Stratégie de marque
Prise de participation croisée dans Mediaset, annonce d'un Netflix européen, lancement d'une offre de séries sur mobiles, prise de 15% dans la Fnac... A travers ses multiples manœuvres, le groupe chapeauté par Vincent Bolloré mène une stratégie mondiale autour de l'identité latine.

Ce 14 avril, Simon Gillham, le président de Vivendi Village, directeur de la communication du groupe Vivendi et membre du directoire, prend la parole à l’occasion du premier anniversaire de son entité de 770 salariés qui regroupe diverses composantes: Vivendi Afrique, Watchever (service de SVOD en Allemagne), Olympia Production, Radionomy, Vivendi Talents, Live ou encore Ticketing… «La chaîne de valeur de Vivendi montre un ensemble cohérent, explique-t-il. Il y a des talents, des marques, la production de spectacles vivants, les salles, la production audiovisuelle, la diffusion médias, la billetterie qui amène des clients, les produits dérivés. Tout cela fait un vrai sens. C’est ce qu’on essaye de créer en termes de synergies avec le Village.»

Un exemple de ces synergies a été donné sur France 2, une semaine plus tôt, par un Complément d’enquête féroce sur Vincent Bolloré. On y retrouvait un caméraman d’I-Télé prenant des images à Conakry, à l’occasion d’un grand concert contre le virus Ebola qui allait servir d’estrade au président guinéen, Alpha Condé, dont le groupe Bolloré a obtenu la gestion du port dans la capitale (*). «On est ici des visiteurs et l’on doit rester poli», justifiait Simon Gillham. Retransmis sur Dailymotion, cet événement réalisé le 26 septembre pour la pose de la première pierre d’un Canal Olympia installé au cœur d’une «Blue Zone» de Bolloré, a bénéficié d’une mobilisation des groupes Canal+ à travers sa chaîne africaine A+ ou D17 ainsi que d’Universal Music, via le label Island Africa. La gagnante du télécrochet de ce label, diffusé sur A+, est l’une des artistes qui se produira sur la scène de l’Olympia, le 21 avril à Paris, pour un Vivendi Talent Show, après l’assemblée générale du groupe.

Souffle européen

Découvrir les talents, les faire connaître en assurant leur exposition médiatique, percevoir des recettes sur les tickets vendus… C’est un des objectifs du président du Conseil surveillance de Vivendi et de son patron du directoire, Arnaud de Puyfontaine. D’ici à dix-huit mois, il s’agit de créer en Afrique une quinzaine de ces Canal Olympia, salles de 350 places – 10 000 à l’extérieur – qui mêleront séances de cinéma et concerts. La première réalisation est attendue le 14 juin à Yaoundé, au Cameroun. «On va remettre l’Olympia au cœur du village», résume Simon Guillham, qui reconnaît sans ambages: «Evidemment, nous profitons de la présence du groupe Bolloré dans la région, car on peut aller beaucoup plus vite que la concurrence.»

Ce n’est bien sûr pas la seule ambition de Vincent Bolloré, qui veut faire de Vivendi «un groupe industriel intégré». Pour cela, les structures de Vivendi Village doivent travailler entre elles et avec les autres entités du groupe. Pour le Festival de Brive-la-Gaillarde (Corrèze), par exemple, sont mobilisés Dailymotion et Digitick, avec ses expériences de bracelets «cashless». Et Radionomy assure la webradio d'Hamac Festival, dans le IXe arrondissement de Paris.

Pourtant, il manquait dans ce mécano un souffle européen. La prise de participation croisée de 3,5% dans Mediaset, le groupe de Silvio Berlusconi, associé au rachat à 100% de Mediaset Premium, offre l’opportunité de créer un acteur latin de la télévision payante. D’autant que Bolloré possède 24,9% de Telecom Italia et qu’il est en mesure d’y favoriser la distribution des contenus de Vivendi comme de Mediaset. Un retour vers les télécoms en vue pour ce groupe qui a vendu SFR et le brésilien GVT? «Non, le doux rêve de diffuser ses contenus par les télécoms est impossible à réaliser, confie Stéphane Roussel, directeur général de Vivendi, chargé des opérations. Pas seulement pour une question d’argent, mais aussi parce que les réglementations sont locales. Au Brésil, par exemple, pas question de diffuser le football autrement que sur des médias gratuits. Notre stratégie, c’est donc d’être en amont sur les contenus et de trouver des partenariats. Cela peut être en prenant une participation, comme avec Telecom Italia, mais il y a d’autres pays où il suffit de signer les accords commerciaux.» C’est notamment le cas en Espagne où, précise-t-il, des partenariats commerciaux seront signés sur les «bundles» (liasse ou lot) de Telefonica pour distribuer les formats courts de Studio+ et d’Universal.

La plateforme OTT, partie émergée de l'iceberg

Une telle stratégie suppose de renforcer Canal+, menacé en France par Be in Sports. L’accord de distribution exclusive des chaînes du groupe qatari, qui attend le feu vert de l’Autorité de la concurrence, représente la somme vertigineuse de 1,7 milliards d’euros sur cinq ans. «C’est énorme, mais le retour aussi est énorme, confirme Stéphane Roussel. Si nous avons l’autorisation, nous allons plutôt aller vers un modèle à la Sky, avec une plateforme commune pour Canal, et nous laisserons les clients choisir des blocs, selon leurs affinités.» A un Canal+ un peu monolithique, reposant sur le cinéma et le sport, devrait succéder une offre plus à la carte permettant une sélection de programmes, «des cubes», en fonction d’une base commune.

Outre cet accord, Vivendi entend créer une réplique à Netflix avec Mediaset. Canal Play est-il la bonne réponse? Le nombre d’abonnements de ce service de SVOD serait passé de 770 00 à 500 000 entre fin septembre et aujourd’hui en raison de la décision de SFR de ne plus le mettre en bundle et de lui préférer son propre service Zive, selon BFM Business. Une réflexion est en cours pour refondre cette offre et changer le nom de Canal Play. «On n’a pas un problème de produit, mais de marque, souligne Stéphane Roussel. On est presque victime de la puissance de la marque Canal. Les gens non avertis ne comprennent pas ce que c’est.»

Justement, les séries pour mobiles de Studio+ viennent de montrer l’exemple en fédérant Vivendi Contents, Canal+ OTT et la technologie de Watchever. L’occasion de créer une application sous une marque unique? La start-up allemande peine en tout cas à s’imposer, avec moins de 300 000 abonnés et un chiffre d’affaires 2015 de 16 millions d’euros, en baisse de 38%. Dur pour Vincent Bolloré, qui s’est étonné des 135 millions d’euros investis en deux ans dans cette affaire et aurait cherché à vendre, toujours selon le site de BFM. «Il faut être prêt à investir sous une autre marque, fait remarquer le patron de Watchever, Karim Ayari. Il y a du pour et du contre. Mais c’est mieux d’être une marque unique quand on est partenaire des studios américains, qui ont tout intérêt à faire émerger des alternatives à Netflix.»

Un nouvelle offre mondiale «Over The Top», rivale de Netflix, avec Canal+ et Mediaset Premium, comme annoncé, et peut-être aussi Watchever, peut ainsi faire sens. «Maintenant, nous travaillons tous ensemble, on n’est pas dans la méfiance, ajoute le dirigeant de la start-up allemande, qui précise son positionnement: «Nous avons des contenus de “mass market” et, dans un deuxième niveau, nous appuyons sur les catalogues européens et français.» Ce positionnement, né de mutualisations multiples, séduit Jérôme Bodin, analyste financier chez Natixis: «Cette stratégie de l’identité latine a du sens. Pour moi, c’est même la seule. Il est indispensable d’avoir une plateforme OTT qui couvre plusieurs pays, mais cette idée de Netflix européen n’est qu’une petite dimension par rapport à une approche qui inclut les accords de distribution avec les opérateurs télécoms, la télévision payante et la production de contenus qu’il faut exporter dans le monde.»

Le coup d'après: être un Amazon français?

En attendant ces convergences, Vincent Bolloré continue de pousser ses pions. Une pétition circule sur les réseaux sociaux pour défendre Le Petit Journal, en pleine renégociation de son contrat avec Canal+ tandis que Le Journal du Festival de la chaîne, à Cannes, sera produit par Banijay Zodiak, dont Vivendi détient 26,2%. Sa prise annoncée de 15% du capital de la Fnac, soumise à l'Assemblée générale du 17 juin, vise encore à favoriser la distribution de ses produits culturels, que ce soient des abonnements à la TV payante, des vidéos Studio Canal, des disques et des concerts Universal ou même des jeux Ubisoft. «Cela fait longtemps qu’on y réfléchit, ce n’est pas absurde de mélanger le physique et le digital, observe Stéphane Roussel. Nos produits sont proches de ceux de la Fnac.» En ligne de mire: encore un actif du Village, Ticketing, qui vend les deux tiers de ses quinze millions de billets en dehors de France et qui trouveraient un prolongement heureux dans le réseau international de la Fnac. A Vivendi, certains se mettent même à rêver à des plateformes de distribution digitale, à travers Dailymotion ou Radionomy, qui serait une alternative à Amazon. Après un Netflix européen, un Amazon français?

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