Edition
Dans la presse et l'édition, les notions d'épanouissement personnel, de bien être, de jouissance ou de joie profonde font vendre. Les Français aspirent au bonheur et font des heureux.

Phénomène d’édition aux Etats-Unis, filon florissant dans la presse aux Pays-Bas et en Allemagne, la tendance du bien-être sur papier gagne la France. Pascale Socquet, éditrice de Flow chez Prisma Media, a fait de la joie de l’instant présent et du recentrage sur soi le sujet de son bimestriel, lancé en février à partir d’un concept hollandais. Flow? «Un moment de lecture proposant un magazine-objet, un produit sensoriel qui renvoie des valeurs douces et nostalgiques», définit-elle. Le titre, diffusé à 80 000 exemplaires selon l’éditeur, songe à devenir mensuel.

Son concept, la «psychologie positive», est aussi ce qui a inspiré Oracom, qui a lancé le 30 avril un magazine du même nom, tiré à 90 000 ex., après avoir créé en janvier 2014 Happinez, bimestriel passé de 30 800 ex payés en France pour son numéro 1 à 41 500 ex. en fin d’année, selon l’OJD. «Cela augmente à chaque numéro, nous sommes à 60 000 ex. de diffusion totale, assure l’éditrice, Nathalie Cohen. Happinez est sur le ressenti, l’émotion alors que Psychologie Positive, à 30 000 ex., partage des sujets à partir d’études scientifiques. C’est un peu le ventre et la tête.» Depuis le 5 juin, l’éditeur s’attaque au buste avec Yoga Magazine. «Ce n’est plus, docteur, donnez-moi le remède, ajoute l’éditrice, on est dans l’exploration de pistes, on donne les outils pour que vous avanciez dans l’autonomie. C’est la posture du coach, du bon thérapeute.»

La presse dans le bon sens

Arnaud de Saint-Simon, PDG de Psychologies, qui développe une gamme de produits et de services autour du bien-être, notamment au travail avec l’IFAS, cherche à dépasser de qu’il appelle «une vision idéologique du bonheur». La nouvelle formule de son magazine, en mai, avec ses «Sept choses que font les gens heureux» (+10% en kiosques) s’éloigne de l’axe pratique de l’épanouissement personnel pour prendre en compte le «vivre-ensemble» et ses implications sur le plan sociétal, environnemental…

«Mon diagnostic est que la plupart des gens comprennent que le bonheur personnel ne peut se concevoir que dans un projet collectif», explique-t-il. D’où une formule qui se veut «plus dans la temporalité, plus nerveuse, plus journalistique, plus variée». Psychologies (306 706 ex. en DFP en 2014) a lancé en juin Le Guide du bonheur (120 000 ex.) et développe des conférences à succès avec 1 000 à 2 000 entrées payantes sur des promesses d’accomplissement personnel ou d'amélioration du sens de sa vie.

Le sens de la vie, c'est aussi ce qui anime Philosophie Magazine (47105 ex. en DFP en 2014). Pour Fabrice Gerschel, son éditeur, le bonheur est, avec la liberté, l’une des deux grandes aspirations de ses lecteurs. «Par rapport à la psychologie positive et au repli sur soi, on cherche à concilier bonheur, refus du formatage et lucidité», dit-il. Le numéro de mai «Peut-on être heureux sans travailler?» s’est vendu au total à 60 000 ex., contre 53 000 en moyenne. En novembre, le titre va tester le rapport entre bonheur et consommation. La question des nouvelles applis numériques, liées moins à la possession dans la durée qu’à la jouissance, prend une résonance nouvelle. Parallèlement, l’accélération est vécue comme une aliénation, un temps qui nous échappe. Philosophie Magazine organise aussi des conférences pour une dizaine d’entreprises.

L'édition en pleine conscience

Le filon du bonheur s'est aussi imposé dans l’édition. Livres-manuels, fictions, coffrets et coloriages antistress se multiplient dans les librairies. Coachs, philosophes, médecins, écrivains, tous se plient au genre. L’un des premiers blockbusters fut Le Moine et le Philosophe (Nil, 1997), écrit par Matthieu Ricard avec son père Jean-François Revel. Depuis, l’ancien docteur en génétique cellulaire, moine bouddhiste tibétain, essaime.

«Ce fut une prise de conscience d’un monde mercantile, et d’un désir d’aller vers autre chose. Depuis, il a toujours un public, dans les conférences qu’il organise», résume Nicole Natet, associée des éditions Allary, qui l’a auparavant édité chez Nil. Derniers livres du moine-star, Plaidoyer pour l'altruisme (Nil, 2013, 150 000 ex.) et Plaidoyer pour les animaux (Allary édition, 2014). Le psychiatre Christophe André, grand défenseur de la thérapie comportementale avec Et n’oublie pas d’être heureux (Odile jacob), vend aussi plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Les éditeurs guettent la prochaine tendance, les livres autour de la pleine conscience (mindfulness).

Côté littérature, il s’agit d’expliquer comment mieux vivre dans notre époque. Un genre qui cartonne aux Etats-Unis (un prix littéraire y a été créé à cet effet: A book for a better life). Laurent Gounelle (Kero Editions) s’inscrit dans cette veine avec L’Homme qui voulait être heureux (2008, éd. Anne Carrere). «Ce ne sont pas des livres de développement personnel, mais un romancier qui donne des leçons de vie, en racontant des histoires», résume l’éditeur Philippe Robinet. Ensuite, Le Philosophe qui n’était pas sage (2012) s’est écoulé à 180 000 exemplaires, et Le Jour où j’ai appris à vivre (octobre 2014) à 200 0000 exemplaires. Diffusé sur France Inter, le professeur de littérature Antoine Compagnon a aussi remporté un vif succès avec Un été avec Montaigne (Equateurs, 2013, à plus de 160 000 ex.).

Les éditeurs imaginent aussi des produits dérivés. Et dégotent parfois la tendance de l’année, qui sera médiatisée. Exemple, avec Hachette, qui impose en 2009, La Boîte à bonheur, un coffret qui inclut «un ouvrage de coaching, un carnet de citations, et un magnet pour avoir des bons mots qui vous reboostent apposés sur le réfrigérateur», résume Anne Le Meur, responsable éditoriale du pôle Référence Hachette.

Depuis 2012, le groupe d’édition a misé sur des livres de coloriages... pour adultes. Soit l’«art thérapie»: depuis sa sortie en juin 2012, son ouvrage Art-thérapie: 100 coloriages anti-stress s’est écoulé à 2,6 millions d’exemplaires. «Cela permet de conjuguer une activité favorisant la concentration, une dimension esthétique, et la prise de confiance en soi», explique Anne Le Meur. Résultat: «On est passés de 3 à 42 éditeurs, avec 120 titres en art thérapie.» Le bonheur, c'est simple comme un dessin.

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