Cahier transition

C’est le héraut du fabriqué en France et de l’économie circulaire. Le PDG de Camif explique comment il a converti un distributeur endormi en modèle d’entreprise engagée.

De quand date votre prise de conscience sociale et environnementale?

Emery Jacquillat. Je situe le tournant en 2009, à la reprise de Camif. J’avais déjà lancé une société de literie sur internet et j’étais conscient de la fragilité d’une entreprise et de son écosystème. J’ai vu comment l’industrie française s’était perdue dans des aberrations, comme couper des forêts pour les transformer en meubles en kit en Chine. Camif avait copié les codes de la grande distribution à coup de promotions. Cette coopérative d’instituteurs fondée après la guerre avait perdu ses valeurs essentielles. Deux tiers de l’offre n’était plus française. Pour la relancer, il fallait mettre au coeur du projet les enjeux sociaux et environnementaux. Une entreprise peut avoir un effet positif sur la société et entraîner toute sa chaîne de valeur. J’ai donc décidé de jouer la carte du local et du made in France.

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Comment avez-vous procédé pour repositionner Camif?

En 2009 c’était très ringard le made in France. On n’avait pas encore de ministre qui posait en marinière. Mais j’avais la conviction qu’il y aurait de plus en plus de gens sensibles à la fabrication française, aux produits de qualité. À titre personnel j’avais besoin d’aligner mes convictions personnelles avec l’énergie que je mettais dans ma boîte. Une des premières choses que l’on a mises en place, c’est la transparence : filmer les usines de nos fabricants, expliquer les conditions de travail. Il fallait redonner confiance, exprimer la fierté de relancer à une marque patrimoniale. 

Rapidement s’est posée la question du financement. J’ai passé un an et demi à rencontrer des fonds d’investissement qui ne comprenaient pas mon projet. Ils me demandaient de transférer le centre d’appels de Niort à Madagascar pour gagner en rentabilité. C’est avec le fonds d’impact Citizen Capital qu’on s’est compris. On était alignés sur l’idée qu’une entreprise soucieuse de social et d’environnement aurait de meilleures performances économiques au bout, même si cela prenait du temps. La crise de 2008 n’avait pas été une crise financière, mais une crise de l’entreprise, qui avait oublié pourquoi elle existait à force de ne regarder que le profit. Nous avons commencé à réfléchir à notre raison d’être. Depuis 2017 elle est inscrite dans nos statuts : « Proposer des produits et services pour la maison, au bénéfice de l'Homme et de la planète. Mobiliser notre écosystème (consommateurs, collaborateurs, fournisseurs, actionnaires, acteurs du territoire), collaborer et agir pour inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation ».

Quels sont ces modèles? 

Il faut trouver un modèle de croissance fondé sur l’économie circulaire par opposition à l’économie linéaire qui touche aux limites planétaires. On a revu nos 20000 références dans ce sens, c’est-à-dire faire mieux avec moins, valoriser les déchets, utiliser des matériaux biosourcés, développer l’écoconception… C’est passionnant car cela suppose d’embarquer tous nos fabricants, des designers, des experts de l’économie circulaire. Aujourd’hui 78% de notre offre est fabriquée en France et 100% en Europe. Nous sommes en train de changer de métier, de passer de distributeur à éditeur. On a créé la marque Camif Edition, dédiée au design écoresponsable. On fabrique le matelas Timothée à partir du recyclage de la mousse de vieux matelas. Il a nécessité quatre ans de travail pour un prix en ligne avec les standards du marché. On propose aussi des produits reconditionnés et de la location pour les chambres d’enfants.

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En 2017, à contre-courant du marché, vous avez pris la décision de boycotter le Black Friday, le grand événement promotionnel venu des États-Unis. Quelles leçons en avez-vous tiré?

Cela a été mon acte de guerre, un marqueur très fort de notre engagement. J’ai décidé non seulement de boycotter le Black Friday mais de fermer le site  internet ce jour-là. J’ai touché au dogme de la croissance. Cela n’a pas été simple de convaincre les actionnaires, mais il fallait être radical pour que l’on en parle. J’ai convaincu par la cohérence avec notre raison d’être. Quand on est une société à mission, il faut savoir renoncer. Transformer un modèle, c’est un investissement, qui demande peut-être de sacrifier du chiffre d’affaires à court terme, mais au final, ce sont les entreprises qui font ce choix qui existeront encore demain, car elles attireront les meilleurs talents, les clients les plus fidèles. Camif a réalisé plus de 50% de croissance depuis 2017 car elle séduit de nouveaux clients qui cherchent des marques engagées. 1500 sites d'e-commerce nous ont rejoints dans le boycott du Black Friday. 

On parle beaucoup de sobriété face à l’urgence écologique. Croyez-vous aux écogestes citoyens ou faut-il des contraintes juridiques?

D’après une étude du cabinet Carbone 4, si tous les citoyens adoptaient les meilleurs écogestes, cela ne représenterait que 25% du chemin, 75% incombe aux actions collectives. Les entreprises sont le plus puissant acteur de transformation de la société, car elles ont le pouvoir d’entraîner en amont leurs fournisseurs et en aval leurs clients. De son côté, l’État peut accélérer le mouvement en mettant des barrières aux produits qui attentent à l’environnement, en favorisant les entreprises responsables par la fiscalité ou la commande publique. Je crois à un changement rapide par le basculement du modèle économique. On a besoin de toutes les énergies : les jeunes qui s’indignent, les activistes qui s’engagent à l’intérieur des entreprises, les consommateurs qui choisissent une consommation raisonnée. Le rôle des entreprises est de trouver un modèle soutenable, celui de la marque est de le rendre désirable.

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Parcours

1993. Diplômé d’HEC.

1995. Création de Matelsom.

Depuis 2009. PDG de Camif Matelsom.

2015. Certification B Corp.

2017. Entreprise à mission et boycott du Black Friday.

Depuis 2018. Président de la Communauté des entreprises à mission.

2022. Maif acquiert 82% du capital de Camif.

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