Dossier Dossier spécial femmes

Elles ne veulent plus être stéréotypées dans les publicités, mais ne souhaitent pas pour autant que les marques s'engagent sur les causes féministes par opportunisme. Les femmes de 2022 ont enterré depuis longtemps la ménagère des années 2000.

Ne l’appelez plus « Madame Michu ». La consommatrice française n’est pas non plus une « ménagère de moins de 50 ans », formule désuète qui renvoie les femmes à l’espace domestique. Depuis 2015, Médiamétrie emploie l’expression « responsable des achats », valable aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Mais que l’on ne s’y trompe pas : ce sont encore majoritairement les femmes qui réalisent les tâches ménagères au sein des foyers, et notamment les courses. En janvier 2021, 71 % des visites en grande surface sont le fait de femmes, selon une étude Nielsen.

L’égalité entre les sexes n’est pas non plus advenue sur les écrans. « 98 % des publicités de lessive, produits d’entretien ou pour bébé ciblent exclusivement les femmes, alors que les décisions d’achat sont de plus en plus partagées sur l’ensemble des catégories », relevait Kantar en 2019 dans son étude « AdReaction : Getting Gender Right ». Quant à l’essor de l'e-commerce, il participe peut-être à l’érosion des stéréotypes de genre. La connaissance client grâce à la data « a permis d’affiner les cibles marketing en fonction de centres d’intérêt et des comportements individuels, et de se détacher des grands agrégats des mass médias », estime Pascal Malotti, directeur de la stratégie de Valtech France.

Célébration de la diversité

Encore faut-il trouver le bon ton pour leur parler. « La considération [écoute, récompense de la fidélité…] est le critère sur lequel les femmes notent le plus sévèrement les marques », estime Katrine Vincent, directrice des études en connaissance des publics d’Isoskèle. De l’avis de plusieurs experts, les consommatrices cherchent également la valorisation de leur unicité, avec des produits qui leur sont adaptés. Dans les secteurs de l’apparence, la réponse à cet insight s’observe par l’essor de l’inclusivité dans les storytellings de marque. Cette valeur, chère à la génération Z, s’illustre par la célébration de la diversité des corps et des identités.

La femme d’affaires Rihanna en a fait la recette de son succès. Sa marque de cosmétiques Fenty Beauty propose 50 teintes de fonds de teint pour toutes les carnations, quand sa marque de sous-vêtements Savage x Fenty met en valeur différentes corpulences. Pour ne pas péricliter, des marques comme Abercrombie & Fitch et Victoria’s Secret, qui avaient jusque-là fondé leur image sur le culte de la minceur, rénovent leur positionnement avec des modèles plus en chair. En mars 2021, le groupe de beauté et d’hygiène Unilever a annoncé supprimer le mot « normal » de l’ensemble des communications et emballages de ses marques. Plus récemment, en février 2022, Adidas a réalisé le lancement d’une collection de 43 brassières pour toutes les formes de poitrines, « en s’excusant au passage, dans un manifeste, de ne pas l’avoir fait plus tôt », salue Flore Voiry, planneuse stratégique de l’agence Pixelis.

L'an dernier, le groupe Unilever s’est également engagé à ne plus retoucher les photos de ses mannequins. Une annonce qui a du sens avec l’histoire de sa marque emblématique Dove, pionnière dans la redéfinition des discours adressés aux consommatrices. Dès 2006, Dove alertait sur la représentation faussée du corps féminin. Lanceuse d’alerte, la marque révélait aux consommatrices le processus de fabrication d’une campagne, du shooting photo aux modifications sur Photoshop. La vidéo intitulée « Evolution », signée Ogilvy & Mather, montrait l’embellissement du visage d’une jeune femme, d’une beauté ordinaire jusqu’à devenir méconnaissable. La photo retouchée était affichée dans une rue à la vue des passantes, en l’occurrence deux adolescentes.

Le sujet est plus que jamais d’actualité : une fuite de documents internes à Instagram a mis en évidence la responsabilité de l’entreprise dans le mauvais rapport au corps des jeunes filles. En France, la mention « photographie retouchée » sur les communications commerciales a été rendue obligatoire en 2017 et, de plus en plus régulièrement, les campagnes de marques misent sur des retouches a minima. Après des années de Photoshop, la peau naturelle, avec ses aspérités et ses imperfections, fait enfin son apparition dans les campagnes publicitaires. « Depuis environ cinq-six ans, il y a une ode à l’acceptation, à l’affirmation et à l’amour de soi. Chaque marque communique à sa manière sur l’empowerment », remarque Adrien Moret, head of creative strategy de l’agence Helmut. « La beauté est avant tout le courage et la puissance de croire en soi-même », complète Julien Calot, chief creative officer à McCann Paris pour L’Oréal Paris.

Conscientisation

« En 2012, Lancôme libérait Julia Roberts de ses chaînes pour le parfum La Vie est belle. Aujourd’hui, la libération de la femme n’est plus un sujet en publicité. Désormais, la question est : que va-t-elle faire de cette liberté ? », poursuit Adrien Moret. Ce qui se joue ces dernières années dans les stratégies de communication n’est pas étranger au mouvement #MeToo. En 2017, le mot-dièse historique a renforcé l’intransigeance de l’opinion envers les abus dont sont victimes les femmes, qu’ils soient d’ordre sexuel, physique ou symbolique. Ainsi, « Babette, je la lie, je la fouette et parfois elle passe à la casserole », la publicité du groupe Candia et de son agence D’Arcy, qui avait provoqué l’ire des militantes féministes en 2000, ne passerait plus aujourd’hui auprès de l’ensemble des consommatrices dans un contexte de publicisation des violences faites aux femmes (113 féminicides recensés en France en 2021).

La conscientisation des esprits grâce aux luttes féministes et au mouvement #MeToo a des répercussions concrètes en agence de communication, notamment par la création de vigies que sont Les Lionnes depuis 2019 et #BalanceTonAgency depuis 2020. « Il y a trop de choses qui ont été pensées par des hommes pour des femmes. Mais ça évolue, on commence à voir arriver des femmes dans les directions artistiques », analyse de son côté Stéphanie Lafontaine, managing director au sein d’Accenture Interactive.

Alors que les consommateurs attendent des marques qu’elles s’engagent, certaines trouvent leur « purpose » dans le soutien aux causes féministes. C’est le cas de la marque de prêt-à-porter Camaïeu, qui s’est fait remarquer en début d’année avec une campagne contre les violences faites aux femmes, en partenariat avec l'association Solfa. L’objectif de la campagne, orchestrée par l’agence Buzzman, était de faire connaître le numéro national d’aide aux victimes, le 3919.

Purple washing

La campagne, d’utilité publique, a cependant reçu un mauvais accueil sur Twitter en raison de son activation digitale : pour interpeller ses clientes, plusieurs modèles du site marchand étaient maquillés avec des cocards et des ecchymoses. « Camaïeu était-elle légitime pour s’emparer de cette cause ? La réaffirmation du positionnement de la marque était récente et la campagne a été perçue comme opportuniste, à juste titre. La temporalité, les preuves et l’alignement avec la raison d’être sont primordiales pour agir avec justesse », estime Flore Voiry. Un avis que ne partage pas Katrine Vincent : « Les clientes ne sont pas dupes mais préfèrent une médiatisation du problème, au risque d’un purple washing. La question n’est pas tant celle de la sincérité du message que celle de son efficacité. » Contacté par Stratégies, Camaïeu n’a pas répondu à notre sollicitation.

Pour s’adosser à une cause féministe et convaincre les consommatrices de leur bonne foi, les marques ont tout intérêt à choisir le sponsoring de contenus. Plusieurs podcasts sont référents sur la thématique. « Le podcast est un média de l’intime, ce qui permet de créer du lien avec les auditrices », vante Yann Thébault, directeur général d’Acast France. « 70% des consommateurs affirment qu’ils préfèrent obtenir de l’information sur des produits à travers des contenus plutôt qu’à travers des publicités », ajoute Guillaume Doki-Thonon, cofondateur de l'agence Reech, qui prêche en faveur de l’influence marketing. Enfin, le brand content peut être une autre solution à envisager pour obtenir de l’engagement. Le pure-player Fraîches (groupe TF1), qui diffuse des témoignages de femmes, a ainsi déjà collaboré avec Nike ou encore Nana. Des stratégies qui fonctionnent auprès des consommatrices qui n’ont ainsi pas le sentiment d’être prises pour des Mesdames Michu.

Lire aussi : 

La revanche des femmes de plus de 50 ans dans la pub

Pourquoi Reebok mise sur l'inclusion ?

- Portrait : Victoire Tuaillon, l'ange du mâle

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.