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Matthieu Croissandeau, président du directoire de L'Obs, répond aux accusations de la police belge. Il confie aussi qu'il a toiletté son portefeuille d'abonnés et qu'il travaille à renforcer son offre éditoriale.

 
Malgré le Prix de la presse magazine sur sa nouvelle formule, l'Obs accuse -13% en diffusion France payée en 2015. Qu’en concluez-vous?

M.C. Matthieu Croissandeau. Cela nous interroge. Mais aucun news n’a pu inverser la courbe des ventes.
Quand on a une disparition de mille points de vente par an, il n'est pas aisé d'inverser la tendance. On avait une crise d'identité il y a deux ans. Aujourd'hui, je pense qu'on n'est plus interchangeable. L'Obs a retrouvé une identité forte à la fois dans ses contenus et sur le plan graphique. Nous baissions en kiosque avant la nouvelle formule, deux fois plus que le marché. Aujourd'hui, nous baissons au même rythme. Tout en restant au cœur de notre ADN - la politique, la culture, les débats intellectuels - on va proposer des innovations dans le print et le numérique. Nous allons renforcer le service économique pour avoir une présence plus forte. Nous étoffons aussi les questions de société en allant sur le terrain avec des enquêtes et des reportages. Cette évolution aura des déclinaisons numériques avec de nouvelles verticales, et on travaille à être incontournable sur la Présidentielle. Nous voulons être un journal qui innove et invente. Côté abonnés, nous avons fait le choix de restructurer notre portefeuille en enlevant les abonnements qui nous coûtaient plus cher qu'ils ne nous rapportaient. On a supprimé le dopage. Le taux de réabonnement des primo-abonnés, depuis moins d'un an, a grimpé: on en garde un sur trois contre un sur quatre auparavant. Et pour nos plus fidèles, on est plus proche de 90%. L'âge moyen a rajeuni de deux ans, a 51,9 ans.

 

Où en êtes-vous du redressement de L'Obs?

M.C. Avant le rachat, en 2013, le groupe avait perdu 7 millions d'euros. L'année suivante, il a divisé cette perte par deux et ce sera le cas en 2015, où nous sommes à -1,7 ou -1,8 millions d'euros. On fait tout pour être à l'équilibre en 2016. Nous avons rationalisé toutes nos dépenses sans toucher à notre priorité éditoriale. Sur la clause de cession, nous avons eu près de 36 départs qui n'ont pas été remplacé par des embauches. L'idée est désormais de recruter des talents.

 

 

Sur Rue 89, vous êtes passés de 23 à 10 journalistes, en en faisant un onglet thématique de l’Obs...

M.C. Avec des propositions de reclassement dans le groupe. Quand il a été lancé, Rue 89 était un site participatif, engagé, anti-sarkozyste et un pionnier du Net. Malgré sa qualité éditoriale, il n'avait pas de modèle économique viable. En 2015, il représentait la moitié des pertes de L'Obs. Avec son activité formation, le site nous est apparu très légitime pour parler du numérique, qui met en jeu beaucoup de questions de société sur les libertés individuelles ou publiques.

 

Que répondez-vous au patron de la police belge qui vous accuse d'avoir mis en danger des policiers et la population en révélant quelques jours avant son arrestation que des traces ADN de Salah Abdeslam avaient été retrouvées lors d'une perquisition?


Matthieu Croissandeau.  Que nous faisons notre travail. Notre boulot, c'est d'offrir à nos lecteurs des informations rigoureuses et vérifiées. Cette information ne relève pas du sensationnalisme. On n' a pas parlé d'une opération en cours. Ni mentionné une intervention imminente. On n'a donc donc pas mis en péril la sécurité des personnels sur place. Et Abdeslam savait très bien qu'il avait laissé des traces! Quand le patron de la police belge se plaint qu'il y avait des équipes de télévision sur les lieux de l'intervention, il doit s'en prendre à ses services. Et je ne parle pas de tous les ratés dans la conduite de l'enquête côté belge... Avant de publier ce type d'infos, nous avons des interlocuteurs du côté de l'enquête qui nous disent si cela risque de menacer le bon déroulement de l'opération. Cela n'a pas été le cas.


Les médias belges publient des images de chatons pour ne pas gêner l'enquête...
 
Certains y ont vu un esprit de responsabilité, d'autres une presse aux ordres de la police. Ne pas nuire au bon déroulement d'une opération, je le comprends, ne pas nuire à la vie d'un témoin, c'est bien compréhensible aussi. Mais une fois qu'on a dit cela, on est quand même là pour faire notre boulot de journalistes et informer nos lecteurs en temps réel. Nos informations que se sont avérées exactes. Nous n'avons pas fait d'urgent sur l'arrestation des frères Bacraoui....
 
 
Sur Rue 89, l'objectif était aussi la réduction de coûts.
 
Quand cela a été racheté par l'Obs, il n'y a jamais eu de véritable collaboration. Rue 89 vivait à côté. Malgré sa qualité éditoriale, il n'y avait pas de modèle économique viable pour ce site. On a cherché un modèle plus posé sachant que Rue 89 représentait en 2015 la moitié des pertes de l'Obs. C'était site engagé, anti-sarkozyste et un pionnier du sen français,  participatif, quand il a été lancé. Il avait un regard sur des questions société. Rue 89 est très légitime pour parler du numérique, il a une activité formation. On s'est dit que c'était là le bon positionnement. L'actualité du numérique met en jeu beaucoup de questions de société sur les libertés individuelles ou publiques.  Sur la question des GAFA. Quand Bernard Cazeneuve est venu expliquer son projet de loi sur la surveillance, il l'a fait chez Rue 89. Il s'agit d'avoir un regard sur l'actualité du numérique et de pouvoir la décrypter.
 
Vous avez Télé Obs et Telerama, qui parle tous les deux de télévision. Souhaitez-vous des échanges éditoriaux ?
 
Pour l'instant, ce sont deux maisons bien séparées. Ce qui fait la valeur des titres du groupe, ce sont leurs identités. Il est intelligent de mutualiser la publicité, le back office ou la diffusion mais pour ce qui est des rédactions, c'est un mouvement qui n'a jamais été entamé car tout le monde est bien conscient que les lecteurs sont attachés à un titre. Télé Obs, depuis sa relance en hebdomadaire à la mi-2014, est devenu un acteur incontournable de la vie des médias et s'est ouvert à des contenus plus en phase avec les usages. On parle beaucoup plus de séries, de streaming, d'Internet... C'est aussi un formidable outil de fidélisation de nos abonnés et de recrutement. Il nous paraît plus judicieux d'avoir ce supplément éditorial uniquement quand on est abonné à l'Obs depuis janvier plutôt que les traditionnels cadeaux. 

 
Avez-vous une prévention sur la publication d'extrait de procès verbaux d'audition de témoins ou de suspects ?
 
On n'est pas là pour balancer des pv brut de décoffrage. C'est toujours passé au tamis et on essaye de repérer ce qui donne du sens à l'information. Quand Abdeslam dit qu'il ne connaît pas bien Abaaoud, on est en mesure de dire qu'il ment puisqu'il a participé avec lui à un braquage.
 
Il faut prendre des photos quand les gens sont morts de telle façon que les gens soient floutes.
 
Les actionnaires ont des exigences qui nous poussent à redresser le journal au plus vite, à ce qu'on ait une diffusion la plus large possible et qu'on soit capable d'être réactif aux évolutions du marché. C'est bien normal. Jamais ils ne se sont mêle du contenu éditorial du journal. Jamais je n'ai reçu un coup de fil à priori ou à posteriori à l'occasion de la publication d'un article. Ils ont des opinions, des idées qu'ils expriment dans la sphère publique mais ils ont conscience que le succès d'un journal repose sur son indépendance. Apres, que dans des discussions, chacun puisse avoir un avis quand on se retrouve et qu'on discute, nécessairement... Mais il ne vous a pas échappé qu'il y avait quatre actionnaires. Nous n'avons pas un actionnaire unique qui dit ce qu'il faut mettre à la Une.
 
On est un journal de gauche, progressiste, citoyen. On a démarré la nouvelle formule avec Manuel Valls qui disait qu'il fallait en finir avec la gauche du passé, ce qui ne nous a pas empêché de donner la parole ensuite à toutes les composantes de la gauche: Taubira, Tony Blair, Podemos... On est journal qui participe à la reconstruction de la gauche. On est dans le camp du progrès pas dans celui du statu quo, dans la conservation fut-elle de gauche. Il faut qu'on soit un laboratoire de recomposition de la gauche, capable d'inventer. Pas le journal d'un parti, d'un homme. Dans les personnes qui s'expriment, vous pouvez avoir Emmanuel Todd, mais aussi Pierre Rosanvallon, Daniel Cohen ou Régis Debray. Cela n'empêche pas de prendre position : contre la déchéance de nationalité mais pour une réforme en faveur de la flexibilité du travail même si nous estimions que celle de Myriam El Komhri n'était pas assez équilibrée.
 
La fusée Macron.
 
On est pas là pour le soutenir ou le combattre. Le temps est révolu ou un journal doit être celui d'un homme ou d'un parti. C'est le meilleur moyen d'envoyer un journal dans le mur. La gauche n'est pas monolithique. On peut se sentir proche de Macron, de Valls ou d'Aubry sur tel ou tel point. L'idée d'un catéchisme révolutionnaire qui nous ferait coller à 100% à la ligne d'un homme ou d'un parti, c'est fini. Souvenez-vous la campagne de 2005 où on disait "ils vous "mentent" en accusant le nonistes. On avait un peu oublié notre boulot de journaliste qui était de raconter cette France du non sans remettre en cause notre ligne pro européenne. On n'a pas su voir qu'il y avait une interrogation sur l'éloignement des centres de décision , sur l'impact de la mondialisation sur le modèle français.   est là pour regarder. C'est quelqu'un capable de réinventer la gauche de façon moderne, transgressive et au-delà de ses tabous. Cela fait pas un programme. Mais quand il met le doigt au moment de sa loi sur des professions qui vivent en cercles fermés avec une économie de la rente, ce fait partie des modèles qu'on doit être capable de réinterroger.

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