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Où va Canal + ?
05/11/2009 - par Amaury de RochegondeLa chaîne cryptée a 25 ans. Son président Bertrand Meheut défend le modèle économique qui a fait le succès du groupe.
Dans la salle d'attente qui jouxte le bureau de Bertrand Meheut, ce mardi 20 octobre à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), un exemplaire du magazine Management trône sur une table basse. Le titre de couverture, «La revanche des modestes», inspire probablement le maître des lieux. Qui aurait parié, en 2002, lorsqu'il est arrivé à la direction générale de Canal+, que celui qui passait alors pour un nettoyeur d'entreprise pour avoir restructuré Aventis Crop Science puis supprimé près de 300 postes à Canal +, serait considéré sept ans plus tard comme un nouveau pape de l'audiovisuel?
Assis à son bureau face à un écran extraplat qu'il pilote à l'aide d'une télécommande reliée au «cube» de Canal+, le patron accepte de répondre aux questions de Stratégies sur l'avenir de son groupe. Et à l'interrogation qui taraude aujourd'hui tous les observateurs de l'audiovisuel: 25 ans après sa naissance, le modèle Canal va t-il demeurer une poule aux œufs d'or? Ou la source généreuse des abonnés est-elle condamnée à se tarir, victime à son tour de la révolution numérique et de l'apparition d'offres de vidéos à la demande sur Internet ?
Jusqu'ici, tout va bien. Une étude de l'Idate, sortie début octobre, montre que la télévision payante est un îlot de tranquillité dans l'océan d'incertitudes qui caractérise les télévisions gratuites, menacées par la chute de leurs revenus publicitaires. La «Pay TV» semble toujours en pleine santé, avec une croissance mondiale de 4,7 % des revenus et de 4% des abonnés en 2009.
Élargir coûte que coûte la base d'abonnés
Le groupe Canal+, qui affiche globalement 10,6 millions d'abonnements et une croissance nette de 94000 nouveaux abonnés à la fin juin 2009, tire profit de sa place de leader français avec un résultat opérationnel de 472 millions d'euros au premier semestre, soit une hausse de 34,5% par rapport à la même période en 2008. Sur le plan publicitaire, grâce notamment aux performances du Grand Journal de Michel Denisot, les recettes des émissions en clair sont en hausse de 15% en 2009.
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes? Bertrand Meheut se garde bien de crier victoire, tant il sait que sa position est de plus en plus disputée par les opérateurs télécoms, du câble ou de l'accès à Internet. Il reconnaît que «cette période de crise a pu modifier les comportements» et lâche, faisant ses comptes à haute voix, qu'il faut tabler sur 4,7 millions d'abonnements individuels à Canal+ et autant à Canalsat. «Le portefeuille du groupe sera en progression à la fin 2009», assure Antoine Banet-Rivet, directeur de la communication institutionnelle.
Reste que la mise en place d'une offre d'entrée de gamme en septembre, avec Canal+ Week-End à 15 euros et Canalsat Initial à 9,99 euros, atteste une volonté d'élargir coûte que coûte la base d'abonnés. S'il est trop tôt pour tirer un bilan, Bertrand Meheut concède que «beaucoup de gens viennent avec l'idée de consommer la télévision payante le week-end et, dans la réalité, repartent avec Canal+». Et si ce n'est pas le cas, un marketing intensif sous forme de bandes-annonces viendra leur rappeler l'intérêt des programmes de semaine.
Dans le même sens, au lieu de rester rivé à ses offres sur douze mois – temps nécessaire pour rentabiliser un abonné –, le groupe n'a pas hésité à lancer à la rentrée des abonnements sans engagement de durée pour les détenteurs de téléviseurs estampillés Canal Ready. «Après avoir enrichi sa promesse avec son minibouquet (Décalé, Cinéma, Family, Sport, HD), Canal+ étalonne ses prix et crée de la souplesse dans la manière d'accéder à son produit», constate Philippe Bailly, président de NPA Conseil. Une chaîne urbaine, à destination des jeunes adultes citadins, pourrait d'ailleurs être lancée sur Internet pour accroître encore la promesse.
"La profusion du choix tue le choix"
Derrière cette stratégie, le patron de Canal+ cherche sans doute à contrecarrer les offres à bas prix d'Orange (6 euros pour le sport et 9,90 euros pour le cinéma) ou, plus récemment, de Numericable. Tente-t-il aussi d'enrayer un rouleau compresseur lié à la délinéarisation des contenus sur Internet? Le fait est que le groupe a fait le choix de ne pas monétiser sur son site les programmes disponibles via Canal+ à la demande, mais d'inclure cette offre à son abonnement. Objectif: fidéliser son parc de clients sachant que, selon le directeur marketing Maxime Saada, «les deux tiers des foyers abonnés utilisent trois fois par semaine un des services de Canal+», mais aussi recruter de nouveaux abonnés.
La panoplie des programmes et des services dans un ensemble éditorial cohérent est, selon Bertrand Meheut, au cœur du métier de Canal+. «La profusion de choix tue le choix, estime-t-il. On constate que les utilisateurs sont définitivement séduits par ce mode de consommation à la demande, qui leur permet de rattraper un programme qu'ils ont raté. Près de 90% disent qu'ils ne peuvent pas s'en passer et l'on constate un taux de désabonnement de 2 points plus bas que l'ensemble des offres.» Après SFR, Free et Numericable, Canal escompte d'ailleurs étendre ce service à la base d'abonnés d'Orange «avant la fin de l'année».
Cela sera-t-il suffisant pour séduire en masse de nouveaux abonnés et obtenir les résultats financiers promis à sa maison mère Vivendi? Pas sûr. D'autant que Canal+ fait face à un inconvénient majeur face au "triple play": son abonnement coûte 30 à 35 euros alors que l'offre de l'opérateur télécom ou du fournisseur d'accès est elle-même de près de 30 euros. Conséquence: plus le triple play engrange de clients abonnés à Canal+, plus ces derniers renâclent à payer une double facture.
Surtout quand ils se rendent compte qu'Orange leur fournit le match de la Ligue 1 du samedi soir pour une somme (6 euros) qui pèse très peu sur leur facture télécom. Selon Bertrand Meheut, qui espère que le prix du triple play va baisser, cette vente liée justifie une procédure en contentieux dont le jugement est attendu à la mi-2010: «Quand vous allez chez Darty, vous aimez choisir votre réfrigérateur dans une marque, votre lave-vaisselle ou votre four dans une autre, illustre le patron du groupe. C'est tout l'objet de notre litige avec Orange, qui prétexte une double exclusivité pour enfermer le consommateur. Il achète une exclusivité et il la réserve à ses abonnés téléphone et Internet. C'est comme si Darty avait une machine miraculeuse pour faire du froid mais qu'il contraignait ses clients à prendre le lave-vaisselle et le four pour l'acheter!»
Verrouiller le périmètre des droits
L'avis de l'Autorité de la concurrence, rendu en juillet, reconnaît néanmoins le droit à l'exclusivité, dans une fourchette d'un ou deux ans, pour des services innovants et à forte valeur ajoutée. Qu'en est-il des chaînes comme Disney Channel, 13ème Rue ou Vivolta, que Canalsat distribue de façon exclusive? Bertrand Meheut estime que «la fin de ces exclusivités serait la fin des éditeurs de chaînes tierces» et explique volontiers que des contenus premium, qui ont un coût de grille élevé, ne peuvent exister s'ils ne sont pas distribués partout, «la valeur perçue pour l'utilisateur devenant très faible».
Quant à ceux qui reprochent à Canal+ de profiter de sa position dominante sur le satellite pour rogner les redevances des éditeurs, ils suscitent ce commentaire du patron: «Inexact. Nous avons bien augmenté celle de 13ème Rue! Et c'est toujours in fine l'abonné à Canalsat qui paye.» Philippe Bailly, lui, juge que «les droits exclusifs sur les chaînes ne sont pas menacés aussi longtemps qu'ils sont accueillis sur d'autres réseaux».
Les rediscussions actuelles avec le cinéma sont aussi cruciales pour garantir l'un des deux piliers de l'offre. De source proche des réalisateurs, l'objectif ne serait pas d'exiger à tout prix une baisse du taux consenti au financement du cinéma français et européen, mais de bien verrouiller le périmètre des droits. «Mon objectif est d'arriver à un accord positif pour les deux partenaires, explique Bertrand Meheut. La vidéo à la demande a désormais une fenêtre qui s'ouvre quatre mois après la sortie en salles, avec des prix promotionnels sous le contrôle des opérateurs télécoms. Mais elle ne doit pas dévaloriser la fenêtre Canal, qui est à dix mois.»
Et maintenant? «Canal+ veut grossir» a affirmé son patron à L'Express début septembre. Avec 6,5 millions de foyers abonnés, le groupe estime à 6,2 millions son potentiel de marché à défricher si l'on retranche 8 millions de réfractaires à la télévision payante et les 6,3 millions hébergés par des concurrents. Mais selon l'un de ses proches, Bertrand Meheut rêve aussi de faire l'acquisition d'une grande chaîne gratuite.
Le patron, qui a demandé au député Patrice Martin-Lalande de revoir le dispositif anticoncentration pour permettre à Canal+ d'avoir une troisième chaîne nationale (outre Canal+ et I-Télé) dans un paysage hertzien à 18 chaînes, reconnaît simplement qu'il y aurait «beaucoup de synergies à développer entre une chaîne gratuite et un grand acteur de la télévision payante». «Elle permettrait d'organiser à l'intérieur du groupe une chronologie des médias qui optimise l'exploitation des programmes», décrypte Philippe Bailly. Un peu comme dans Braquo, la série événement de Canal+, la télévision cryptée pourrait alors se glisser dans la peau d'un caïd de la télé gratuite.