Communication
Gaspard Gantzer, conseiller pour la presse et chef du pôle communication de l'Elysée, revient sur ses trois ans à la tête de la cellule chargée de veiller sur l'image de François Hollande. Aveu d'échec ou mission accomplie?

Votre mission a duré trois ans. Hollande ne s'est pas représenté et ne sera donc pas réélu, le candidat du PS a fait un score historiquement très bas. Considérez-vous que vous avez échoué?

Gaspard Gantzer. J’ai fais tout ce que j'ai pu. Ce dont je suis certain, c'est que l'histoire rendra justice à François Hollande et considérera à juste titre qu'il a été un excellent président. Ce n'est pas grâce à moi, mais je pense y avoir apporté ma très modeste pierre. Ensuite, il partira de l'Elysée beaucoup plus populaire que quand je suis arrivé. Les Français ont changé leur rapport à lui depuis sa renonciation. Ils ont commencé à voir ce qui était réussi plutôt que ce qui n'avait pas été accompli et ils réhabilitent eux-mêmes le bilan. Si c'est Emmanuel Macron qui lui succède, ce sera aussi une forme de passage de témoin avec une offre politique renouvelée. Lui comme moi ne serons pas mécontents que son successeur soit un de ses anciens ministres et un de ses anciens proches collaborateurs.

Considérez-vous que François Hollande a fait des erreurs de communication?

G.G. S'il en a fait, ce ne sont pas les siennes, ce sont les miennes. J'aurais dû me battre davantage pour défendre la démarche du président par rapport aux différents livres auxquels il a pu participer. Cette démarche de transparence, d'explication, de mise en récit du quinquennat était utile. Les trois principaux livres sur ces cinq ans (1) sont très intéressants, car ils permettent de comprendre comment le président a conduit ce quinquennat, quels ont été ses choix. J’ai été surpris par l'ampleur de la vague médiatique, je ne l'ai certainement pas assez anticipée. Et une fois qu'elle est arrivée, on aurait dû se battre davantage en assumant que ces bouquins étaient bons et qu'ils ne méritaient pas tant d'opprobre.

Dans le livre de Davet et Lhomme, on y trouvait une transparence sidérante, y compris sur des secrets militaires…

G.G. La transparence est une bonne chose. Le propre de la démocratie, c'est d'expliquer ses décisions, de ne pas les cacher. C'est ce qui fait la différence avec la dictature. Notre société a besoin de davantage de transparence. Par ailleurs, il n'y a eu aucun secret défense qui a été violé. Concernant la lutte contre le terrorisme, le président a toujours assumé publiquement que l'on cherchait à neutraliser les terroristes.

Mais de là à ce qu'il confie que quatre opérations homicides et extrajudiciaires sur des cibles ennemies ont été décidées par lui…

G.G. Il a juste dit que quand on pouvait neutraliser les terroristes, on le faisait.

L'annonce sur l'inversion de la courbe du chômage conditionnant un futur mandat, n'était-ce pas une erreur de communication manifeste?

G.G. Je pense exactement l'inverse. Et je le dis d'autant mieux que je n'étais alors pas encore arrivé. Je trouve très bien que les hommes politiques considèrent que leur candidature à l'élection présidentielle n'est pas automatique. Et je trouve très intelligent et utile démocratiquement de lier cette candidature à la réalisation d'un objectif qui concerne directement la vie des gens. La courbe s'est inversée avant qu'il ne prenne sa décision de ne pas se représenter. On aurait préféré que ce soit plus tôt.

Comment doivent évoluer, selon vous, les journalistes dans leur rapport au politique?

G.G. J'aime bien l'échange avec les journalistes. J'ai beaucoup de respect pour leur travail. Le grand sujet, c'est d'arriver à trouver la bonne manière de travailler avec eux. Je ne leur demande pas d'être particulièrement favorables ou soumis à l'exécutif. Mais, parfois, les médias devraient parler des trains qui arrivent à l'heure.

C'est un peu le contraire du journalisme…

G.G. C'est ce que m'a répondu un de vos confrères: on n'est pas là pour dire du bien car les médias doivent être critiques.

Regrettez-vous le documentaire d'Yves Jeuland (2) où l'on ne voit que vous? François Hollande a eu cette phrase après la diffusion: «Je trouve que l'homme à lunettes à côté de Gaspard est très bien»…

G.G. Il a fait la même blague à propos d'Emmanuel Macron. Nous avons pris le parti de faire confiance au réalisateur, qui a été libre de tourner ce qu'il voulait. Yves Jeuland a fait des choix. C'est vrai que j'aurais préféré être moins exposé. Mais soit on accepte la liberté éditoriale, soit on n'accepte pas ce type de tournage. C'est donc quelque chose que j'assume complètement.

Pendant ces trois ans, l'Elysée est arrivé sur Vine, Instagram et Snapchat. Considérez-vous avoir fait le maximum sur les réseaux sociaux?

G.G. Je suis un éternel insatisfait. Donc, j'ai quand même la frustration de me dire que nous aurions dû être davantage sur les réseaux sociaux. On aurait peut-être pu être plus tôt sur Snapchat, avoir une chaîne You Tube… Mais nous avons eu l'intuition qu'il fallait expérimenter le live et certains ont bénéficié de notre courbe d'apprentissage.

Quel est pour vous le candidat qui a la meilleure stratégie numérique?

G.G. Celui qui a la meilleure stratégie, c'est celui qui gagne. Il n'y a que le résultat qui importe. Concernant les outils numériques, la plupart des candidats s'y sont mis. J'ai été notamment frappé par le vidéo où Emmanuel Macron met en scène l'appel téléphonique de Barack Obama.

Vous déclariez vous-même, en juillet 2014, qu’Obama savait mettre en valeur un coup de fil pour paraître naturel et sincère sur les réseaux sociaux. Vous n'avez pas donné quelques conseils à Macron?

G.G. Non, j'ai eu des échanges avec lui, mais je n'ai aucun conseil à lui donner.

Quelle est la pire image qui vous reste pendant ces trois ans, celle du président sous la pluie à l'île de Sein le 25 août 2014?

G.G. Je trouve que c'est une très belle image, au contraire. C'est un président digne, courageux, résistant, ne cherchant pas à s'abriter alors que les anciens combattants devant lui sont en train de prendre la pluie. J'ai du mal à trouver une image qui me dérange. En réalité, je ne crois pas qu'une image veuille dire quelque chose en tant que tel. C'est beaucoup le contexte médiatique dans lequel elle s'insère qui lui donne son sens. Avec le recul, beaucoup des images qui ont pu être critiquées pendant le quinquennat seront vues d'une autre manière.

Cette vision d'un président imperméable à la pluie qui s'abat sur lui n'a-t-elle pas été un tournant dans l'opinion?

G.G. Non, quand je suis arrivé [en avril 2014], sa cote de popularité était au plus bas. Elle est aujourd'hui deux fois supérieure. Le président ne m'a pas dit qu'il fallait l'aider à se représenter, mais qu'il fallait que sa politique soit mieux comprise, donc mieux expliquée, et que la trace dans l'histoire soit positive, que les Français se disent que le pays avait avancé pendant ces cinq ans. Je pense que c'est ce qu'ils commencent à se dire.

Donc, mission accomplie pour vous?

G.G. Non, on peut toujours faire mieux. Les Français n'ont pas encore compris l'ampleur des décisions qui ont été prises pour redresser l'économie et lui permettre d'avancer dans l'avenir. On aurait pu mieux expliquer la politique économique et sociale qui a été mise en œuvre. J'ai une insatisfaction de ce côté-là. Je n'ai pas trouvé la formule magique pour expliquer dans le temps court ce qui réclame du temps long pour être compris. C'est toute la difficulté du communicant public aujourd'hui. Comment faire comprendre une politique qui s'inscrit dans le long ou moyen terme alors que l'exigence médiatique et l'attente de l'opinion publique se situe dans le court terme? C'est très difficile.

Que répondez-vous à Renaud Dély, le directeur de Marianne, qui déclarait dans Stratégies: «Il y a le modèle Gaspard Gantzer qui a ouvert grand les portes et les fenêtres de l'Elysée. Et là, on a mesuré l'étendue de la catastrophe…»? (3)          

G.G. Je n'ai pas compris cette phrase. Que veut-il dire? Qu'il faut être moins transparent? Je ne peux pas croire qu'un journaliste qui réclame la transparence du matin au soir se plaigne quand on œuvre à cette transparence démocratique.

Que pensez-vous avoir démontré au cours de ces trois ans?

G.G. Le paysage médiatique a changé. Il ne faut plus penser qu'il y a qu'un seul canal de diffusion de l'expression présidentielle qui serait un grand quotidien du soir, une grande chaîne TV ou une grande radio. Il faut savoir intervenir sur des supports médiatiques variés sans jamais rien exclure a priori, mais toujours avec l'idée de créer quelque chose d'exceptionnel, de surprendre soit par le choix du média, soit par le format. Je suis fier que le président ait donné une très grande interview à Society en 2015, sans doute la meilleure du quinquennat. Je suis ravi qu'il ait pu faire une grande matinale de France Inter ou qu'il ait pu avoir des interactions avec des lycéens sur la question de l'identité dans Le Supplément de Canal+. Il faut prendre des risques, innover. Au moment des attentats, l'action et la communication du président ont contribué à ce que le pays reste uni, soudé, rassemblé. Ses mots et ses images ont contribué au rassemblement.

François Hollande est-il parvenu à domestiquer le format de la chaîne d'information continue quand on se souvient de l'affaire Leonarda et de la «bfmisation» de la vie politique?

G.G. Personne ne peut domestiquer l'information en continu, que ce soit à la télé, à la radio ou sur internet. Par nature, elle va de plus en plus vite. On a intégré ce rythme à la fois dans le calendrier, l'agenda des prises de parole et les formats. On est allé chez Bourdin en mai 2014, il y a eu des reportages dans les coulisses sur I-Télé ou BFM TV. Mais le sujet, c'est l'information en continu sur le numérique. Ce qui a le plus changé au cours du quinquennat, c'est un taux d'équipement en smartphones quasiment multiplié par deux. Le live ne se joue plus à la télévision, mais sur le smartphone. L’information ne circule plus du tout de la même manière: elle vrombit dans votre poche via une alerte. Ce n'est plus le même monde.

La question s'est-elle posée pour vous d'intervenir dans cette campagne?

G.G. Non, à partir du moment où le président n'était pas candidat, j'ai décidé de m'en tenir à l'écart. J'aurais pu décider de participer à la campagne d'Emmanuel Macron ou de Benoît Hamon. Ils ne me l'ont pas proposé et je ne l'aurais pas souhaité. Ma place était auprès de François Hollande.

Et vous auriez choisi qui? Hamon ou Macron?

G.G. Difficile à dire…

On est dans la transparence…

G.G. C'est vrai. J'ai voté pour Emmanuel Macron.

Il est votre ami. S’il vous appelle, vous pourrez difficilement résister…?

G.G. Je ne travaillerai pas à l'Elysée, c'est une certitude. J'ai rempli ma mission aussi bien que je pouvais le faire auprès du président. Il faut savoir faire autre chose.

Quand vous êtes arrivé, vous aviez votre carte du Parti socialiste. C'est toujours le cas?

G.G. Oui, toujours.

Vous ne pourrez plus vous dire un homme de gauche si vous avez soutenu En Marche…

G.G. Si, je me considèrerai toujours comme un homme de gauche! J'ai estimé qu'Emmanuel Macron était en mesure d'emporter l'élection, qu'il avait senti une profonde aspiration au renouvellement et qu'il avait cherché à y répondre. Il lui revient maintenant de remporter l'élection présidentielle, ce qui n'est pas encore fait, et de mettre en œuvre ses idées.

 

 

(1) L'Homme qui ne devait pas être président,d'Antonin André et Karim Rissouli, éditions Albin Michel (05/2012); Ça n'a aucun sens, d'Elsa Freyssenet, éditions Plon (08/2016); Un président ne devrait pas dire ça…, de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, éditions Stock (10/2016).

(2) A l'Elysée, un temps de président (2015).

(3) Stratégies 1897-1898 (23/03/2017).

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