Au cœur d'une tempête médiatique après sa dépêche erronée sur la mort de Martin Bouygues, l'Agence France-Presse doit-elle craindre une confiance entamée auprès des médias, voire une vague de désabonnements? Réponses contrastées.

«A l’AFP, la fiabilité a pris le pas sur la rapidité», déclarait Michèle Léridon, directrice de l’information, en octobre, aux Assises du journalisme. Le 28 février, l’annonce erronée de la mort de Martin Bouygues a prouvé que cette règle interne était encore loin d’être comprise et partagée. Une suite de dysfonctionnements, partant d’une rumeur d’un journaliste de l’agence généralement bien informé, a entamé la réputation de l’honorable maison. «Les gens se sont mis en mode confirmation de l’info, et non pas de vérification», a déclaré Michèle Léridon à Arrêt sur Images. Le 5 mars, le directeur de la France, Bernard Pellegrin, et Didier Lauras, le rédacteur en chef, ont dû démissionner. Un signe de reprise en mains envoyé à l'establishment par Emmanuel Hoog, PDG et candidat préssenti à la présidence de France Télévisions. Même s'ils se verront proposer «d’autres postes à responsabilité».

La façon plutôt réussie dont la directrice de l’info a assumé seule – et honnêtement – la communication de crise de l’Agence n’empêche pas le label AFP de traverser une zone de turbulences. «C’est le pire qui peut arriver à ce type de marque B to B devenue grand public», estime Jean-Christophe Alquier, fondateur d'Alquier Communication. L’événement pourrait sembler anodin, mais l’image est gravement atteinte dès lors que les clients abonnés viennent sourcer leur crédibilité auprès de l’AFP en reprenant ses dépêches sans réécriture, ce qui soumet la marque à une exposition supplémentaire et en temps réel. Je ne suis pas sûr que la même erreur aurait eu un tel retentissement il y a vingt ans.» Le Conseil supérieur de l’audiovisuel va d’ailleurs engager une «procédure d’analyse» sur ces reprises par les radios et les télés.

«La moindre erreur devient un drame car il y a une réaction en chaîne, analyse Franck Louvrier, président de Publicis Events et ex-conseiller de Nicolas Sarkozy. Comment se fait-il que les médias fassent tous la même erreur? Je l’ai vue en 2010, quand RTL a annoncé qu’une baignoire était installée dans l’avion présidentiel. Si l’AFP fait bien son travail à 99,9%, elle n’a plus le monopole de l’info instantanée et elle est soumise à une très grande pression concurrentielle.» Le risque porte, selon lui, sur l’interrogation que ne vont pas manquer d’avoir certains clients dans les institutions publiques ou en presse régionale: «Est-ce qu’on peut se passer de l’AFP, résume-t-il, est-ce qu’il est très utile d’acheter ce type d’information qui peut être fournie gratuitement»?

La mauvaise réputation

Olivier Lombardie, directeur marketing et commercial du groupe AFP, reste confiant. «Nous avons été extrêmement rapide dans l’aveu de notre erreur et dans l’explication, plaide-t-il. De plus, il n’y a pas eu de reprises importantes de la part des médias internationaux et cela n’a pas eu de conséquences sur le business puisque la Bourse est fermée le samedi». Des données importantes sachant que l’AFP réalise aujourd’hui 55% de ses 170 millions d’euros de chiffre d’affaires à l’international (+3,5%), les clients français représentant chaque année un point de moins de part de marché (45%). Quant à la PQR, elle est intégralement abonnée à l’AFP grâce à un fil moins volumineux (600 dépêches) et moins cher (de 30%). En janvier dernier, Nice Matin a ainsi resigné avec l’Agence cinq ans après sa résiliation.

Pour lui, l’Agence n’aura pas à souffrir d’une mauvaise réputation durablement ancrée en France. Mieux, l’affaire Bouygues est «le révélateur en creux de l’extrême fiabilité et de la confiance que les rédactions accordent à l’AFP». Le très large retentissement qu’a eu cette fausse nouvelle serait donc le prix à payer d’une confiance aveugle qui amène certains médias - comme LCI - à créer sur leur site des systèmes d’alerte permettant une reprise automatique des dépêches.

Martin Bouygues victime de l’empressement de l’AFP et de l’algorithme? «Nous avons un écho beaucoup plus important que n’importe quel site web, souligne Olivier Lombardie, cela crée une pression supplémentaire car cela ne laisse aucune marge d’erreur.» Il importe donc pour l’Agence, comme dit Franck Louvrier, de «préférer perdre en temps pour gagner en crédibilité.»

Problème, comme l’a souligné le SNJ-CGT, Emmanuel Hoog n’a pas toujours été sur la même longueur d’onde que sa directrice de l’info. Il a reproché aux journalistes le délai de près d’une heure qu’il a fallu avant de dévoiler l’identité des douze victimes de l’attentat de Charlie Hebdo, le 7 janvier. «Ne soyez pas prisonniers de vos sources», a-t-il lâché, en constatant les informations tombées sur les comptes Twitter des médias. Le 3 avril 1996, l’AFP a annoncé l’arrivée à Dubrovnik de Ronald Brown, secrétaire d’Etat au commerce des Etats-Unis, qui venait pourtant de mourir d’un crash d’avion. Comme elle a été très vite corrigée, nul ne se souvient plus de cette erreur. Mais c’était avant le web et les alertes.  

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