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Cyberattaques, retour des aléas géopolitiques, opinions exacerbées… Les nouveaux risques auxquels sont confrontées les entreprises posent un défi majeur à la communication de crise. Quelles sont les méthodes pour les anticiper et comment réagir quand ils se réalisent ?

Quelque 6,5 millions d’euros envolés en quelques minutes pour un faux communiqué de presse. C’est la mésaventure arrivée à Vinci en 2016 après la publication par Bloomberg d’une information bidonnée sur de supposées difficultés au sein du groupe de construction, entraînant un plongeon de son cours de Bourse. Si les auteurs n’ont jamais été retrouvés, l’agence de presse a été sanctionnée d’une amende de 3 millions d’euros. La désinformation n’a pas seulement des visées spéculatives. Elle peut être militante comme avec ce faux communiqué diffusé en 2020 par les activistes d’Extinction Rebellion. Il annonçait que le suédois AP7 retirait ses investissements des énergies fossiles. L’AFP avait été bernée, contrainte à annuler sa dépêche après le démenti du fonds de pension.

Depuis l'éclatement de ces affaires, des outils pour se protéger des faux communiqués de presse ont fleuri. De grands groupes comme Total Énergies précisent toujours, en bas de leurs communications adressées aux journalistes, que celles-ci sont « sécurisées et authentifiées », en l’occurrence par Wiztrust, un outil de la société Wiztopic, s’appuyant sur la blockchain pour éviter les usurpations d’identité. Plus largement, les risques liés au numérique, et tout particulièrement les cyberattaques, représentent aujourd’hui le danger numéro un pour les entreprises. « Ce risque était déjà présent avant. Il est monté significativement pendant le confinement car nous étions tous beaucoup plus dépendants du numérique. Mais aujourd’hui, avec le conflit en Ukraine, nous sommes carrément sur un champ de bataille virtuel », alerte Édouard Siméon, directeur crise et affaires publiques de BCW France. Une agence de communication n’a pas la solution technique pour sortir une entreprise d’une cyberattaque. BCW a donc noué un partenariat avec CNC Expertise, un cabinet qui agrège des experts du sujet. « En cas de cyberattaque, la personne qui doit vous trouver la solution technique pour en sortir ne peut pas être celle qui vous a installé votre système. Elle risque soit de ne pas trouver la faille, soit de ne pas vous le dire », estime Édouard Siméon.

Des procédures alternatives

Dans un environnement dégradé, le rôle de la communication consiste à aider l’entreprise à maintenir le lien avec ses fournisseurs, ses clients et ses salariés en mettant en place des procédures alternatives, tels des groupes WhatsApp. « Quand tout le monde doit fermer sa boîte mail, il vaut mieux avoir préparé à l’avance des solutions qui permettent de passer sur un canal sécurisé », plaide Émilie Molinier-Ravage, directrice associée de l’agence Maarc. Des plans de défense peuvent être préparés pour anticiper les réponses, de la même manière que les entreprises anticipent les rappels de produit. « Depuis quelques années, nous mettons en place des scénarios de crise que nous partageons avec nos clients », relève Frédéric Henry, président de FHCom. « Par rapport aux Anglo-Saxons, qui ont une culture du risque, les Français attendent souvent d’être enfermés chez eux en ayant perdu les clefs avant d’appeler les pompiers », constate Florian Silnicki, qui a fondé LaFrenchCom. Julien Auffret, directeur général de cette même agence, constate toutefois « une prise de conscience ». « On rencontre désormais des entreprises pour lesquelles le sujet n’est plus de savoir si elles vont être attaquées, mais quand », note-t-il. Une cyberattaque constitue la crise la plus complète qu’une organisation puisse connaître car elle affecte tous ses postes (fournisseurs, paie…) et peut durer des mois.

Les années 2020 marquent aussi « le grand retour des risques géopolitiques », selon Édouard Siméon. La crise des sous-marins australiens a remis le sujet sur le devant de la scène. La guerre en Ukraine et ses conséquences (approvisionnement en matières premières, mesures de rétorsion…) constituent une véritable déflagration. Comment doit-on se positionner et, surtout, s’agissant de la communication, qu’est-ce que je fais pour soutenir ma position, pour la rendre crédible ? Voilà les questions auxquelles tous les acteurs concernés doivent répondre aujourd’hui, à commencer par Renault, Total Énergies ou encore Auchan, qui ont en Russie des intérêts importants (pour l'instant, seul Renault a annoncé qu'il suspendait ses activités en Russie). « Nous avons même un client dont l’activité n’a aucun rapport avec la guerre mais qui s’est demandé s’il devait faire quelque chose. Dans un secteur où beaucoup vont communiquer, peut-on être les seuls à ne pas avoir de position ? Et laquelle prendre ? », raconte Édouard Siméon, qui a finalement dissuadé son client devant les risques de « greenwashing géopolitique ».

Exacerbation des mouvements d'opinion

Ce dernier cas illustre la montée en puissance des « crises d’opinion ». « C’est le moment où l’on vient vous reprocher, que vous soyez une entreprise ou un individu, votre prise de position, et ce, d’un point de vue moral autour de sujets comme le racisme, le féminisme, l’environnement… », explique Édouard Siméon. L’une des nouveautés, c’est l’exacerbation des mouvements d’opinion. Thomas Marko, dont l’agence du même nom travaille pour nombre de clients aux « problématiques complexes » (alcool, tabac, agro-chimie…), vit aujourd’hui « une tempête permanente ». Il remarque que les activistes se professionnalisent, à l’instar des actions menées par Extinction Rebellion ou L214 sur le bien-être animal. Pour lui, les modes d’actions de ces associations relèvent désormais de « l’événementiel ». « Récemment, Extinction Rebellion a donné à Bayer France pour ultimatum de quitter dans les trois mois ses locaux de Lyon. Vous imaginez l’ambiance en interne ! Finalement, la veille du jour J, le 4 mars, l’action commando a eu lieu dans une autre entreprise lyonnaise, BASF », relate Thomas Marko. Le 19 mars, Extinction Rebellion participait à une autre action très médiatisée, le déversement sur une voie ferrée de 1 500 tonnes de céréales pour protester contre « l’agro-industrie ».

Outils de veille. Comment une entreprise peut-elle détecter ces mouvements d’opinion ? « Aujourd’hui, il n’y a plus un seul client pour lequel on ne fasse pas une veille des réseaux sociaux. Des outils permettent de voir par exemple qu’une épidémie de grippe aviaire se prépare sur la base d’un simple tweet d’un éleveur des Landes. On est obligés d’être 24h sur 24 derrière nos écrans », note Florent Chapel, qui vient d’ouvrir à Paris le bureau français de l’agence belge Akkanto. Dans ce domaine, les outils se perfectionnent, fonctionnant avec une recherche de mots, comme Radarly, de Linkfluence. Guillaume Doki-Thonon, fondateur de Reech, une société qui construit des campagnes avec des influenceurs, récupère de la data des réseaux sociaux permettant d’éviter de s’associer à un tiers qui ne soit pas digne de confiance en analysant ce qu’il a pu dire par le passé. « Dans un avenir proche, on pourra même connaître la probabilité qu’un influenceur dérape, en analysant par exemple le profil de ses abonnés », promet-il.

En attendant que la technologie vole au secours des organisations, les entreprises seraient bien avisées de prendre en compte ce que Nelly Garnier appelle « les nouvelles formes de fabrique de l’opinion ». Autrice de l'ouvrage La Démocratie du like, paru en janvier chez Bouquins, elle dirige depuis octobre un Observatoire des crises nouvelles chez Havas Paris. Selon elle, la révolution numérique a entraîné une désintermédiation laissant les entreprises seules face à un collectif d’anonymes, sans pouvoir peser sur les relais habituels que constituaient les pouvoirs publics, les médias ou les ONG.  Cette « démocratisation de l’activisme de canapé » permet à tout un chacun de se rallier à un combat. Naissent ainsi des mouvements citoyens comme MeToo ou les Gilets jaunes. Même des sujets apparemment éloignés comme la répression des Ouïghours en Chine peuvent, par la magie d’un mouvement d’influenceuses mode interpellant les marques textile, déstabiliser un secteur. « La difficulté pour une entreprise, c’est le fait de ne pas s’être préparée. Elle doit comprendre les sujets qui créent des mobilisations citoyennes et apprendre à décoder les nouveaux modes de communication pour pouvoir réagir avec calme lorsqu’elle est interpellée, tout en sachant qu’elle n’est pas obligée de céder à toutes les revendications », estime Nelly Garnier.

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