Presse
Dans un entretien exclusif qu'il a accordé à Stratégies, Matthieu Croissandeau, coprésident du directoire de L'Obs, s'explique sur la baisse de diffusion de son magazine, son positionnement politique et les relations avec ses actionnaires. Entretien réalisé le 28 mars que nous publions dans son intégralité à l'occasion du Prix des magazines de l'année, dont L'Obs était le grand lauréat en 2015.

Malgré le Prix du magazine de l'année 2015 sur sa nouvelle formule, l'Obs accuse -13% en diffusion France payée l'an dernier. Qu’en concluez-vous?

Matthieu Croissandeau. Cela nous interroge. Mais aucun news n’a pu inverser la courbe des ventes. Quand on a une disparition de mille points de vente par an, il n'est pas aisé d'inverser la tendance. Avant la nouvelle formule, nous baissions en kiosque deux fois plus que le marché. Aujourd'hui, nous baissons au même rythme. On avait une crise d'identité il y a deux ans. Désormais, je pense qu'on n'est plus interchangeable. L'Obs a retrouvé une identité forte à la fois dans ses contenus et sur le plan graphique.

Tout en restant au cœur de notre ADN - la politique, la culture, les débats intellectuels - on va proposer des innovations dans le print et le numérique. Nous allons renforcer le service économique pour avoir une présence plus forte. Nous étoffons aussi les questions de société en allant sur le terrain avec des enquêtes et des reportages. Cette évolution aura des déclinaisons numériques avec de nouvelles verticales, et on travaille à être incontournable sur la présidentielle. Nous voulons être un journal qui innove et invente. Côté abonnés, nous avons fait le choix de restructurer notre portefeuille en enlevant les abonnements qui nous coûtaient plus cher qu'ils ne nous rapportaient. On a supprimé le dopage. Le taux de réabonnement des primo-abonnés, depuis moins d'un an, a grimpé: on en garde un sur trois contre un sur quatre auparavant. Et pour nos plus fidèles, on est plus proche de 90%. L'âge moyen a rajeuni de deux ans, a 51,9 ans.

 

Où en êtes-vous du redressement de L'Obs?

M.C. Avant le rachat, en 2013, le groupe avait perdu 7 millions d'euros. L'année suivante, il a divisé cette perte par deux et ce sera le cas en 2015, où nous sommes à -1,7 ou -1,8 million d'euros. On fait tout pour être à l'équilibre en 2016. Nous avons rationalisé toutes nos dépenses sans toucher à notre priorité éditoriale. Sur la clause de cession, nous avons eu près de 36 départs qui n'ont pas été remplacés par des embauches. L'idée est désormais de recruter des talents. 

 

Sur Rue 89, vous êtes passés de 23 à 10 journalistes, en en faisant un onglet thématique de L’Obs...

M.C. Avec des propositions de reclassement dans le groupe! Quand Rue 89 a été racheté par L'Obs, il n'y a jamais eu de véritable collaboration. Le site vivait à côté. Malgré sa qualité éditoriale, il n'avait pas de modèle économique viable. On a cherché un modèle plus posé, sachant que Rue 89 représentait en 2015 la moitié des pertes de L'Obs. C'était un site engagé, anti-sarkozyste et participatif, quand il a été lancé. Il avait un regard sur des questions de société. Rue 89 est très légitime pour parler du numérique, il a une activité «formation». On s'est dit que c'était là le bon positionnement. L'actualité du numérique met en jeu beaucoup de questions de société sur les libertés individuelles ou publiques. Sur la question des GAFA. Quand Bernard Cazeneuve est venu expliquer son projet de loi sur la surveillance, il l'a fait chez Rue 89. Il s'agit d'avoir un regard sur l'actualité du numérique et de pouvoir la décrypter.  

 

Télé Obs et Télérama parlent tous les deux de télévision. Souhaitez-vous des échanges éditoriaux au sein du groupe Le Monde?  

M.C. Pour l'instant, ce sont deux maisons bien séparées. Ce qui fait la valeur des titres du groupe, ce sont leurs identités. Il est intelligent de mutualiser la publicité, le back office ou la diffusion mais, pour ce qui est des rédactions, c'est un mouvement qui n'a jamais été entamé, car tout le monde est bien conscient que les lecteurs sont attachés à un titre. Télé Obs, depuis sa relance en hebdomadaire à la mi-2014, est devenu un acteur incontournable de la vie des médias et s'est ouvert à des contenus plus en phase avec les usages. On parle beaucoup plus de séries, de streaming, d'internet... C'est aussi un formidable outil de fidélisation de nos abonnés et de recrutement. Il nous paraît plus judicieux d'avoir ce supplément éditorial uniquement quand on est abonné à l'Obs - depuis janvier - que les traditionnels cadeaux.

 

Comment définiriez-vous politiquement L'Obs?

M.C. On est un journal de gauche, progressiste, citoyen. On a démarré la nouvelle formule avec Manuel Valls qui disait qu'il fallait en finir avec la gauche du passé, ce qui ne nous a pas empêché de donner la parole ensuite à toutes les composantes de la gauche: Taubira, Tony Blair, Podemos... On est un journal qui participe à la reconstruction de la gauche, un journal dans le camp du progrès et pas du statu quo, un journal qui n'est pas dans la conservation. Il faut qu'on soit un laboratoire de recomposition de la gauche, capable d'inventer. Pas le journal d'un parti ou d'un homme. Dans les personnes qui s'expriment dans l'Obs, vous pouvez avoir Emmanuel Todd, mais aussi Pierre Rosanvallon, Daniel Cohen ou Régis Debray. Cela n'empêche pas de prendre position: contre la déchéance de nationalité mais pour une réforme en faveur de la flexibilité du travail, même si nous estimions que celle de Myriam El Komhri n'était pas assez équilibrée. 

 

Vous avez titré en mars «la fusée Macron» quand L'Express a publié une interview exclusive de cet homme politique intitulée «Ce que je veux pour 2017». Exprimez-vous un soutien au ministre de l'économie?  

M.C. On n'est pas là pour le soutenir ou le combattre. Le temps est révolu ou un journal devait être celui d'un homme ou d'un parti. C'est le meilleur moyen d'envoyer un titre dans le mur. La gauche n'est pas monolithique. On peut se sentir proche de Macron, de Valls ou d'Aubry sur tel ou tel point. L'idée d'un catéchisme révolutionnaire qui nous ferait coller à 100% à la ligne d'un homme ou d'un parti, c'est fini. Souvenez-vous la campagne de 2005 où on disait «ils vous mentent» en accusant les nonistes. On avait un peu oublié notre boulot de journaliste, qui était de raconter cette France du «non» sans remettre en cause notre ligne pro-européenne. On n'a pas su voir qu'il y avait une interrogation sur l'éloignement des centres de décision, sur l'impact de la mondialisation sur le modèle français... Cela étant dit, Emmanuel Macron est quelqu'un de capable de réinventer la gauche de façon moderne, transgressive et au-delà de ses tabous. Cela ne fait pas un programme. Mais quand il met le doigt au moment de sa loi sur des professions qui vivent en cercles fermés, avec une économie de la rente, cela fait partie des modèles qu'on doit être capable de réinterroger.

 

Quelles sont les exigences de vos actionnaires: Pigasse, Niel, Bergé et Perdriel.

M.C. Les actionnaires ont des exigences qui nous poussent à redresser le journal au plus vite, à ce qu'on ait une diffusion la plus large possible et qu'on soit capable d'être réactifs aux évolutions du marché. C'est bien normal. Jamais ils ne se sont mêlés du contenu éditorial du journal. Jamais je n'ai reçu un coup de fil a priori ou a posteriori à l'occasion de la publication d'un article. Ils ont des opinions, des idées qu'ils expriment dans la sphère publique mais ils ont conscience que le succès d'un journal repose sur son indépendance. Après, que, dans des discussions, chacun puisse avoir un avis quand on se retrouve et qu'on discute, nécessairement... Mais il ne vous a pas échappé qu'il y avait quatre actionnaires. Nous n'avons pas un actionnaire unique qui dit ce qu'il faut mettre à la une.

 

Que répondez-vous au patron de la police belge qui vous accuse d'avoir mis en danger des policiers et la population en révélant que des traces ADN de Salah Abdeslam avaient été retrouvées, lors d'une perquisition, quelques jours avant son arrestation?

M.C. Que nous faisons notre travail. Notre boulot, c'est d'offrir à nos lecteurs des informations rigoureuses et vérifiées. Cette information ne relève pas du sensationnalisme. On n' a pas parlé d'une opération en cours. Ni mentionné une intervention imminente. On n'a donc donc pas mis en péril la sécurité des personnels sur place. Et Abdeslam savait très bien qu'il avait laissé des traces! Quand le patron de la police belge se plaint qu'il y avait des équipes de télévision sur les lieux de l'intervention, il doit s'en prendre à ses services. Et je ne parle pas de tous les ratés dans la conduite de l'enquête côté belge... Avant de publier ce type d'infos, nous avons des interlocuteurs du côté de l'enquête qui nous disent si cela risque de menacer le bon déroulement de l'opération. Cela n'a pas été le cas.

 

Les médias belges publient des images de chatons pour ne pas gêner l'enquête... 

M.C. Certains y ont vu un esprit de responsabilité, d'autres une presse aux ordres de la police. Ne pas nuire au bon déroulement d'une opération, je le comprends; ne pas nuire à la vie d'un témoin, c'est bien compréhensible aussi. Mais une fois qu'on a dit cela, on est quand même là pour faire notre boulot de journalistes et informer nos lecteurs en temps réel. Nos informations se sont avérées exactes. Nous n'avons pas fait d'urgent sur l'arrestation des frères Bacraoui, comme l'AFP...  

 

Avez-vous une prévention sur la publication d'extrait de procès verbaux d'audition de témoins ou de suspects?

M.C. On n'est pas là pour balancer des PV bruts de décoffrage. C'est toujours passé au tamis et on essaye de repérer ce qui donne du sens à l'information. Quand Abdeslam dit qu'il ne connaît pas bien Abaaoud, on est en mesure de dire qu'il ment puisqu'il a participé avec lui à un braquage. 

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