier exemple de cette prudence aujourd’hui de mise avec Uber. Passée en deux ans de 15 % à 50 % de véhicules hybrides ou électriques au sein de son parc de chauffeurs en France, la plateforme a attendu d’avoir atteint ce résultat, en septembre 2022, pour l’afficher dans une campagne d’envergure. « Face à des consommateurs super-exigeants, il faut un discours de preuves », souligne Louise Pasin, responsable de la communication d’Uber.

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