Dossier Dossier Back to school

À l’approche de la rentrée, c’est un exercice pour les équipes marketing des marques enfant. La consigne : ajuster leur stratégie alors que les parents se montrent désireux de mieux consommer et que la société se montre plus vigilante aux stéréotypes de genre.

Fini les règles roses pour les filles et les ciseaux bleus pour les garçons ? « Alors que l’inflation progresse et que les prix des fournitures scolaires augmentent, les parents vont se détourner des produits genrés pour acheter des fournitures scolaires plus neutres, réemployables plusieurs années, qui peuvent se passer d’un enfant à l’autre », prévoyait fin juillet Isabelle Cussac, directrice générale de Générations & Co, société de conseil spécialisée dans le marketing de la famille. Ainsi, les produits de licences (Disney, Marvel, Pokémon…), liés à des effets de mode et dont les enfants peuvent se lasser, seront limités à des « produits sociaux » (cartables, trousses, cahiers de texte ou agendas), qui peuvent être des marqueurs de la personnalité des enfants face à leurs camarades de classe.

Au-delà de veiller à leurs dépenses, les parents répondent présents en cette rentrée aux appels à la sobriété. « 73 % se disent prêts à mettre en œuvre des comportements plus responsables, en évitant la surconsommation », poursuit Isabelle Cussac, qui cite le baromètre « Approuvé par les familles », réalisé par Générations & Co en juin 2022. « À travers leurs actes d’achat, ils éduquent leurs enfants à être les consommateurs de demain », analyse-t-elle. Un désir d’écoresponsabilité qu’elle juge relativement récent et contraire à la scission des besoins créée artificiellement par le marketing genré. Car l’un des objectifs de cette segmentation par le genre est de vendre aux familles deux déclinaisons d’un produit, l’un censé être pour les filles, l’autre pour les garçons. C’est vrai pour les fournitures scolaires, c’est encore plus vrai pour les jouets.

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Mis sur pause dans les années 70 avec les mouvements féministes, le marketing genré est de retour depuis les années 80. Il est conspué car « il installe des stéréotypes et, bien souvent, fait payer plus cher les produits aux consommatrices, c’est ce qu’on appelle la “woman tax” », résume Roxane Rose, CEO de l’agence Com & Kids. Lego fait figure de cas d’école : la marque de briques en plastique a sorti en 2012 une gamme « Lego Friends » aux couleurs acidulées pour attirer les petites filles. Cette gamme, qui existe toujours, s’avère être moins un jeu de construction, comme le sont les Lego traditionnels, qu’un jeu d’imitation avec des figurines à l’apparence de petites poupées.

Selon l’ouvrage Genre et marketing, paru en 2020 aux éditions EMS, la tranche d’âge la plus touchée par le marketing genré et les stéréotypes qu’il véhicule serait celle des 3-7 ans. La beauté et le soin de l’autre sont attribués aux filles, là où l’imaginaire des garçons est nourri d’héroïsme et d’univers guerriers. Pour lutter contre ce clivage, le ministère de l’Économie et des Finances a initié une charte pour une représentation mixte des jouets, signée par les acteurs de la filière en septembre 2019. Fabricants et distributeurs se sont ainsi engagés sur de nombreux aspects pour lutter contre les biais sexistes, depuis la conception du produit jusqu’à son conditionnement, en passant par sa mise en rayon et la formation des vendeurs. La publicité du produit est également concernée, ainsi que la scénographie des catalogues de jouets à l’approche de Noël.

Le principal enjeu avancé par cette charte est de susciter les vocations scientifiques chez les jeunes filles en luttant contre les préjugés qui peuvent les détourner des sciences dès l’enfance. « Sans s’en rendre compte et de manière assez insidieuse, on va offrir des jouets stéréotypés aux petites filles et aux petits garçons. Ce qui est frappant, c’est que ça a un impact derrière, sur leur orientation scolaire et leur carrière professionnelle », commentait à cette époque Agnès Pannier-Runacher, alors secrétaire d’État, au micro de BFM. Pour autant, cette charte n’empêche pas les faux pas. Dernière alerte en date : le « kit petite influenceuse », malette rose bonbon contenant un faux smartphone et des bigoudis, distribué par la Foir’Fouille, a été épinglé le 30 juin 2022 sur la page Facebook de l’association Pépite Sexiste.

Jeux unisexes

« Les retailers font l’effort de mettre en place des rayons thématisés par type d’activité et non par genre mais ils ont dans leur référencement des marques issues de l’étranger qui n’ont pas toujours la même éthique », décrypte Shirley Curtat-Cadet, directrice et fondatrice de l’agence Com’ des Enfants. Les marques de jouet des distributeurs se montrent quant à elles attentives à la question. Auchan Retail a ainsi fait appel à Com’ des Enfants en 2019 pour la communication autour du concept de « Cool surprise » de sa marque de jouet One Two Fun. Il s’agissait d’œufs qui contenaient des poupées à collectionner. « Ce jeu a été pensé comme unisexe. Le scénario du film était donc mixte de par son casting, avec un choix de couleurs comme l’orange et le bleu », relate Shirley Curtat-Cadet.

Toujours côté grande distribution, Super U est un pionnier sur la question du marketing non genré. Depuis 2012, le distributeur publie un catalogue de Noël faisant fi du genre supposé des produits, et ce, malgré les critiques qui lui ont été adressées au départ sur Twitter. Dans son premier catalogue, un petit garçon dorlotait une poupée tandis que des petites filles s’amusaient avec une grue. En 2015, Super U a fait appel à TBWA Paris et a communiqué sur son initiative avec la campagne « Noël sans préjugés ». « L’angle créatif est celui de la démonstration, décrit Céline Mazza, head of strategic planning de TBWA Paris. Dans les 30 premières secondes du film, des enfants tiennent des discours conditionnés puis, lâchés librement dans une salle de jeux, s’amusent sans aucune considération de genre. Les enfants n’ont pas de barrière ! », s’enthousiasme Céline Mazza.

Parmi les enseignes spécialisées, Oxybul est aussi un modèle du genre, ou plutôt d’absence de genre, depuis sa création en 2004. « Nous ne vendons pas de licences et tous nos produits sont automatiquement mixtes et inclusifs. Il faut donner libre cours à l’imaginaire des enfants », indique sa directrice de la marque, Catherine De Bleeker. De nouveaux acteurs émergent également en ligne, comme LaBoutiqueGraffiti.com, qui revendique un positionnement non genré, sans filtre fille/garçon. « Notre conviction est que les stéréotypes de genre sont transmis par les jouets », explique Anne Barroy, qui a fondé ce site e-commerce en 2019. « Pour autant, ne pas faire de marketing genré, ça ne veut pas dire ne plus vendre de produits roses ou bleus. C’est simplement laisser les possibilités ouvertes pour l’enfant », estime-t-elle.

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Un nouveau mantra qu’applique Mattel, le fabricant de l’iconique poupée Barbie, qui a collaboré à l’été 2021 avec WeMoms, une application mobile pour les femmes enceintes ou déjà mères. Lancée en 2015, l’application crée des communautés d’échange autour de sujets liés à la maternité ou à l’éducation. « L’objectif de Mattel était de promouvoir auprès des mamans la poupée pour les petits garçons, avec mise en avant des bénéfices de ce jouet sur le développement de l’enfant en termes de créativité et d’empathie », décrit Dino Jaegle, fondateur de WeMoms. « Le but était de lever de potentiels blocages psychologiques des mères », poursuit-il. L’opération a donné lieu à des articles de brand content à visée pédagogique, au live d’une coach Montessori ou encore au témoignage d’une mère expliquant que ce jeu resserre les liens dans une fratrie.

Le marketing qui exacerbe les genres en les polarisant serait-il en fin de course ? De l’avis de Cécile Badouard, chief innovation officer du groupe Becoming, « la frontière des sexes se trouble ; le sujet désormais, c’est d’être unique en son genre ». D’ailleurs, selon une étude CSA réalisée en mai 2021, les Français ont une appétence marquée pour des produits non genrés particulièrement dans la téléphonie (93 %), l’automobile (91 %), les jouets (79 %) ou encore les montres (76 %). Une opinion encore plus franche chez les membres de la Gen Z, réputés être plus « gender fluid »… Et qui, il ne faut pas l’oublier, seront les parents de demain.

La Californie et l’Espagne prennent des mesures

La critique du marketing genré n’est pas propre à la France. En Californie, une loi a été votée en octobre 2021 pour obliger les magasins de plus de 500 employés à disposer de rayons neutres, sans référence explicite à un genre, pour les jouets et produits de puériculture. La loi, qui entrera en vigueur en 2024, n’interdit cependant pas les rayons fille/garçon. En Espagne, le ministère de la Consommation a lancé une campagne fin 2021 intitulée « #HuelgaDeJuguetes : Porque jugar no tiene género » (#GrèveDesJouets : Parce que les jouets n’ont pas de genre). Un an auparavant, l’Institut des femmes, qui dépend du ministère de l’Égalité, recommandait aux agences, dans un rapport sur le sexisme dans le marketing des jouets, de faire attention aux voix off et aux mélodies (souvent douces pour les filles, dynamiques pour les garçons), de diversifier les lieux de tournages (les filles apparaissant davantage dans des espaces domestiques) et d’éliminer les poses, attitudes et gestes stéréotypés.

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