Télévision
Le bâtisseur de Canal+ est mort dimanche 29 mai. Retour sur le parcours d'un homme entré en communication à 65 ans.

«Un grand industriel qui laissera les traces du grand entrepreneur qu’il a été et qui a marqué le paysage médias en France.» C’est par ces mots qu’Arnaud de Puyfontaine, le patron de Vivendi interrogé par Stratégies, a salué la mémoire du fondateur de Canal+, le 31 mai, en marge d’un colloque de NPA Conseil. Un hommage un peu plus appuyé que le tweet signé «les équipes de Canal» qui l’a précédé deux jours plus tôt: «André Rousselet a créé Canal+, nous lui devons beaucoup. Toutes nos pensées à ses proches.» A 93 ans, le cocréateur de le chaîne crytée et propriétaire des taxis G7 partage avec Jean-Claude Decaux le privilège rare d’avoir bâti une marque connue dans le monde entier, à travers Canal+ Afrique ou Studio Canal.

Une marque dont la paternité du nom revient d’ailleurs à Georges Fillioud, ex-ministre de la Communication, ainsi que l’a raconté André Rousselet, dans ses mémoires avec Marie-Eve Chamard et Philippe Kieffer (Kero). Dans ce livre paru en septembre 2015, il rend à Leo Scheer, en charge de l’équipe de développement de Havas, ainsi qu’à Pierre Lescure et Marc Tessier, bras droits des débuts, les mérites qui leur reviennent. «Je ne suis pas, je n’ai pas été l’inventeur de Canal+, déclarait celui qui était patron d'Havas en 1984. Il n’y a pas eu de vision audiovisuelle prémonitoire (…)  Il n’y a eu, à la rigueur, qu’une intuition ténue, celle d’un chef d’entreprise qui a peut-être aussi vu là une opportunité ou un éventuel remède à l’ennui qui menaçait de le gagner.»

Chercher la faille

Fausse modestie? En réalité, l’action d’André Rousselet a été déterminante. C’est grâce à sa capacité à déjouer les pièges dans lesquelles veulent l’entraîner Jean Riboud (Schlumberger) ou Silvio Berlusconi, qui convoitent le réseau de Canal+, qu’il sauve sa chaîne à péage. C’est grâce à son amitié avec François Mitterrand qu’il apporte une bouée de sauvetage à un bateau dont Laurent Fabius, alors à Matignon, annonce le naufrage. Sylvie Ruggieri (Image 7), qui fut recrutée par lui directrice des relations extérieures de Canal+, retient aussi sa capacité à s’effacer devant le talent tout en incitant à recruter «des gens qui ont des failles». «La plus grande erreur que je pourrais commettre serait (…) sous l’effet du succès, de me prétendre sélectionneur avisé de films, d’animateurs et de projets d’émission», disait lui-même Rousselet, qui confia cette mission à Pierre Lescure. Un tour de force pour cet ex-directeur de cabinet à l’Elysée qui n’hésitait pas à faire pression sur RTL pour demander la tête de Philippe Alexandre.

L’homme ne manquait pas d’audace et avait un sens modéré du conflit d’intérêt. Il céda à Gilbert Gross, le roi de l’achat d’espace, une remise de 1 point supérieure à celle que Canal+ avait consenti à son actionnaire Havas… avant d’accepter que Gross porte pour lui incognito 2,5% des actions de la chaîne. «Pour lui, l’intelligence était quelque chose de très surévaluée, se souvient Bruno Patino (Arte) qui l’a côtoyé à Infomatin, son infructueux quotidien. Ce qu’il fallait, c’était du caractère. Quels que soient les obstacles, il ne déviait pas de sa volonté.» Il lui fallut beaucoup de détermination mais aussi de capacité à s’appuyer sur d’autres pour se lancer à l’assaut des studios, de Hollywood, du PSG... «Il a pensé à développer Canal au-delà de son métier de base, en créant des filiales de façon à savoir ce que cela pouvait rapporter. Aujourd’hui, c’est le cas de toutes les grandes marques. Mais dans les années 1990, c’était exceptionnel», rappelle Sylvie Ruggieri.

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