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Au lendemain du référendum du 23 juin, retour sur la campagne médiatique pour ou contre le Brexit qui a été suspendue quelques jours après l’assassinat de la députée Jo Cox et qui s'est soldée par la victoire du «leave» à 51,9%.

«Emouvant hommage du mari de la députée qu’un fou solitaire a tué de trois coups de feu et de sept coups de couteau». C’est par ces mots que le Sun, le quotidien populaire de Rupert Murdoch, s’est incliné vendredi 17 juin en gros titres devant la dépouille de Jo Cox, la députée travailliste assassinée la veille. Trois jours plus tôt, le Sun s’était prononcé en Une pour un retrait de l’UE avec le jeu de mot «beleave in Britain» jouant sur les verbes quitter et croire. Il avait exhorté « à voter pour la sortie » quelques mois après avoir titré «la reine soutient le Brexit», ce qui avait amené Buckingham à saisir le régulateur de la presse.

L’hommage de l’époux de Jo Cox s’est retrouvé à la une du Daily Mirror, autre quotidien populaire, qui a appelé à voter pour rester dans l'UE, tout en dénonçant une campagne «clivante, vile et désagréable».  Jo croyait en un monde meilleur. Elle aurait voulu qu’on s’unisse tous contre la haine qui l’a tuée», pouvait-on lire sur la couverture de ce tabloïd de gauche après sa mort.

Cet assassinat, rarissime puisqu’il faut remonter aux attentats de l’IRA pour retrouver des précédents, a provoqué une émotion nationale qui a dépassé les clivages entre pro et anti-Brexit. Et joué dans la remontée soudaine, vendredi 17, des intentions de vote en faveur du «remain».

Collant à cette évolution, le journal conservateur The Times, qui appartient à Rupert Murdoch comme le Sunday Times et le Sun, eux-mêmes favorables à la sortie de l’UE, s’est prononcé le samedi 18 dans un éditorial intitulé «Refonder l'Europe» : l'UE a besoin de changements mais autant rester en son sein pour les mener à bien, résume l'AFP. De même, The Mail on Sunday, le tabloïd dominical a défendu le maintien pour faire du Royaume-Uni un pays «plus sûr, plus libre et plus prospère», et mis en garde contre le «plongeon dans l'inconnu».

«Ton brutal»

Proche des travaillistes, le grand quotidien de qualité The Guardian, a appelé de son côté sans surprise à «voter pour rester» dans un éditorial publié lundi 20 juin «Comme la démocratie, l'UE représente une manière imparfaite de répondre aux défis du monde. Mais pour répondre à ces imperfections, il faut les réformer, pas s'en éloigner», y est-il écrit. Pour autant, le journal n’a pas manqué de dénoncer le «ton brutal qui attise les divisions» qu’a pris la campagne. « Quand vous encouragez la rage, vous ne pouvez pas feindre d'être surpris quand les gens deviennent enragés », écrit aussi The Spectator. Dans le viseur de cet hebdo: Nigel Farage, du parti europhobe Ukip, et sa campagne agressive pour le Brexit montrant des réfugiés prêts à envahir la Grande-Bretagne. 

Autre journal favorable à la poursuite de l'adhésion à l'Union Européenne, The Independent : «Voter pour rester dans l'UE n'est pas faire preuve de lâcheté mais de confiance, ce n'est pas céder tout contrôle mais faire les choses en collaboration dans un contexte de mondialisation», écrit le quotidien en ligne dans un éditorial le 20 juin. The Financial Times, le journal de la City, et The Economist (qui a titré «Désunis, nous chutons») ont aussi mis en avant la sûreté économique que représente un maintien dans l’UE.

«Nouveau départ»

Contrairement au référendum en France de 2005, sur la Constitution européenne, où les médias avaient été massivement en faveur du «oui», la presse anglaise a ainsi été plus partagée sur le Brexit. «Un monde d'opportunités attend un Royaume-Uni totalement indépendant», écrit par exemple dans son édition du 21 juin le Daily Telegraph, qui affirme qu'en soutenant un Brexit, ce n'est pas la nostalgie d'un âge perdu qui le guide mais la volonté d'«un nouveau départ pour notre pays».

Les grands médias audiovisuels se sont montrés timides dans la mesure où il ne s’agissait que d’avaliser l’existant. La BBC s'est d'ailleurs efforcée d'avoir une approche équilibrée en accordant autant de place aux soutiens du "in" qu'aux partisans du "out".  Quant aux réseaux sociaux, ils n’ont pas mobilisé les jeunes, largement favorables à l’UE, mais plutôt le camp de la sortie, qui y a contesté la peur inspirée par les médias et les politiques. 

De leur côté, les journaux populaires à gros tirage, par crainte de se couper de leurs lectorats, ont rejeté ou n’ont pas soutenu un maintien dans l’UE. «Si vous croyez en la Grande-Bretagne, votez pour sortir (de l'UE)», écrit The Daily Mail en évoquant une Europe «cassée, mourante». "Vote leave today" avait titré de son côté le Daily Express le 23 juin, jour du référendum.

Un tel positionnement est sans doute le résultat d'une étude de marché. Une étude You Gov a montré que 54% à 77% des lecteurs du Mirror, du Sun, du Daily Mail et du Daily Express sont favorables au Brexit. À l’inverse, la presse pour les cadres a épousé la cause de l’Union européenne, encouragée par de grandes figures de la publicité et des affaires comme Martin Sorrell, le patron de WPP, qui augurait « un affaiblissement du PIB au Royaume-Uni, en Europe et peut-être dans le monde » en cas de Brexit et redoute une perte « d’influence dans quatre de ses dix principaux marchés ».

 

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