Télévision
L'empire de Vice s'étend à la France. A partir du 23 novembre, sa chaîne Viceland sera diffusée en exclusivité sur Canal. Le 15 novembre, Shane Smith, PDG de Vice et Spike Jonze, réalisateur et directeur artistique du groupe, présentaient la chaîne à Paris. Stratégies y était.

Il fait froid et les physionomistes n’ont pas l’air commodes. Sous les hautes colonnes du Palais de Tokyo, la file d’attente, parquée derrière un cordon, s’allonge, et l’on commence à frissonner en cette soirée de novembre. Comme l’impression d’attendre le sésame d’une boîte de nuit hyperbranchouille. Or, si l’on se trouve bien à l’entrée d’un club hype, le Yoyo, il est un peu tôt pour la fête: 18 h 30, heure de la conférence de presse de lancement français de Viceland - la chaîne Tv de Vice, groupe média et empire du cool. Tellement cool qu’il ne serait pas cool de démarrer à l’heure. C’est 40 minutes après l’heure prévue que les journalistes pénètrent dans l’antre de Vice. Les deux stars de la soirée, Shane Smith (PDG de Vice), Spike Jonze (directeur créatif de Vice) arriveront sur scène vers 19 h 30. Rock n’roll.

 

«Citizen cool»



«On va commencer la présentation doucement, puis ça va devenir bizarre, vous allez pleurer et demain, quand vous vous réveillerez, vous vous sentirez hyper-glauque.» Le préambule, asséné par un Shane Smith manifestement très en forme, devant un public constitué à 80% de hispters à casquettes, semble promettre l’équivalent d’un trip sous acide. Rien que de très normal: le groupe, fondé en 1994 à Montréal, a été créé par trois «stoners» [drogués], Shane Smith, Suroosh Avi et Gavin McInnes, «polytoxicomanes» autoproclamés. Depuis, Vice et ses multiples déclinaisons font verdir d’envie tous les magnats de médias - il compte Disney dans ses actionnaires - avec une recette inchangée: substances illicites, sexe et contreculture.

Pour autant, le vibrionnant Shane Smith, assis «en détente», jambes écartées sur son fauteuil, est loin d’avoir l’esprit embrumé: «Les jeunes sont depuis toujours les cibles du marketing. Mais ce sont eux qui ont le plus grand détecteur de bullshit. C’est pourquoi nous nous devons de ne jamais leur servir de bullshit!» Fort de ce principe, Smith - dont chaque apparition au MIP (Marché international des programmes) plonge les foules de pros du marketing en pâmoison et qui compte aussi parmi ses investisseurs le vieux renard des médias Rupert Murdoch – est devenu une sorte de «Citizen Cool»: Vice opère dans 34 pays, distribue ses programmes à des centaines de millions de personnes chaque mois via le digital, le linéaire, le mobile, le cinéma et les réseaux sociaux, comprend un réseau international de chaînes numériques, un studio de production TV et cinéma, un magazine, un label, une agence de création intégrée, et une maison d'édition.

 

«Universalité de la contre-culture et de la jeunesse»

 

«Google a pour devise "Don’t be evil" ["Ne faites pas le mal"]. Quelle est la vôtre?», interroge Diego Bunuel, directeur des documentaires sur Canal+, qui mène l’interview. Du tac au tac, Shane Smith cingle: «Be less shitty» [«Soyez moins merdiques»]. «Nous savons que nous sommes dans l’âge d’or du web et du contenu. Nous voulons juste proposer quelque chose qui ne craint pas, que ce soit dans nos contenus politique, musique, food…» Spike Jonze, réalisateur de Dans la tête de John Malkovitch et de Her, ex de la très chic Sofia Coppola, aussi fluet et intello que Smith est bonhomme et extraverti, opine du bonnet: «Notre but n’est pas de produire des trucs pour alimenter des tuyaux».

De fait, sur Viceland, diffusé en exclusivité sur Canal (lire plus bas), première chaîne francophone du groupe, on trouvera des contenus franco-français. «Des contenus pas seulement domestiques, que l’on compte diffuser partout dans le monde. Il y a une universalité de la contreculture et de la jeunesse», précise Shane Smith. Census entend livrer un portrait de la France d’aujourd’hui via la musique, tout comme Marseille – le son des quartiers nord entend brosser un tableau de la cité phocéenne.  Quant au programme Franceland, qui suit trois hipsters jamais sortis de la petite couronne partis explorer la France profonde à bord d’un camping-car, il promet d’être croquignolet: bangs (pipe à eau), piercings et combats de pitbulls, sur fond de «Réveillez-vous la France!»

 

«Un numéro de téléphone pour nous appeler»



«Après le Brexit et l’élection de Trump, avec ce qui se passe en France, on a de plus en plus besoin d’une voix de la contreculture. Plus ça va, plus la génération des millenials prend de l’importance et plus elle est "pissed off" [exaspérée]. Nous voulons être la voix de cette génération», déclare Shane Smith. A telle enseigne qu’il sera possible de joindre directement Viceland pour s’épancher dans le giron de la chaîne. «Nous donnons un numéro de téléphone, afin que les gens puissent nous appeler et nous laisser des messages, précise Spike Jonze. Aux Etats-Unis, certains messages durent des heures ! Nous voulons être une chaîne représentative de tous. Sans jamais être moralisateurs. Simplement montrer ce qui se passe. Sans filtre.»

Sans filtre, comme Action Bronson, l’une des stars de l’empire Vice, un ex-chef rappeur et amateur de «weed» [herbe] qui vient clore la conférence, en annonçant le line-up de la soirée qui suit: les hérauts de la french touch Busy P (Pedro Winter) ou encore Zdar, le rappeur Niska. «On ne fait pas de sessions questions réponses, annonce l’animateur de la soirée Diego Bunuel. Mais ce soir, on va tous faire la fête, l’alcool va couler à flots, n’hésitez pas à poser vos questions à Shane et Spike qui feront la fête avec vous!» Sur un mur d'écran à côté de la piste de danse, un message: «Weed dans le fumoir». Le lendemain, on s’apercevra surtout que Shane Smith a réservé une interview en exclusivité au sérieux et très peu festif quotidien économique Les Echos. Le cool a ses limites.

Canal a l’exclusivité du Vice

Jean-Marc Juramie, directeur des contenus de l’offre Canal et directeur des chaînes thématiques du groupe: «Viceland est le projet éditorial le plus audacieux, en tout cas le plus nouveau. Canal [ex-Canalsat] a vocation à parler à toutes les générations, mais nous avions un petit problème avec les millenials: nous ne disposions pas de marques assez fortes pour leur parler. Il est difficile de faire venir les jeunes devant la télévision. Avec Viceland, nous espérons leur faire consommer des contenus exclusifs. L’idée, c’est qu’ils s’abonnent ! Notre partenariat avec Vice repose sur trois jambes. Nous apportons notre distribution, ce que fait que dès le 23 novembre, Viceland sera présent dans 6 millions de foyers. Par ailleurs, Canal sera la régie exclusive de Viceland, qui de son côté, nous apportera son expertise en brand content, sa « Vice touch ». Enfin Havas Média accompagnera le lancement de la chaîne.» 

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