Tribune

Dans le domaine de la création publicitaire, comme dans celui de l’art, plus rien ne se crée vraiment, tout se détourne. Et l’appropriation n’est pas seulement l’apanage des petites marques.

J’entends, tous les jours, parler d’idées créatives originales. Quand je pense aux 44 000 ans qui nous séparent de la première œuvre d’art et aux centaines de générations d’artistes qui se sont succédé, je me dis qu’il est impossible de trouver quoi que ce soit de vraiment nouveau. Qui pourrait se vanter d’avoir trouvé une faille que toute l’histoire de l’art aurait manquée ? Face à ce constat, Picasso voyait en l’appropriation la seule solution viable. Il oppose ainsi deux types d’artistes : les bons qui copient, et les grands qui volent. Même la meilleure des créations n’est pas tout à fait neuve, et je ne crois pas que ce soit son rôle. L’original n’existe pas, les grandes œuvres ne sont que de brillantes appropriations.

Tirée de l’univers artistique, cette réflexion s’adresse parfaitement à la création publicitaire. Chez les marques, s’approprier les codes des autres est plus qu’un tabou, c’est un crime ! La marque repose sur des « signes » propriétaires, qui rattachent son produit à une valeur. Cette « valeur de signe » associe par exemple les montres Rolex à la réussite. Grâce à elle, certains pensent que réussir sa vie, c’est posséder une Rolex avant 50 ans. Pour protéger leurs signes des copieurs, les marques décident généralement d’amorcer des poursuites judiciaires. Personne ne sort vraiment gagnant de ces démarches laborieuses et coûteuses. Certaines marques ont donc choisi de répondre sur le terrain du marketing, pensant que de belles campagnes valent mieux que de grands procès.

Faux Gucci et poulet frit

L’histoire qui lie Gucci au créateur Dapper Dan est un cas d’école. En 1982, le créateur ouvre sa boutique de vêtements personnalisés à Harlem. Il détourne les monogrammes des plus grandes marques de luxe dans un style unique. Pour la première fois, le luxe rencontre l’univers des quartiers malfamés. Loin d’y voir une chance, Gucci participe au procès qui fera fermer la boutique en 1992. Vingt-six ans plus tard, la collection Gucci Resort 2018 dévoile une pièce qui semble être la copie conforme d’une création de Dapper Dan. Consciente de son impact culturel et de la mauvaise presse de cette histoire, Gucci change ses positions et s’associe au créateur. De cette union naît une collection commune et la réouverture de l’atelier, avec toute la matière première et les fameux monogrammes dont Dapper Dan a besoin. Il a fallu 26 ans à Gucci pour voir dans ce détournement une chance. Cette alternative profite aux deux parties et l’idée semble avoir fait son chemin chez d’autres marques.

Récemment, KFC a constaté que prendre de belles photos de poulet frit n’est pas donné à tout le monde. La marque voit ses visuels détournés par de nombreuses petites enseignes concurrentes. Reprises avec les moyens du bord, ces photos volées sont affichées sur les devantures de ces enseignes en mauvaise résolution. En réaction, KFC lance ChickenStock, une banque d’image qui offre un accès libre à ses packshots produit en haute définition. Intelligemment, la marque s’est mise en avant. En prenant l’histoire du bon côté, elle a vu la marque de son influence, là où d’autres auraient vu un danger. Elle a maintenant ses produits affichés gratuitement dans toutes les petites enseignes.

Prendre de la hauteur au sujet de l’appropriation, c’est comprendre qu’il est en fait question d’influence. L’appropriation n’est pas que l’apanage des petites marques face aux grosses firmes. À travers ses créations, Demna Gvasalia, directeur artistique de Balenciaga, détourne des symboles issus de la grande consommation pour déconstruire les codes du luxe. Quoi que l’on pense de cette esthétique, elle nous questionne sur la portée culturelle du signe et le message que peut véhiculer son détournement. Finalement, le détournement n’est rien d’autre qu’une nouvelle opportunité de briller.

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