Dossier Programmatique
Les datas permettent un ciblage de plus en plus perfectionné, mais rendent difficile l’identification des leviers d’efficacité.

«Le programmatique est inséparable de la data, souligne Sophie Poncin, présidente du SRI (Syndicat des régies internet) et directrice d’Orange Advertising. Sans elle, il se réduirait à une simple automatisation de l’acte d’achat.» Avec la promesse de toucher la bonne personne au bon moment, la technologie de vente d’espace publicitaire s’est engouffrée dans le traitement de la donnée. Car «plus la connaissance est poussée, plus l’investissement est éclairé», estime Karine Lucas, directrice data d’I-Prospect, le trading desk de Dentsu Aegis Networks.

La data se place donc au cœur de la stratégie des annonceurs. Et ceux-ci n’en manquent pas, entre leurs propres datas et celles des éditeurs, chacun pouvant enrichir les siennes avec celles de l’autre ou de parties tiers, notamment des différents intermédiaires intervenant dans l’écosystème. En outre, «avec l’explosion du mobile, le volume a doublé en dix-huit mois, chiffre Eric Clémenceau, directeur général France de la DSP Rocket Fuel. Le programmatique est souvent comparé à la finance, mais, en un jour, la publicité sur internet agrège plus de datas que le Nasdaq en un mois.» Ainsi, sa société disposerait «de 3 milliards de profils à travers le monde et analyse 7,7 milliards opportunités publicitaires chaque jour pour se doter d’une vision d’ensemble», détaille-t-il.

Croiser les datas en temps réel

Aux données sociodémographiques se sont progressivement ajoutées les datas comportementales, fournies par le suivi des internautes sur la Toile, celles sur les intentionnistes, largement alimentées par l'e-commerce, et les données attitudinales provenant majoritairement des échanges sur les réseaux. Et «la data ne doit pas concerner que la cible, mais également le contexte de diffusion», ajoute Guillaume Mazain, directeur général France de Videology. Au global, les différents acteurs du programmatique disposent largement de quoi peaufiner leur ciblage.

Mais «l’important, c’est de croiser la data en temps réel, pour pouvoir agir rapidement, pense Eric Clémenceau. Dans ce schéma, «la first party data des annonceurs devient de plus en plus forte», observe Erwan Le Page, directeur général d’Audience Square. A l’instar d’Axa, qui a développé sa DMP avec Weborama et n’utilise plus que celle-ci. «L’annonceur a compris qu’il peut en faire un outil de ciblage et optimiser l’argent qu’il investit, poursuit le dirigeant de la place de marché des éditeurs. Le ciblage, qui était un sujet des agences médias, a évolué.»

Enrichissement des données

Un changement bien intégré chez Dentsu Aegis Networks, où le positionnement consiste «à trouver avec I-Prospect Data Consulting comment faire fonctionner tout le monde», résume Karine Lucas. Ce pôle audite le potentiel data de chacun et essaie d’articuler l’ensemble. En conséquence, I-Prospect encourage les parties à se doter de datas et à les enrichir, notamment avec le CRM. «C’est une opportunité, mais aussi un enjeu d’organisation de compétences, prévient-elle. N’oublions pas qu’il y a plus de 1 600 technologies disponibles dans ce secteur.»

Le concurrent Havas Media France, lui, joue la carte de l’expertise en la matière, d’autant que «le ciblage est une des clefs de notre métier, rappelle son directeur général, Yves Del Frate. Il s’agit de passer du ciblage à la segmentation en appliquant les critères du client à l’audience.» Pour ce faire, l’agence crée ou conjugue de la donnée en partant de l’analyse des investissements marketing des clients sur deux ou trois ans, prolongée par une étude des comportements via un panel de l'institut CSA, la société d’études d’Havas. L’objectif étant de «passer à la smart data, en ayant des critères de segmentation hyperfins, pour travailler sur des cibles utiles, pas des cibles sur étagères», argue Yves Del Frate.  

«A vouloir trop cibler, on risque de ne toucher personne, relève toutefois Guillaume Mazain, de Videology. Il faut garder un bassin assez large, ne serait-ce que pour pouvoir mesurer les effets sur les ventes.»  Surtout, à faire de l’hyper-ciblage, il devient «difficile de connaître les bons critères pour optimiser une campagne ou en tirer un bilan, analyse Karine Lucas, d'I-Prospect. Le travail, fait par des dataminers, se révèle souvent chronophage.» Le prochain enjeu pourrait consister à se doter d’outils d’aide à la décision.

Personnalisation du message

Sauf que si les technologies permettent d’aller très loin dans le ciblage, la personnalisation du contenu publicitaire accuse encore un certain retard. «La pertinence du message doit être la préoccupation majeure de toute la chaîne, à commencer par l’agence», estime Sophie Poncin, du SRI. Certes, de nouvelles sociétés de DCO (dynamic creative optimization, soit personnalisation du message publicitaire en temps réel) comme Adventory et Mad Mix Digital arrivent sur le marché pour gérer cette problématique. Mais «on doit déjà éduquer les acheteurs à propos de la personnalisation du message, faire comprendre qu’un spot TV n’est pas forcément le plus pertinent en pré-roll d’une vidéo, ou être différent entre l'ordinateur et le mobile», commente Geoffrey Fossier, responsable du marketing programmatique de Webedia. D’ailleurs, pour Alain Lévy, fondateur et PDG de Weborama, «la question à l’avenir, concernant la data, va porter sur le cross-devices. A part pour Facebook et Google, il reste difficile de réellement de suivre la cible d’un écran à l’autre.» Weborama devrait toutefois proposer des solutions en ce sens courant 2016. Mais «de plus en plus de moyens pour “tracker” existent, nuance Sophie Poncin. Et peu de campagnes sont présentes dans un seul média. N’oublions pas il y a une quarantaine de points de contact par individu chaque jour.» Il n’y aurait donc pas que le programmatique pour toucher la cible.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.