Tribune

Les mondes virtuels ne font rêver pour l'instant que les marques, qui y voient l'opportunité de se réinventer. Reste aux internautes à s'en emparer.

Mercredi 18 mai, 19h. Alexandre Bompard, CEO du groupe Carrefour, publie sur Twitter une courte vidéo dans laquelle des avatars 3D sont regroupés dans une salle de réunion. En légende, il explique que Carrefour vient de faire passer ses premiers entretiens d’embauche dans le métavers. 

Si le tweet d’origine peine à masquer une petite fierté et un certain enthousiasme, les réactions (près de 5 000) vont vite refroidir l’ambiance. La plupart des réponses ironisent sur la qualité des graphismes, comparés à la Nintendo 64 ou à Second Life il y a quinze ans. Les autres s’interrogent, en des termes plus ou moins courtois, sur l’intérêt de la démarche et préconisent à Carrefour de prioriser ses efforts sur le pouvoir d’achat de ses clients ou le salaire de ses collaborateurs.

Pourtant, avec cette initiative, Carrefour a réalisé ce que de nombreuses marques rêvent de faire depuis quelques mois : s’aventurer dans le métavers. Comment expliquer un tel décalage entre l’initiative de l’entreprise et les réactions des internautes ? La réalité est simple : aujourd’hui, le métavers ne fait rêver que les marques.

D’après une étude Ifop, seuls 41% des personnes de 18 à 49 ans ont entendu parler des métavers et 75% des Français ont des craintes sur le sujet. Cependant, une petite partie d’entre eux les utilisent déjà, souvent sans le savoir, en se connectant sur Fortnite, Roblox ou Sandbox ; ces espaces sont perçus comme des jeux vidéo ou des espaces de socialisation en 3D, pas vraiment des métavers et encore moins un lieu d’interaction avec des marques.

C’est l'une des principales différences avec la dernière révolution d’internet, l’avènement des réseaux sociaux, car quand les marques sont arrivées sur Facebook et Twitter au début des années 2010, ces plateformes avaient déjà une audience conséquente. C’est d’ailleurs cet engouement qui les avait conduites à suivre leurs cibles, dont certaines avec un retard qui a pu leur coûter cher.

Échappatoire

Est-ce cette peur de rater le prochain virage qui les pousse aujourd’hui à investir dans le métavers sans réelle stratégie, alors que les technologies sont encore balbutiantes et que personne ne les y attend ? C’est possible, mais ce n’est pas la seule explication.

Les marques voient aussi sans doute le métavers comme une échappatoire, une opportunité de se réinventer car leur communication au quotidien n’est pas de tout repos. Entre les contraintes de formats en perpétuelle évolution, la dictature d’algorithmes aux règles opaques, l’agressivité des échanges, la concurrence féroce pour obtenir un peu d’attention, il devient difficile de se démarquer. Sans compter l’atmosphère pesante d’une société malmenée par les crises sanitaires, économiques et environnementales, qui rendent chaque prise de parole des marques scrutée et jugée.

Ces nouveaux mondes virtuels deviennent alors soudainement des territoires vierges à exploiter et conquérir, la promesse de jours meilleurs, dans un environnement plus sain et apaisé, où l’innocence et l’enthousiasme des premières heures d’internet seraient de retour. Il est néanmoins trop tôt et c’est aux internautes de s’en emparer, pas aux marques de s’y inviter. 

D’ici là, malgré toutes les difficultés rencontrées, les marques ne doivent pas fuir les problèmes du réel mais les affronter car c’est bien dans ce monde réel que se trouvent leurs consommateurs. Des consommateurs qui, comme elles, font face à de multiples challenges. Des consommateurs qui attendent des marques qu’elles soient à leurs côtés pour les divertir, les informer, et les aider à surmonter les nombreux défis qui s’annoncent. Qu’elles soient à la hauteur du présent, à défaut d’avoir une longueur d’avance sur l’avenir. Ce qui n’empêche pas de réfléchir au futur et avec espoir, lucidité, patience, d’espérer des jours meilleurs, sur un métavers ou ailleurs.

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