Tribune

Après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, différentes statégies de communication se mettent en place au sein des entreprises françaises implantées dans le pays, avec plus ou moins de réussite.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie crée un contexte de tensions internationales inédites en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. En utilisant l’arme des sanctions économiques contre la Russie, l’ensemble des démocraties manifeste sa solidarité à l’égard du peuple ukrainien mais les conséquences sur les pays occidentaux s’en font déjà sentir - et elles pourraient être durables : hausse des prix de l’énergie, difficultés d’approvisionnement en matières premières et produits agroalimentaires, incertitudes des entreprises sur le maintien de leur présence ou de leurs approvisionnements en Russie… Après la pandémie, c’est une crise inédite à laquelle sont confrontés nombre de dirigeants.

Mais comment les entreprises les plus impactées communiquent-elles ? Comment peuvent-elles expliquer leur position à l’opinion publique, évidemment unanime à condamner l’invasion des troupes russes, mais toujours plus préoccupée par les questions d’emploi et de pouvoir d’achat ? Nous observons des stratégies de communication très diverses, selon la nature et l’ampleur des enjeux économiques.

La stratégie du silence

La stratégie du no comment a été très bien illustrée par Renault, pour qui la Russie représente le deuxième marché en volume. Leader local avec la marque Lada, l’entreprise a investi près de 2 milliards d’euros dans sa filiale AvtoVAZ et elle commençait à recueillir les fruits de ses efforts, avec 500 000 véhicules vendus en 2021. C’est pourquoi, pendant le premier mois des hostilités, l’entreprise s’est longuement contenté de ne rien dire…

Elle n’a publié aucune position officielle et a continué de poster des informations promotionnelles sur les réseaux sociaux. Agonie d’injures par des twittos rappelant le passé collaborationniste de la marque, elle a vu son action perdre un tier de sa valeur depuis le déclenchement de la guerre. Mais, le 23 mars, le président Zelensky la dénonce nommément face à nos parlementaires, l’exhortant à cesser d'être «sponsor de la machine de guerre de la Russie». La pression est alors trop forte et Renault doit publier un communiqué laconique signalant que «les activités de l’usine Renault de Moscou sont suspendues à partir de ce jour».

On peut comprendre que, pour éviter le spectre de la nationalisation par le régime russe et le désastre industriel qui pourrait s’en suivre, Renault n’ait pas imaginé avoir d’autre choix que de rester. Mais on comprend mal qu’elle n’ait pas agi sur le terrain de la communication. Sa charte éthique affirme que son développement repose sur «la confiance qu’elle donne à l’ensemble de son environnement social». Mais, en ne voulant pas s’expliquer, en laissant la polémique s’installer et s’exposant au tollé digital, elle a clairement contribué à la suspicion des marchés et au boycott de ses clients.

La stratégie du zig-zag

C’est celle que semble appliquer Total Énergies. Avant même le déclenchement de la guerre, le premier énergéticien français avait annoncé une réduction de 10 centimes par litre dans ses stations-service rurales, pour un coût de l’ordre de 50 millions d'euros. C’était à la veille d’annoncer des bénéfices annuels de près de 14 milliards d'euros. Sous la pression du gouvernement, Total Énergies vient de prolonger son effort avec l’extension de cette remise à l’ensemble de ses stations-services.

Dans le même temps, l’entreprise a continué d’acheter du gaz russe, en indiquant d’abord qu’elle ne pouvait pas s’en passer – puis elle vient d’annoncer qu’elle cessera de le faire d’ici la fin d’année. Total Énergies semble ainsi tenir compte du raidissement de l’opinion publique en faisant preuve d’une bonne volonté un peu contrainte. Et, si elle n’apparait pas comme la plus vertueuse, ni la plus cynique, la marque risque néanmoins de souffrir de ces zig-zags décisionnels, traduisant une certaine plasticité en matière d’engagements.  

La stratégie du bout des lèvres

C’est celle adoptée par les enseignes du groupe Mulliez. En dépit du bombardement de ses magasins en Ukraine, en dépit de la pression des ONG et de ses salariés en France et en Ukraine, le groupe maintient l’activité en Russie de ses magasins Auchan et Leroy Merlin. Bien sûr, la dimension économique est importante, avec, à titre d’exemple, un marché russe qui représente pour Leroy Merlin près de 18% de son chiffre d’affaires. Au-delà du chiffre d’affaires, Auchan emploierait 30 000 personnes en Russie et Leroy Merlin près de 36 000. 

Même si les dirigeants du groupe s’abstiennent de commenter, une source interne laisse entendre que le groupe «a fait le choix de ne pas quitter la Russie afin de continuer à verser les salaires et fournir de l'alimentation». C’est là un argument qu’on pourrait entendre, quitte à en débattre, s’il était revendiqué. Dommage que le mutisme de tous ces acteurs laisse le champ libre aux opposants organisés - et aux haters des réseaux sociaux.

La stratégie du rapport de forces

Du côté des agriculteurs, on communique sur la hausse inévitable de leur production, liée à la flambée des prix des engrais et de l’alimentation animale. Et on réclame l’octroi d’aides spécifiques auprès des autorités françaises et européennes. On voit bien que, de manière opportuniste, les fédérations professionnelles ont décidé de se servir de cette crise pour créer un nouveau rapport de forces : il s’agit d’accélérer la mise en œuvre de politiques en faveur de la souveraineté agricole, alimentaire et de la relocalisation d’activités en Europe de l’Ouest. Et, dans ce cas, une communication robuste, structurée et planifiée devient une puissante arme de lobbying.

Communiquer en période de crise n’est jamais chose facile. Communiquer en temps de guerre est plus difficile encore et, pour la plupart des entreprises impactées, totalement inédit. Mais les règles qui s’appliquent à une telle situation ne sont pas différentes de celles qui sont en vigueur en temps normal : une communication d’entreprise doit être explicite, claire et cohérente - et elle doit faire la preuve des engagements permanents de l’entreprise. C’est le seul moyen vraiment efficace de protéger sa réputation.

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