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Alors que Facebook a lancé en France, le 26 novembre, Instant Articles en test avec des éditeurs comme Lagardère Active, 20 Minutes ou Condé Nast, le débat est animé entre les partisans et les détracteurs de ce format qui permet de publier directement sur l'appli mobile du réseau social.

«J’ai eu des relations extrêmement viriles avec les Gafa en 2008-2009. Aujourd’hui, on a face à nous des gens qui ont compris nos problématiques, par exemple sur les ad-blockers et la monétisation des contenus premium, et qui veulent travailler avec nous», explique Francis Morel, PDG du groupe Les Echos, lors du salon La Presse au futur, le 25 novembre. Venant d’un patron qui a lancé le site pour jeunes Les Echos Start grâce au fonds Google pour l’innovation numérique, et dont la nouvelle acquisition, Le Parisien, teste le format pour mobile Instant Articles de Facebook, cette posture ne surprend pas. D’autant qu’en matière de Gafa, le dirigeant entend bien séparer le bon grain de l’ivraie. Le 23 septembre, au vu de l’arrêt soudain et inexpliqué de Newstand, il n’a pas hésité à se dire réticent à toute forme de partenariat avec Apple News, l’application attendue en France début 2016 et qui embarque aux Etats-Unis les contenus des médias sur le système d’exploitation mobile IOS9: «Ce sont des gens dont il faut terriblement se méfier et qui ne peuvent être des partenaires stables.»

Facebook bon ou mauvais Gafa? Le débat ne porte plus seulement sur l’évitement fiscal ou les accusations d’abus de position dominante façon Google. Mais aussi sur le fond: les contenus. Jean Hornain, directeur général du Parisien, revendique une culture «testophile» sur les Instant Articles, comme sur le distributeur d’articles Blendle ou Google News.  «Si on n’essaye pas, on n’est pas prêt de trouver, dit-il. Pour l’instant, tout ce qu’on a poussé a bien marché. Le choix des articles est assuré par la rédaction et le community management.» L’idée est simple, mais elle a de quoi bouleverser les mentalités: «On peut ne pas nécessairement venir chez nous et nous retrouver sur des plateformes multiples», résume-t-il. Deux conditions néanmoins à ses yeux: que l’éditeur bénéficie des revenus publicitaires générés et qu’il soit crédité de l’audience réalisée sur Facebook.

Sur le premier point, Facebook s’est montré compréhensif. L’éditeur récupère 100% des revenus des espaces qu’il commercialise lui-même et 70% de l’inventaire vendu directement par le réseau social. C’est pour 20 Minutes France, par exemple, la possibilité de mettre à profit ses 1,4 million de fans en proposant une offre packagée de ses espaces sur mobile et sur le réseau aux 30 millions d’utilisateurs. «On va pouvoir “plugger” les inventaires de Facebook, explique Michael Fromentoux, directeur général adjoint, chargé du numérique. Il s’agit pour nous d’être présent et de voir ensuite comment développer notre audience et notre chiffre d’affaires sur mobile.» Pour l’heure réservés à l’IOS9 d'Apple, les Instant Articles offrent l’avantage de diminuer très fortement le temps de téléchargement des articles qui limite, jusqu’à présent, la consommation des contenus sur mobile. Le nombre de pages vues par visite est ainsi de 1,8 sur le site mobile de 20 Minutes, contre 9,2 sur son application.

L'importance de la mesure de l'audience

Rolf Heinz, PDG de Prisma Média, estime aussi qu’il est «vertueux» pour son groupe d’être partenaire de Facebook. «Du point de vue de l’utilisateur, c’est formidable. Dans quelle mesure cela le sera pour nous? Il faut tester.» Pour lui, cela dépend notamment de l’intégration d’offres de native advertising. Ce qui ne semble pas à l’ordre du jour, si l’on en juge par la bronca des éditeurs américains partenaires (The Washington Post, The New York Times…), qui se plaignent d’avoir des difficultés à monétiser leurs pages sous le format Instant Articles en ne disposant que d’une seule bannière (250X320mm) tous les 500 mots, les bandeaux en «rich media» n’étant pas prévus. «Mais la façon dont Facebook intègre la publicité dans son appli mobile est meilleure que le sapin de Noël, défend Rofl Heinz, qui entend bien «donner une vie à ses marques dans le monde de Facebook et en même temps en faire un levier pour conquérir une nouvelle audience».  A ce détail près: il faut mieux commencer par des «marques non établies sur le digital», dit-il. «Il y a moins à perdre», reconnaît-t-il, alors que Prisma proposera tous ses titres sur Blendle.

Le risque de cannibalisation de l’audience est ce qui incite Louis Dreyfus, le président du directoire du groupe Le Monde, à ne pas rejoindre cette alliance. «A ce stade, c’est non. Il y a la question de l’adaptation des formats publicitaires et celle de l’environnement: l’internaute, même via Facebook, vient sur le site du Monde et peut y rebondir. Il a la possibilité de naviguer sur un site et de passer d’un contenu à l’autre. Avec Instant Articles, l’article est sorti de son environnement et il porte le risque d’étouffer la marque.»  Un principe que l’on retrouve au Figaro et qui s’oppose, selon lui, à sa «stratégie en entonnoir» qui lui fait viser une population la plus large possible pour la convertir en lecteurs premiums.  

Le second point, lié à la commercialisation publicitaire, porte sur l’audience. Comme dit Xavier Romatet, PDG de Condé Nast, qui sera partenaire des Instant Articles, «le risque est d’être un pourvoyeur de trafic chez eux plutôt que faire venir ce trafic chez nous». D’où l’importance de la mesure de l’audience, qui a déjà été au cœur d’une réunion du Comité internet de Médiamétrie. Faut-il, comme aux Etats-Unis avec Comscore, permettre une comptabilité de l’audience sur le site mobile de l’éditeur? Les éditeurs ne sont pas parvenus à un accord sur ce point, même si Facebook vient de faire son entrée au sein dudit comité Internet. L’éditeur de Vogue et de Vanity Fair n’est pas inquiet: «Il a fallu dix-huit mois pour que l’audience des tablettes soient comptabilisées par Médiamétrie, les outils de mesure sont toujours en retard sur les usages.» Facebook France assure, de son côté, que le système «n’aura pas  d’impact sur l’audience organique, les Instant Articles étant considérés comme tous les autres contenus que les éditeurs postent sur Facebook

Favoriser la viralité, donc la monétisation

En somme, il s’agit rien moins que de passer  d’un système fermé à un système ouvert. «L’enjeu majeur est l’expérience utilisateurs. L’objectif est d’aller là où sont nos clients. Vous participez à l’enrichissement d’un trafic qui ne vous appartient pas, mais vous assure un retour sur investissement» ajoute Xavier Romatet. Il se dit donc favorable à tous les systèmes qui lui permettent de «faire du commerce en agrégeant des audiences tout en préservant la qualité et la spécificité des contenus». A condition, précise-t-il, que les intérêts réciproques soient bien compris en matière de partage de data.

Sur ce point, Denis Olivennes, le patron de Lagardère Active, qui vient d’intégrer Paris Match à l’expérimentation de Facebook, est clair: «Nous aurons accès aux mêmes données de comportement et de navigation que celles de nos propres sites et cela viendra enrichir nos plateformes de données.» L’éditeur, qui a par ailleurs engagé un partenariat avec Google pour développer notamment le marketing de trois chaînes You Tube et l’appli Android de Paris Match, mise sur la complémentarité: «Ils rendent visibles et distribuent les contenus, ils offrent des outils technologiques. Nous fournissons des contenus et nous les distribuons notamment avec ces acteurs et leurs outils. D'où le travail en bonne intelligence avec eux. Instant Articles, c'est exactement ça. Ça améliore l'expérience utilisateur sur Facebook, ça favorise la “viralité” des articles, donc aussi leur monétisation. En tout cas, c'est l'objectif, et l'expérience nous dira si cela fonctionne.»

Pour montrer sa bonne volonté, Facebook France vient de recruter Edouard Braud, venu d’Orange France, comme directeur des partenariats médias. A lui la tâche de gérer les relations avec les médias, de faire remonter les demandes d’évolution des formats, de tester les outils. «Nouer des partenariats innovants avec les médias français est une priorité pour Facebook. Nous souhaitons mettre tous nos produits, notre technologie et nos ressources à la disposition des médias», explique Laurent Solly, directeur général de Facebook France. La plateforme se concentre sur l’expérience de lecture des utilisateurs. Mais elle cherche aussi une relation durable avec les éditeurs: «Nous devons créer des produits et systèmes qui les aident à soutenir leur business. A cette fin, nous travaillons avec nos premiers partenaires afin de comprendre leurs exigences publicitaires et définir leurs lignes directrices soutenant leurs modèles économiques.» Les médias gardent le contrôle de ce qu’ils publient, dont ils peuvent mesurer l’engagement. Ils auront aussi accès à «des plans ou des vidéo autoplay afin d’améliorer les articles avec des caractéristiques interactives ».

Critiques sévères

Il faudra faire preuve, en effet, de pédagogie, car les critiques sont parfois très sévères. Benoît Sillard, encore président de l’Open Internet Project, qui vient de céder au groupe Figaro son groupe CCM Benchmark, estime qu’il n’y a pas de contrats équilibrés avec Facebook comme avec Google. «Tous ceux qui ont lourdement investi sur Facebook et avaient pas mal de trafic ont vu, au fur et à mesure, une partie de ce trafic disparaître», souligne-t-il. CCM l’a appris à ses dépens avec Hayatouki, le journal des femmes arabes. «Au bout d’un moment, Facebook a changé ses règles. Si vous n’achetez pas auprès de lui, la part de trafic généré est minime. Instant Articles est dans la même logique. C’est un appât pour faire travailler gratuitement toutes les rédactions du monde en échange de quelques miettes, c’est un attrape-nigaud. Il faut être bien naïf pour continuer à se faire gruger.»  Sévère mais injuste?

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