Edition musicale
La start-up Believe Digital, à la fois distributeur de musique en téléchargement et en streaming, vient de lever 60 millions de dollars. Entretien avec son patron et fondateur, Denis Ladegaillerie, ancien président du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), de passage au Midem de Cannes.

Comment définiriez-vous votre activité? Vous êtes à la fois distributeur sur des plateformes numériques, intermédiaire entre artistes, labels et plateformes…

Denis Ladegaillerie. D’une part, nous nous positionnons comme intermédiaire entre artistes et labels ou producteurs de contenus, d’autre part avec les plateformes de téléchargement et de streaming - Itunes, Spotify, Deezer, You Tube, etc. -, puis nous nous chargeons de redistribuer les revenus. Nous leur reversons en moyenne 70% des montants perçus. Nous gérons les droits de labels, comme Chinese Man Records (trip-hop), Versatile Records (électro) ou Scorpio (dance), et d'artistes, comme Grand Corps malade. Nous mettons à disposition un réseau de distribution en assurant les meilleures conditions commerciales. Par ailleurs, nous fournissons des solutions technologiques et des services marketing et de promotion pour les indépendants.

 

De quel type?

D.G. Nous recevons les rapports de ventes et de streaming des différentes plateformes, ce qui nous permet de négocier les conditions commerciales de diffusion. Nous avons construit des outils automatiques pour ajuster les prix de vente, de singles par exemple, en fonction des volumes vendus. Nous développons aussi des technologies d’achat d’espace automatique, de display, sur une période précise, sur les plateformes où l'on vend de la musique. Pour cela, nous avons travaillé avec une agence du groupe Havas. Et nous venons d’achever une compétition. Nous venons de lever 60 millions de dollars auprès du fonds californien Technology Crossover Ventures, qui a déjà investi dans Spotify, Facebook ou Netflix.

 

A quoi cela va-t-il vous servir?

D.G. Cela permettra de financer notre développement organique global. Nous avons réalisé 70 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014, et devrions atteindre 230 millions cette année, avec l’acquisition en avril dernier de Tune Core [qui gère le catalogue numérique d'artistes indépendants le plus important du monde]. Nous sommes aussi portés par la croissance du streaming musical: il représente près de 60% du chiffre d’affaires de la musique dans beaucoup de pays, et 43% en France en mars 2015. Nous devons donc recruter des chefs de projet spécialisés dans des segments de musique, mais aussi des développeurs, pour gérer et exploiter les datas que génère le streaming.

 

Comment la croissance du streaming transforme-t-elle le marché? Il représente 50% des droits d’auteur internet prélevés en 2014 par la Sacem.

D.G. Contrairement au téléchargement, les plateformes de streaming musical génèrent des datas, des informations sur la consommation des utilisateurs et sur leur profil. En effet, les plateformes de streaming nous communiquent les bases de données qu’elles possèdent sur les utilisateurs: sexe, âge, autres artistes écoutés... Avec le streaming, leur volume est multiplié par 200. Les statistiques quotidiennes fournies aux artistes et producteurs sont enrichies, et les mécaniques de promotion et de marketing plus ciblées.  

 

Comment percevez-vous l’évolution du marché des «pure players» dans la musique, entre Spotify, Deezer, Tidal, et ce lundi 8 juin Apple Music?

D.G. Apple a démontré avec Itunes la pertinence d’une stratégie multicontenu: il a acquis 150 millions de clients avec la musique, puis a proposé à cette base de la distribution de vidéos, etc. Spotify et Deezer font de même: proposer des contenus à leur base de clients, telles les annonces récentes de lancement de services de podcasts et de partenariats avec des médias. Le fait qu’Apple lance son service pourrait dynamiser ce segment, encore faible en France (environ 2 millions de personnes abonnées à des services de streaming payant), et le rendre plus attractif auprès du grand public.

Tidal [service de streaming lancé par le chanteur Jay-Z fin mars] a été créé par des artistes qui estiment ne pas être assez payés par le streaming musical. Or, la cible ne devrait pas être les plateformes comme Spotify, mais les maisons de disques. Avec Tidal, le producteur perçoit environ 65 centimes sur un titre téléchargé à un euro. Sur Deezer, le pourcentage reversé est du même ordre, environ 65% de l'abonnement, à partager entre toutes les maisons de disques. A ce titre, le deal entre Spotify et Sony Music, révélé par la presse, est scandaleux.

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