TRIBUNE

[Tribune] Recourir à la dénonciation publique dans l’intention de provoquer un sentiment de honte est une pratique certainement efficace, mais pas forcément honorable. C’est même un aveu de faiblesse quand elle est employée par un représentant de l’autorité publique, comme veut le faire Bruno Le Maire sur l'influence marketing.

Nommer pour faire honte. Voilà une pratique anglo-saxonne qui fait de plus en plus d’émules, encouragée par l’écho amplificateur que peuvent donner à tout bruit les médias et les réseaux sociaux. Le name and shame désigne le fait de mettre au pilori une personne, une organisation privée ou publique, voire un gouvernement. Le principe est simple : il s’agit d’avoir recours à la dénonciation publique, à la délation ouverte, dans l’intention de provoquer un sentiment de honte, d’appliquer une pression populaire pour tenter d’imposer la modification de pratiques, de comportements…

La mécanique du name and shame est intéressante à analyser, car elle est proche d’une technique de communication : provoquer une émotion pour susciter une réaction. Si la démarche s’apparente à une stratégie de communication, l’intention n’est pas la même.

Tout n’est pas permis en communication

Il ne s’agit pas là de promouvoir, mais de dénoncer. Il n’est pas question de valoriser un principe ou une idée, mais de les imposer, par la force de la pression populaire, que le sujet soit juste ou non. Il n’est pas question de s’appuyer sur la justice, mais de se faire justice soi-même.

Ce principe, et l’engouement qu’il suscite, est inquiétant à double titre dans une démocratie. D’une part, parce que la justice est l'un des piliers de ce régime politique, et participe à en garantir les fondements. D’autre part, parce que certains États peuvent aussi avoir recours au name and shame, pourtant contraire à l’État de droit.

Résister à la tentation

On peut comprendre ou imaginer qu’une personne isolée, désespérée, à bout de solutions face à une situation qui lui paraitrait être une injustice puisse utiliser le name and shame comme une forme de dernier recours. Cette personne s’exposera toujours au risque de poursuites pour diffamation ou injures publiques, si elle n’est pas en capacité de prouver ses dires, de démontrer des faits qu’elle dénonce.

Dans le cas d’un gouvernement, de ses représentants ou de parlementaires, ce sont eux qui présentent, proposent et font la loi. Il parait donc incohérent, inacceptable, qu’ils s’en affranchissent ou privilégient une justice populaire, de l’émotion, de la rue ou des réseaux sociaux, à celle des tribunaux et de la loi, qu’ils proposent, écrivent, votent, et qu’ils sont donc supposés représenter et respecter.

L’éthique de la communication

La communication peut se mettre au service de la justice. Elle peut jouer un rôle d’accompagnement d’une enquête, d’un procès, d’un jugement, quelles que soient les parties. Elle peut jouer un rôle de pédagogie d’un sujet, de décryptage d’une affaire, de prise de parole de protagonistes, pourquoi pas orienter voire manipuler l’opinion. En revanche, il ne lui appartient pas de rendre la justice. 

Chacun, en fonction de son éthique de la communication, appréciera les limites de ses missions et responsabilités. Mais à aucun moment il ne devrait abuser de sa position, de son pouvoir, de son autorité, pour se substituer à une institution. C’est d’autant plus vrai en communication publique.

La pratique du name and shame peut elle-même être rattrapée par la justice. Une dénonciation peut créer des préjudices de réputation, d’image, financiers... Ses victimes peuvent donc être amenées à en exiger réparation. Elle peut également provoquer des délits condamnables comme la diffamation, l’injure publique, la diffusion de fausses nouvelles… Mais quand la réputation est entachée, aucune réparation ne peut remédier à l’irresponsabilité de celles et ceux qui, dans l’exercice de leurs fonctions, se sont abandonnés à la facilité de la délation. Une pratique qui ne peut vraiment pas être considérée comme un principe de communication publique.

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