Magazine
Neuf mois après son rachat par le groupe Altice Média, L’Express a inauguré le 9 mars une nouvelle formule. Explications avec son directeur de la rédaction, Christophe Barbier.

En quoi consiste cette nouvelle formule?

Christophe Barbier. En 2013, nous avions déjà opéré un changement radical avec la suppression des rubriques. C’était une rupture épistémologique, et nous devions aller au bout. L’organisation des journalistes en services nous incitait à faire ce que font les newsmagazines depuis 40 ans, à savoir un round-up de la semaine écoulée. Cette vision est totalement obsolète, nos lecteurs n’en ont plus besoin. Par leur smartphone, par les chaînes d’information et par leur univers numérique global, ils savent aujourd’hui tout de l’actualité quand arrive la fin de la semaine. Par contre, au moment où l’actualité se produit, ils sont parfois désemparés. Les newsmagazines doivent les armer intellectuellement avant que l’actualité se produise en étant beaucoup plus dans l’anticipation. C’est cette nouvelle fonction que nous devons nous approprier. Pour l’actualité imprévisible, nous devons leur donner des clés pour la comprendre et se faire une opinion. Ce n’est pas du prêt-à-penser. Les news doivent reconquérir ce territoire qui a été laissé aux livres et aux mooks sur les causes profondes et les conséquences lointaines d’une actualité, comme les attentats du 13 novembre 2015. Ils doivent aussi élever le regard sur les sujets en offrant une réflexion plus intellectuelle et surtout en étant davantage prospectifs.

 

Concrètement, comment avez-vous réorganisé la rédaction?

C.B. Pour répondre à ces missions nouvelles d’anticipation et d’approfondissement, nous avons choisi de supprimer les services et de créer cinq grands pôles: réformes, révolutions, réflexions, reportages et réjouissances. Sur le pôle réformes, nous voulons être dans la proposition voire dans l’exigence de réformes. La rédaction, elle, se décompose en trois strates: les journalistes [une quarantaine de plumes aujourd’hui, 12 à 15 de moins qu’avant le rachat par Altice Media Group en juin 2015], les compagnons de route (par exemple des intellectuels habitués des journaux, des pigistes mi-journalistes, mi-chercheurs…), et enfin les grands esprits, comme nous l’avons fait avec Salman Rushdi l’été dernier. L’idée est d’avoir quelques fois dans l’année le point de vue de personnalités de niveau international, ce qui requière des mois de négociations.

 

Vous dites vouloir imposer des réformes. L’Express doit-il s’engager davantage?

C.B. C’est vrai que nous n’avons pas pris assez position. Dans les années 1990, le lectorat nous demandait de décrire les choses et de garder notre avis pour nous. L’Express a très bien répondu à cette demande, en mettant tous les avis respectables à égalité et, de temps en temps, en disant que lui est mieux que l’autre. Aujourd’hui, nous devons être complètement dans les combats en affirmant beaucoup plus ce que nous pensons, voire ce que nous exigeons, sans que cela soit un combat partisan, en étant au dessus de la mêlée. Nous soutiendrons ainsi les réformes publiques. Prenez l'avant-projet de loi El Khomri: c'était «pour la liberté des entreprises et des actifs» et c'est devenu «pour les nouvelles protections pour les entreprises et les salariés», ce qui montre une dégénérescence des intitulés. Nous allons promouvoir les nouvelles générations à travers leurs propositions, leurs idées, en expliquant qu’il faut mieux prendre un risque avec un jeune qui a des idées neuves qu’un risque avec un vieux qui a des idées vieilles. Nous le ferons le plus possible, sur les choix politiques et, s’il le faut, sur les choix de personnes. Ce que je voudrais pousser pour 2017, c’est que ce soit ni l’un, ni l’autre, ni l’autre; ni Hollande, ni Sarkozy, ni Le Pen. Chef de parti, éditorialiste ou gourou, c’est terminé; les gens sont dans une ère horizontale où, en fonction de leur univers ou de leurs réseaux, ils se forgent une idée. Raison de plus pour venir bombarder cette horizontalité de ce que nous pensons pour qu’ils en fassent un des éléments de leur réflexion.

 

Votre diffusion a reculé de 16,6% pour tomber à 338 000 exemplaires en 2015. Faut-il s’en inquiéter?

C.B. C’est le résultat d’une politique volontaire de notre nouvel actionnaire [Altice Media Group, également propriétaire de Stratégies], qui veut purger l’OJD de tous les exemplaires qui ne méritent pas de l’être, par exemple ceux qui s’abonnent juste pour le cadeau. Imaginez que nous avons été jusqu’à offrir des téléviseurs, un média concurrent! Cette irrationalité commerciale tenait tant que la publicité était abondante. Aujourd’hui, la tendance du marché publicitaire a inversé le rapport de force. Les années 2015 et 2016 verront l’atterrissage de l’OJD à sa valeur réelle. Nous avons également arrêté la gonflette que permettaient les suppléments régionaux. De 250 suppléments par an, nous allons passer à 100, avec pour objectif de se limiter aux sujets haut de gamme.

 

Que pensez-vous de la proposition de loi déposée par Patrick Bloch sur l’indépendance des rédactions vis-à-vis de leur actionnaire?

C.B. Ce n’est pas une loi qui peut protéger les rédactions. Pour être indépendant, un média doit gagner de l’argent, être rentable, ce qui fait que l’actionnaire n’a pas à s’en mêler. La deuxième protection vient des rédactions elles-mêmes, que ce soit dans la déontologie ou dans la construction du rapport à l’actionnaire à travers une charte. A L’Express, nous avons une société des journalistes puissante, avec une charte que l’actionnaire s’engage à respecter.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.