Politique
Dans la course à la Maison Blanche, les candidats Hillary Clinton et Donald Trump se livrent une bataille sans merci. Mais ce combat est loin d’être improvisé. Réseaux sociaux, clips de campagne: tous les outils sont maîtrisés et rien n’est laissé au hasard.

On se souviendra longtemps de cette campagne américaine. Coups bas, insultes, propos graveleux… le champ lexical employé pour décrire ce qui se passe aux États-Unis n’a jamais été aussi négatif. Et pour preuve, seul un tiers des Américains ont une image favorable du candidat républicain et de sa rivale démocrate. Donald Trumpet Hillary Clinton ont donc dû redoubler d’efforts pour mobiliser les électeurs. Entre stratégie de séduction sur les réseaux sociaux et destruction de l’adversaire via des clips vidéo, tous les moyens sont bons pour remporter cette élection.

Donald Trump, bête médiatique

Donald Trump a bousculé les codes de la communication politique en dictant ses propres règles. Car cet outsider de la politique comprend les médias comme aucun autre candidat. As de la téléréalité, avec son émission The Apprentice sur NBC, le milliardaire a vite compris les bénéfices qu’il pouvait tirer de son personnage et de ses dérapages. Sa stratégie: l’omniprésence médiatique. «Si vous avez une bonne audience –et la mienne n’est pas simplement bonne, elle est monstrueuse–, vous devez être à l’antenne tout le temps, même si vous n’avez rien à dire», dictait Donald Trump pendant les primaires.

L’homme d’affaires saute de plateaux de télévision en plateaux de télévision, toujours prêt à faire le buzz. «Je vais sur une émission et les audiences doublent. Elles triplent. Et ça, ça confère du pouvoir. Ce ne sont pas les sondages qui comptent. Ce sont les audiences», a-t-il déclaré à un reporter du Time Magazine. Et jusqu’au mois d’août, il n’avait pas dépensé un centime en spots TV. Selon Bloomberg, le candidat républicain n’a dépensé, à la mi-octobre, que 31,7 millions de dollars en publicité télévisée, contre 144,5 millions de dollars pour le camp démocrate. Comme si la publicité était dérisoire face à sa prédominance dans les médias. En décembre 2015, son nom était déjà mentionné 14.000 fois par jour en moyenne dans les médias américains. Mais Donald Trump ne manie pas simplement l’art des audiences télé, il gère aussi sa notoriété sur les réseaux sociaux: Facebook, Twitter, Instagram… sont autant de leviers gratuits de célébrité.

Le poids des technologies 2.0

Selon une enquête, publiée en février, du think tank américain le Pew Research Center, 35% des 18-29 ans considèrent ces réseaux comme leur source d’information principale sur les élections. Donald Trump et Hillary Clinton le savent: communiquer sur ces réseaux est indispensable. Avec ses 12 millions d’abonnés sur Twitter et ses 11 millions sur Facebook, le milliardaire caracole en tête. La candidate démocrate, elle, comptabilise plus de 9 millions d’abonnés sur Twitter et 7 millions sur Facebook. Des audiences qui leur permettent d’adresser leur message à un large panel d’électeurs. Alors, les deux candidats n’hésitent pas à mobiliser leurs ressources pour être efficaces.

Selon Bloomberg, entre juillet et septembre, Donald Trump a dépensé 17% de son budget, soit plus de 21 millions de dollars, pour sa communication digitale et les publicités diffusées sur les médias sociaux. «Il faut être là où les gens passent du temps, donc sur les réseaux sociaux, lance Joe Trippi, directeur de campagne d'Howard Dean, lors des primaires du Parti démocrate pour l'élection présidentielle américaine de 2004. Et surtout, les convaincre de la façon dont ils veulent être convaincus. Rien de mieux que les vidéos pour attirer leur attention et délivrer son message de façon efficace.» Et John Randall, en charge du digital chez Craft, une entreprise impliquée dans les campagnes républicaines, d’ajouter: «Avec l’augmentation de l’utilisation des téléphones portables, les électeurs passent de plus en plus de temps à surfer sur les réseaux, et ces outils permettent de communiquer rapidement et efficacement.»

Jouer la proximité

L’utilisation des portables permet d’aller encore plus loin, notamment avec l’envoi de SMS. Sur les sites des deux candidats, les électeurs peuvent indiquer leur numéro de téléphone pour recevoir des informations sur la campagne. Hillary Clinton a très bien compris l’intérêt d’un tel outil: dernièrement, son équipe de campagne a conçu un «bot», autrement dit un robot, qui envoie spontanément des citations de Donald Trump par SMS. Une façon de rappeler aux électeurs les propos outranciers du candidat. Autre enjeu du téléphone portable: tisser des liens avec ses électeurs. «C’est indispensable de construire une relation presque intime avec son public, explique Andrew Rothman, responsable de la stratégie à l’agence Blue State Digital, impliquée dans la campagne digitale de Barack Obama en 2012. Car plus la relation tissée est forte, plus le public sera prêt à s’impliquer pour un candidat.»

Snapchat en est la parfaite illustration. L’application de partage de photos, qui revendique près de 150 millions d’utilisateurs, permet de développer une relative proximité avec les électeurs. Hillary Clinton n’hésite pas à dévoiler une partie de sa vie privée à travers ses snaps. La candidate démocrate a inauguré son compte en août 2015, en envoyant une photo d’elle plus jeune, accompagnée de la légende «Hello, Snapchat». Cette stratégie est-elle vraiment efficace ? «Oui, car le public s’identifie au candidat», répond Vincent Pons, professeur à la Harvard Business School et cofondateur de la start-up en stratégie électorale Liegey Muller Pons.

«Une relation de confiance s’instaure et les électeurs relayent les idées du candidat, notamment sur les réseaux sociaux, ajoute Joe Trippi. Ce sont les followers sur Facebook, Twitter, Instagram qui influencent la prise de décision aujourd’hui: quelqu’un qui va dire "je vote pour un tel" aura beaucoup plus de poids que les Spin doctors par exemple. Eux, viennent dans les salles de presse après un débat, pour convaincre les journalistes que leur candidat a remporté la partie. Mais on sait par avance ce qu’ils vont dire, alors ils ont beaucoup moins de crédibilité que le public.» Parler aux électeurs sans aucun intermédiaire, c’est donc l’une des particularités de la communication politique aux États-Unis. «Donald Trump l’a très bien compris, indique John Randall. Il poste lui-même ses tweets, qui sont constamment dans un parler simple, direct, accessible et très personnel.»

Faire parler les données

Si les médias sociaux permettent de cibler beaucoup d’électeurs à peu de frais, les candidats ne doivent pas pour autant sacrifier les autres leviers de communication. Alors pour déterminer à qui s’adresser, par quel moyen de communication, et à quel moment, les équipes de campagne font appel à des analystes de données. «On crée des bases de données à partir de sondages, des listes électorales, des appels téléphoniques ou du porte-à-porte, et on construit des modèles. Ces modèles vont nous permettre ensuite de déterminer quelle est la probabilité que ce groupe d’électeurs aille voter et pour quel candidat», commente David Nickerson, professeur à la Temple University (Pennsylvanie). Pendant la campagne d’Obama en 2012, ce spécialiste a travaillé avec Elan Kriegel, l’actuel directeur de l’analyse des données pour Hillary Clinton.

Peu connu des médias, Elan Kriegel n’en est pas moins indispensable. Il vérifie le moindre message diffusé ou la moindre stratégie envisagée pour la communication de la candidate démocrate. Il décide des villes et États dans lesquels il faut diffuser des publicités, du moment où il faut envoyer des e-mails, à qui, ce qu’il faut écrire, qui reçoit une publicité Facebook plutôt qu’un courrier ou encore à quelles portes les volontaires doivent aller frapper. Elan Kriegel crée des modèles qui permettent de répondre à la question: «Est-il plus efficace de contacter un électeur 90 jours avant l’élection, plutôt qu’un semaine ou la veille?» Et ses modèles sont efficaces.

Pendant les primaires, Hillary Clinton a dépensé plus d’argent en publicités télévisées dans des petites villes du Texas comme Brownsville ou Waco, plutôt que Houston, selon les consignes de son analyste de données. Résultat: la démocrate a remporté le Texas avec 72 délégués de plus que son rival Bernie Sanders.

Comme le précise Vincent Pons, qui a également oeuvré comme volontaire pour la campagne de Barack Obama en 2012, les candidats n’hésitent pas «à tester en permanence leur communication auprès des électeurs» pour déterminer quel message est le plus efficace. «Par exemple, les équipes de campagne rédigent des e-mails avec un contenu différent et les envoient à des groupes de personnes tirées au hasard, poursuit le professeur David Nickerson. Puis, elles analysent qui a répondu et quand.» De quoi resserrer l’étau, au fur et à mesure de la campagne, autour des électeurs indécis.

Le 8 novembre prochain, les Américains devront se prononcer pour élire leur nouveau président. Les équipes de campagne pourront alors faire un bilan et souffler un peu, avant de repartir pour préparer les prochaines élections. «Pour concevoir la communication d’un candidat, il faut s’y prendre largement en amont, conclut Vincent Pons. En France pour l'élection de 2017, c’est maintenant qu’il faut penser aux stratégies de communication.»

« On aide les équipes de campagne à cibler les bonnes personnes »

Michael Frias est en charge de la gestion des clients pour Catalist, une société spécialisée dans
l’analyse des données pour les campagnes présidentielles démocrates. Au total, Catalist collecte
des informations sur plus de 240 millions d’Américains de plus de 18 ans.


Sur quelles informations travaillez-vous?
Aux Etats-Unis, on a la chance d’avoir accès à des informations publiques. Donc notre travail c’est
de les exploiter. Sur les listes électorales, qu’on demande aux administrations de chaque Etat, on
trouve des données très précieuses : l’âge de l’électeur, son nom, son adresse, parfois s’il est
inscrit comme démocrate ou républicain, s’il a déjà voté aux élections précédentes, et pas
simplement à la présidentielle, aussi pour les municipales, les gouverneurs…, la race aussi dans
certains Etats. Et tout ça nous permet de dresser des portraits plus ou moins précis.


Comment analysez-vous ces données?
On regarde la spécificité de chaque groupe d’électeurs, dans chaque Etat. Ce qui nous permet
ensuite de tirer des conclusions : est-ce que les jeunes de l’Ohio votent, ce qui pousse quelqu’un à
voter pour un tel plutôt qu’un tel…Et on étudie aussi l’impact d’une communication politique.
Imaginons qu’Hillary Clinton décide de diffuser une publicité en Pennsylvanie, alors on va regarder
si le message a fonctionné, comment les électeurs ont réagi et quels sentiments ils ont éprouvés
en regardant le clip de campagne.

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