Spécial Transition

Depuis dix ans, elle est directrice de la RSE et du développement durable du groupe L’Oréal, membre du comité exécutif. Alexandra Palt explique comment transformer une grande entreprise en champion de la transformation environnementale.

Y a-t-il eu un événement fondateur qui vous a menée vers votre poste actuel ?

Alexandra Palt. Je suis une militante des droits humains, notamment des droits des femmes et des minorités. J’ai travaillé sur les crimes de guerre, les violences sexuelles dans les conflits armés. A un moment, j’ai eu besoin de prendre un peu de recul par rapport à ces sujets très lourds. C’est ce qui m’a amenée au développement durable et au monde de l’entreprise. Mais avec les années, les enjeux de l’avenir de la planète et des souffrances humaines se sont rejoints. Les femmes, par exemple, sont aujourd’hui les premières victimes du changement climatique. 

Pensez-vous être plus utile au sein d’une entreprise que d’une ONG ?

Oui, sans aucun doute, dans une entreprise comme L’Oréal qui a compris que le développement durable impliquait une transformation de son modèle économique. C’est une transition, pas une révolution. On reste une entreprise qui se doit d’assurer la sécurité de l’emploi pour ses employés, la continuité du chiffre d’affaires. Mais on est convaincus qu’il faut faire émerger un nouveau modèle. De plus, L’Oréal a un fort engagement pour les femmes. J’ai le budget et les ressources pour accompagner des associations engagées dans la société. Je pense que j’ai pu faire plus ici qu’ailleurs.

Comment procède-t-on au changement de modèle dont vous parlez ?

Premièrement, il faut une vision. En 2013, on a dit que 100 % de nos produits auraient un impact environnemental amélioré en 2020. On ne savait pas du tout comment s’y prendre. Mais on savait que si on voulait changer l’entreprise, il fallait que ça passe par les produits. En 2020, on a annoncé que toutes nos activités en 2030 devraient s’inscrire dans les limites planétaires. C’est le programme très ambitieux L’Oréal for the Future. Notre système économique est organisé autour de la croyance dans des ressources illimitées, une consommation illimitée, des déchets illimités. On va devoir passer à une économie circulaire. Les solutions ne sont pas encore toutes là mais on a une vision.

Deuxièmement, il faut un très fort leadership. Jean-Paul Agon, notre CEO, a vu très tôt que la transition écologique allait être le sujet du 21e siècle au même titre que la transition digitale. Son successeur, Nicolas Hieronimus, poursuit cet engagement. Avoir la direction et le conseil d’administration avec soi, cela ouvre toutes les portes, ça fait avancer le modèle.

Troisièmement, il faut des plans d’action, des expertises, des succès pour montrer l’exemple et pour communiquer. Il faut intégrer le sujet dans toute la gouvernance de l’entreprise : dans chaque pays, chaque grande marque, j’ai un ou une responsable du développement durable qui siège au comité de direction et aucune conversation n’a lieu sans que cette considération ne soit prise en compte. On a aussi intégré le développement durable dans les rémunérations : aujourd’hui, tous les managers sont éligibles à un bonus en fonction des KPI du programme L’Oréal for the Future.

De quels indicateurs s’agit-il ?

Cela dépend d’où on en est dans notre plan d’action chaque année. En 2022, par exemple, nous avons priorisé la réduction des émissions de CO2 liées aux transports et le pourcentage de plastique recyclé dans les packagings. Dans deux ou trois ans, on va accélérer sur un autre domaine pour pouvoir atteindre notre objectif 2030.

Votre boussole est-elle l'Accord de Paris, qui fixe la limite de la hausse de la température mondiale à 1,5 degré ?

L'Accord de Paris concerne le climat, donc les émissions de CO2. Nous nous sommes alignés sur ce scénario mais aussi sur les « Science Based Targets », car nos objectifs concernant l’eau, l’utilisation des ressources et la biodiversité sont fondés sur la science. On ne peut pas lutter contre le changement climatique sans préserver la biodiversité. Idem pour l’eau, toutes nos usines L’Oréal vont utiliser l’eau nécessaire au processus industriel en circuit fermé, recyclé à l’infini. Idem pour le plastique, nous allons passer au 100 % recyclé. Cela signifie que notre offre sera différente en 2030 : davantage de recharges, des produits qui se rincent plus facilement ou pas du tout. La plus grande partie de notre empreinte carbone a lieu dans la salle de bain de nos consommateurs. Donc on va pousser les innovations de produits qui nécessitent peu d’eau et d’énergie, tout en étant toujours aussi performants et désirables.

Le groupe L’Oréal a publié un chiffre d’affaires en hausse de 16 % en 2021. Est-il possible de concilier limites planétaires et croissance ?

Nous avons calculé nos objectifs 2030 en tenant compte de notre trajectoire de croissance. Quand on dit qu’en 2030 chaque produit fini aura une empreinte carbone 50% inférieure à celle de 2016, cela correspond à un objectif aligné avec la science de 25 % de réduction carbone en valeur absolue, pour toute l’entreprise, y compris le scope 3 (les émissions CO2 chez nos fournisseurs et nos consommateurs). Le dernier rapport du Giec nous dit qu’on a trois ans devant nous pour changer. Il faut fixer des objectifs alignés avec les connaissances de la science et donc changer son modèle, pas juste réduire son impact. Je laisse les discussions sur la décroissance aux intellectuels, les règles du jeu planétaire sont ce qu’elles sont et l’action reste pour moi la priorité car le temps nous est compté.

Quelles sont selon vous les actions individuelles à mener tout de suite pour espérer limiter le changement climatique ?

Personnellement, je ne mange plus de viande, je prends beaucoup le train, je réduis ma consommation d’eau chaude, mais j’aime la mode et j’achète sans doute encore trop de vêtements. Et je me pardonne car c’est un processus de transformation de soi et de la société. Ce n’est pas une photo, c’est un film. Dans ce film, tout le monde évolue, il ne faut pas chercher la perfection, mais l’amélioration continue.

Dates clés

1999. Diplômée en droit de l’université de Vienne (Autriche).

2000-2003. Collaborations avec des ONG, telles que Amnesty International Allemagne.

2003. Responsable du pôle gestion de la diversité et prévention des discriminations à l’IMS Entreprendre pour la Cité.

2006. Directrice de la promotion de l’égalité à la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité). 

2008. Fondatrice de Fabric of Society, agence conseil en RSE.

2012. Directrice du développement durable de L’Oréal.

2017. Directrice générale de la Fondation L’Oréal. 

2019. Entre au comité exécutif du groupe.

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