Des Assises du journalisme exceptionnelles se tenaient le 14 mars au Conseil économique, social et environnemental (Cese), sur le thème de l'attentat contre Charlie Hebdo. L’occasion pour un grand nombre de professionnels de revenir sur le traitement de l’information du 7 au 9 janvier dernier.

Pour avoir utilisé un droit fondamental, la liberté d’expression, la presse française a été frappée le 7 janvier dernier par la tuerie la plus sanglante qu'elle ait jamais connue. A travers l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, et la prise d'otages survenue deux jours plus tard dans un Hyper Casher, c’est tout le système d’information d'un pays qui a été touché. Des photos, des vidéos, des nouvelles ont afflué sans cesse, alimentant une course à l’information et au scoop. Dans cette couverture média, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a relevé en février 36 manquements: 15 ont donné lieu à une mise en garde et 21, jugés «plus graves» ont entraîné une mise en demeure. L’Observatoire de la déontologie de l’information a d'ailleurs publié le 13 mars un rapport sur les événements.



Au Cese, les journalistes présents ont rappelé combien il était compliqué d’appliquer les principes de base de la profession, comme le recoupement des sources ou la vérification. Pourtant, chaque minute apporte son lot d’informations, de rumeurs mais aussi d'hypothèses plus ou moins réalistes. 

Très vite, les théories du complot se propagent sur les réseaux. Derrière leur écran, certains internautes, plus ou moins mal intentionnés, s'improvisent enquêteurs à distance pour pointer les rétroviseurs qui changent de couleur dans la voiture des frères Kouachi, une carte d’identité trop facilement découverte ou l’absence de sang lors de l’exécution glaciale du policier.

Une situation inédite qui met tout de même en lumière le travail de vérification réalisé par certaines rédactions ayant pris le parti, malgré l’urgence, de traiter les rumeurs pour en déterminer les fondements, quand les réseaux sociaux s’enflammaient tel un feu de paille. I-Télé a par exemple été le premier média à réveler sur Twitter le nombre des victimes de l'attentat contre Charlie Hebdo. Sa directrice de la réadaction, Céline Pigalle, entend «réaffirmer à quel point nous voulions certes être les premiers, mais sur l’info vérifiée, pas les premiers sur le grand n’importe quoi». Parallèlement, certaines informations devaient rester confidentielles pour des questions de sécurité - lors de la double prise d'otages à Dammartin-en-Goële et à la Porte de Vincennes - mais aussi d’enquête, lors de la traque des frères Kouachi dont l'identité a été très vite révélée.

Le débat sur les griefs du CSA 

Après l’ébullition des événements, est venu le temps de l’analyse de la gestion de ces événements. Les critiques du CSA portent sur la diffusion d’images montrant le policier abattu, Ahmed Merabet, ou encore sur les informations délivrées pendant le déroulement des opérations pouvant mettre en péril la vie des otages. On sait en effet aujourd'hui que les terroristes se tenaient informés et qu'Amedy Coulibaly avait lié son destin à celui des frères Kouachi. En d'autres termes, si l’assaut était donné à Dammartin-en-Goële, il menaçait de tuer les otages présents dans l’Hyper Casher. En conséquence, le CSA a mis en garde les médias concernés contre l'information qui s'opposerait au principe de «sauvegarde de l'ordre public», futigeant «l’annonce que des affrontements contre les terroristes avaient lieu à Dammartin-en-Goële alors qu’Amedy Coulibaly était encore retranché à la Porte de Vincennes.»

Les médias mis en cause par le CSA mettent en avant leur devoir d’informer en temps réel et se défendent d'avoir porter atteinte à l’ordre public. Face à une telle situation inédite, et en direct, l'absence d’images était-elle préférable? N'auraient-elles pas alimenté les théories du complot qui se nourrissent de la dénonciation d'une information sous contrôle? Mais, en même temps, les médias audiovisuels en continu - ce qui inclut France 2 et TF1 lorsqu'ils ont basculé en édition spéciale le vendredi 9 janvier - ne devaient-ils pas se montrer plus prudents dans leur couverture des événements, compte tenu de la menace existante?

Les interrogations subsistent, ces assises ayant révélé une fois de plus que les avis divergeaient à propos des sanctions décidées par le CSA et les griefs retenus contre les médias. Pour autant, une fracture est apparue entre les médias et de nombreux jeunes qui se méfient des organes de presse et s’estiment «mal traités» par eux. Un sentiment présent depuis plusieurs années et ravivé avec les attentats de janvier et les stigmatisations, amalgames, et association d’idées susceptibles de nuire à une partie de la population (jeunes, juifs, musulmans). Pour Divina Frau Meigs, directrice du CLEMI, «l’éducation aux médias passe notamment par la création de liens entre les écoles et les médias».

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