Dossier Communication politique
Les experts qui se sont penchés sur la communication de crise du candidat LR sont unanimes: il n'a toujours pas réglé ses problèmes d'argent.

Il a eu de la chance, ce lundi 20 mars, sur TF1. Celle de tirer au sort le droit de faire la première intervention devant près de dix millions de téléspectateurs et celle de conclure en premier, sans que son affaire ne soit, pour une fois, au centre des débats. Pour François Fillon, les dés sont-ils jetés ou peut-il espérer un retournement qui lui permettrait de regagner la confiance de Français? Comment juger l'action de ses communicants politiques, à savoir Anne Méaux et Myriam Lévy (Image 7), devant le feuilleton de ses déboires judiciaires? Ont-ils encore une partition à jouer pour éviter ce qui paraissait impensable à la mi-janvier: son absence au second tour de la présidentielle?

Une relation non assumée

Après avoir accepté le principe d'un entretien téléphonique, Anne Méaux n'a pas répondu aux sollicitations de Stratégies. A Image 7, l'agence qu'elle a fondée, on se contente d'observer que «les clients sont bluffés par son courage, par le fait qu'elle ne le lâche pas». A la détermination du candidat LR correspondrait une très grande ténacité de la grande prêtresse de la communication. A tel point qu'il est parfois difficile de distinguer ce qui relève des éléments de langage soufflés par la communicante des figures libres, et plus ou moins inspirées, de François Fillon. Selon Luc Hermann, producteur associé et gérant de Première Lignes, c'est Anne Méaux qui lui avait conseillé de durcir le ton vis-à-vis de Nicolas Sarkozy lors de la primaire de la droite, avec le fameux «Qui imagine le général de Gaulle mis en examen?». D'après une autre source, c'est elle qui aurait proposé l'expression «casser la baraque» à cette période. «Le pouvoir en 2017, c'est dire la vérité et expliquer», déclarait Anne Méaux à Stratégies en janvier, comme en écho au slogan «Le courage de la vérité» de François Fillon. Mais pour le reste? Il est possible que ce soit le candidat lui-même qui ait décidé de confier au 20 Heures de TF1, le 26 janvier, que la seule chose qui le ferait renoncer serait qu'il soit mis en examen. L'homme politique et sa communicante sont désormais liés par cette annonce non tenue.

Pour Thierry Saussez, il y a une sorte de pêché originel chez François Fillon: sa relation à l'argent. Une relation non assumée et que ne laissait pas entrevoir une très grande distance de cette personnalité complexe vis-à-vis des médias concernant sa vie privée ou son cercle familial. «Preuve que quand la “peopolisation” est la grande absente d'une trajectoire, cela peut faire des dégâts. Face à son allure de premier communiant donnant des leçons de morale, son électorat ne s'attendait pas à le voir buter là dessus», indique l'ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy. Ce rapport, sinon avide, au moins particulier à l'argent, est encore ce qui nuit à sa communication, maintenant qu'il est mis en examen. «J'ai dit dès le départ qu'il devait s'excuser et envoyer l'argent à la Fondation de France», souligne Thierry Saussez. Or, par orgueil ou sentiment exacerbé de sa propre innocence, l'homme va se contenter de reconnaître une erreur tout en martelant qu'elle est légale. Et il n'offrira jamais de rembourser l'argent.

Une communication jamais proactive

Sa communication après les révélations successives du Canard enchaîné est, dans l'ensemble, jugée plutôt désastreuse. Franck Tapiro, qui a également conseillé Nicolas Sarkozy, résume l'étendue du désastre: «Il faut distinguer le légal de l'acceptable. François Fillon, qui a fait toute sa campagne sur la probité, considère que dès lors que la légalité est respectée – et il a toujours dit que l'emploi de membres de sa famille comme assistants parlementaires était une pratique commune – cette affaire est acceptable. Dans son for intérieur, il n'y a pas de problème. Or c'est là que le bat blesse. Les Français reprochent aux hommes politiques d'être déconnectés. Il aurait dû témoigner de l'empathie, dire qu'il comprenait une colère légitime, car tout le monde n'a pas la chance d'avoir un parent politique, dire qu'il s'engageait à ce que tout soit réglé s'il arrivait au pouvoir, qu'il bloquait l'argent à la Caisse des dépôts… Mais il a été dans le déni du procès émotionnel et moral. Ce qui l'atteint, c'est la mise en examen non pas juridique, mais morale.»

Concentré sur la défense de son épouse, dont il cherche à accréditer la réalité du travail, le candidat est apparu assez brouillon au départ dans ses positions, mettant en cause les médias, la justice et le pouvoir. Le 26 janvier, durant le JT sur TF1, il anticipe d'autres révélations sur ses enfants, mais ne dit pas tout, notamment sur le fait qu'ils n'étaient pas encore avocats ou qu'il leur a demandé de rétrocéder une partie de l'argent. Ancien bras droit de Jacques Pilhan, feu le spin doctor de Mitterrand et Chirac, Albert-Alexis Galland estime que «la communication de Fillon n'est jamais proactive. Les politiques sont confrontés à une opinion qui a décidé de ne plus respecter leurs règles, explique celui qui est aujourd'hui directeur de la stratégie de Kaolin. C'est ce que j'appelle la sourde insurrection. La posture réactive est la plus mauvaise. Il faut avoir un coup d'avance. Fillon a choisi la harangue, mais il aurait pu dire “je regrette” et privilégier ensuite le silence médiatique, comme Marine Le Pen.» Quitte, après, à faire monter au front des soutiens moraux, venus du monde associatif ou du cercle des dirigeants chretiens, pour relativiser la gravité de ses fautes.

Une stratégie de la rareté «à la Pilhan» à laquelle souscrit Eric Giuily, coprésident de Clai, selon lequel l'ancien Premier ministre joue sur deux tableaux: «Comme Eric Woerth au moment de l'affaire Bettencourt, il cherche à se victimiser et, en même temps, il ne parle que de ça, il passe son temps à se justifier», souligne-t-il. L'affaire lui rappelle une communication de crise menée autour de primes d'assurances vie non versées qui avait conduit l'autorité de contrôle à épingler quatre entreprises. «Les retombées presse étaient très différentes suivant que lesdites entreprises avaient accepté de reconnaître les faits et montré comment elles allaient éviter de rééditer cette situation, relève-t-il. Si les faits sont avérés, il faut tout dire et montrer comment on va réparer. Dans le cas de Fillon, j'aurais préconisé de rembourser et d'annoncer une législation mettant fin à ce qui n'apparaît pas tout à fait moral.»

Accumulations

Est-ce à dire que François Fillon, en se piégeant lui-même, n'a pas eu la riposte adéquate? Sans doute. Mais comme le remarque Thierry Saussez, le dimanche 5 mars – où se sont succédé l'interview de Pénélope Fillon, la manifestation de soutien au Trocadéro et le JT de 20 heures sur France 2 – est un sans faute en termes de communication. L'épouse montre que le clan familial tient bon, les images de la manifestation avec François Baroin et Luc Chatel font comprendre à Alain Juppé que les sarkozystes ne le soutiendront pas et le journal de 20 heures enfonce le clou en montrant la détermination et le sang froid du candidat LR. «C'est un redressement spectaculaire après un feuilleton à la gestion aléatoire», observe l'ancien président d'Image & Stratégie. De quoi lui permettre de nourrir quelques espoirs de remonter la pente? C'est peu probable au vu des affaires qui s'accumulent. Dernière en date: près de 50 000 euros pour des costumes, selon le JDD, et au moins la même somme  pour jouer les intermédiaires avec Poutine, selon Le Canard enchaîné daté du 22 mars. Et ce, même s'il dispose d'un noyau dur de 18 à 19% d'inconditionnels. Un socle qu'il espère peu à peu consolider en axant tout son discours sur l'alternance.

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