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Frédéric Mitterrand : «Je me considère comme un artiste »
16/12/2009 - par Entretien : Amaury de RochegondeNommé en juin au ministère de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand revient sur les grands dossiers qui ont fait l'actualité cette année. Et livre sa vision sur sa nouvelle vie de ministre.
«La France, le pays où l'on n'aime pas la pub», titrait Le Figaro en octobre, au vu d'une étude Nielsen montrant que notre pays compte le plus fort taux de personnes défavorables à la publicité (38%). Vous comprenez cette publiphobie ?
Frédéric Mitterrand. Ce genre de sondages peut amener une sorte de réponse qui relève de la schizophrénie légère. Un peu comme quand on déclare aimer Arte et qu'on regarde en réalité des programmes de divertissement sur les chaînes privées. Les gens ont du mal à se positionner par rapport à l'usage qu'ils font de la publicité. Pour ma part, j'adore la pub et je n'ai pas du tout le sentiment qu'elle est polluante. C'est évidemment un secteur industriel très important qui a un potentiel de création et de développement considérable. Il faut le défendre parce qu'il soutient l'économie nationale, parce qu'il est un accès formidable à la création et parce que c'est une force de proposition sur des concepts et des images d'une qualité et d'une réactivité remarquables. Il faut arrêter de voir dans la publicité la source de toutes les dérives de la société marchande et de la rendre responsable de toutes les atteintes à l'environnement. Je regrette simplement de ne pas avoir encore pu lui manifester tout l'intérêt que je lui porte.
Sur le chantier de la numérisation des livres, Nicolas Sarkozy vient de dire qu'il ne fallait pas se laisser déposséder de notre patrimoine national par un acteur privé «aussi sympathique et aussi américain soit-il». Quelle forme de partenariat public-privé souhaitez-vous avec Google?
F.M. Un comité d'experts présidé par Marc Tessier va remettre prochainement à ce sujet ses conclusions. J'appelle de mes vœux une réponse européenne. Il y a actuellement une concertation avec les 27 ministres de la Culture – notamment de l'Espagne qui va présider l'Union européenne au premier semestre 2010 – et j'ai le sentiment que tous partagent la même préoccupation. Nous réfléchissons à dynamiser et à pérenniser le site Europeana sur un plan budgétaire. Google, de son côté, dispose d'une grande expertise technique et de fonds considérables sur le plan financier. Mais le problème est aussi éthique: qui va assurer l'indexation ou le référencement des œuvres disponibles sur Internet et qui va nous guider dans ce musée virtuel extraordinaire de notre patrimoine? Si le guide est fiable, actif et neutre, ce n'est pas pareil que s'il nous oriente vers des chemins secrets, nous demande des pourboires et qu'il peut céder sa place à quelqu'un d'autre l'année suivante. La clé de notre démarche consiste à reprendre la main sur les règles du jeu. À partir de là, on peut imaginer, pourquoi pas, un partenariat public-privé sous contrôle de l'État. À terme, un portail d'accès européen serait évidemment l'idéal.
La presse a connu une crise sans précédent en 2009 en raison notamment de la chute de ses recettes de publicité et de l'érosion de sa diffusion. Après les états généraux de la presse, pensez-vous que le gouvernement peut encore venir en aide à ce secteur ?
F.M. L'État a répondu avec une célérité et une attention dignes d'éloges aux préoccupations des éditeurs de presse. Il a notamment prodigué des aides à la distribution très importantes. C'est maintenant aux éditeurs de prendre le taureau par les cornes. Je préfère, en ce qui me concerne, me dire que la presse est sortie de la logique de crise pour entrer dans celle de la reconquête. L'opération d'abonnement d'un jeune de 18 à 24 ans à un quotidien, une fois par semaine pendant un an, a connu un succès stupéfiant qui montre bien qu'il y a un besoin et un désir de presse.
Le mandat de Patrick de Carolis à la tête de France Télévisions arrive à échéance fin août 2010. Vous avez souvent salué son action sur les programmes du groupe. Cela veut-il dire que vous êtes favorable à sa reconduction?
F.M. Cette décision appartient au président de la République. Il y a différentes options. Patrick de Carolis en est une. C'est quelqu'un qui a fait du bon travail et qui a de sérieux atouts pour continuer à le faire. Il a très bien su jouer son rôle dans la problématique de la qualité et de l'audience et a renforcé France Télévisions dans sa différence au sein du paysage audiovisuel. L'abandon de la publicité sous forme graduelle, qui a permis de renforcer cette identité, a été une chance compte tenu de l'évolution à la baisse de l'ensemble des budgets publicitaires en 2009. Du fait de l'entreprise unique, Patrick de Carolis a aussi mené avec beaucoup de doigté un programme de réorganisation de ses services, avec les modifications sociales afférentes.
Et Martin Bouygues n'aura pas son mot à dire sur la nomination du patron de France Télévisions ?
F.M. Tout ce qui est dans l'orbite du ministère de la Culture et de la Communication est très exposé en raison de l'intérêt médiatique qu'il suscite. Alors vous savez, les rumeurs…
Le gouvernement va-t-il supprimer ou revoir à la baisse la taxe sur les chaînes privées, destinées à assurer une partie du financement de France Télévisions?
F.M. Je suis le ministre de toute la télévision. La bonne gestion des chaînes privées est un élément essentiel de la santé de l'ensemble du secteur audiovisuel, parce qu'elles financent la création. Au vu des résultats financiers de ces chaînes, nous avons décidé d'appuyer fortement non pas un moratoire de la taxe de 3% sur le chiffre d'affaires publicitaire – ce qui eût pu laisser libre cours à des supputations dangereuses – mais pour une limitation à 0,5% en 2009 dans le cas où les chaînes verraient leur chiffre d'affaires baisser sensiblement, ce qui est le cas cette année.
La régie publicitaire de France Télévisions est en voie de privatisation. Or, cela n'a fait l'objet d'aucun débat public. Comment l'expliquez-vous?
F.M. C'est une décision qui appartient aux dirigeants de France Télévisions et qui correspond à leur stratégie d'entreprise. L'État doit quant à lui veiller à ce que cette opération se fasse dans les meilleures conditions, dans l'intérêt du groupe public et de ses salariés.
Êtes-vous favorable à la taxe sur la publicité en ligne destinée à financer la création audiovisuelle, comme le recommande la Société des auteurs et compositeurs dramatiques ?
F.M. C'est un réflexe très français que de vouloir créer une taxe dès qu'il y a un problème! J'attends les propositions de la mission Zelnik d'ici à quelques semaines. Je vous donne rendez-vous à ce moment-là pour vous dire quelles sont les pistes que nous retenons pour à la fois favoriser l'offre légale sur Internet et développer de nouvelles sources de financement pour la création.
Après avoir été invalidée par le Conseil constitutionnel, la loi Hadopi a été votée en septembre. Qu'en attendez-vous concrètement?
F.M. Qu'il y ait une meilleure régulation du marché, que l'offre payante soit élargie, enrichie et que les internautes soient moins tentés d'aller vers les fichiers pirates. La Haute Autorité sera mise en place en début d'année. Notre texte, qui était considéré par certains comme un combat d'arrière-garde, commence à faire pas mal d'émules: les Anglais ont durci leur arsenal de lutte contre la piraterie en ligne et les Espagnols s'y mettent aussi. Mon but à moi, c'est que nous n'ayons pratiquement pas recours au volet répressif parce que le volet pédagogique de l'Hadopi aura joué pleinement son rôle.
RFI a connu cette année la grève la plus longue de son histoire. Après l'annonce de plus de 200 suppressions de postes, 270 salariés se sont déclarés candidats au plan de départs. Les syndicats évoquent un gâchis. Comment appréciez-vous la façon dont a été géré ce conflit ?
F.M. J'écoute souvent RFI comme je regarde Euronews. C'est un instrument irremplaçable pour avoir depuis Paris une fenêtre ouverte sur le monde. RFI avait été abandonnée et n'avait pas évolué suffisamment pour répondre aux défis lancés par le numérique ou pour s'adapter à la nouvelle donne géopolitique, qui nécessite par exemple de développer les langues vernaculaires en Afrique plutôt que certaines antennes en Europe de l'Est. Je sais qu'Alain de Pouzilhac et Christine Ockrent sont très attentifs aux ajustements indispensables à la relance de RFI et mon cabinet suit cela de très près. J'ai pleinement confiance dans la réforme qui est en cours pour redonner à notre audiovisuel extérieur tout son sens et son influence.
Les politiques sont de plus en plus exposés à la vidéo en ligne. Jugez-vous cela malsain? Quel usage les médias doivent-ils en faire?
F.M. Un usage réfléchi. Dès que je me déplace, il y a toujours une dizaine de portables qui me filment. Si on veut éviter la langue de bois, il faut s'interroger sur la manière dont on gère ces images. Il faut être aussi très attentif aux images sorties de leur contexte car il y a un risque évident de dérive vers une société du zapping.
Christophe Barbier a fait son mea culpa après le portrait que L'Express vous avait consacré en août. Pensez-vous, comme lui, que si les journalistes vous avaient interpellé sur les passages controversés de La Mauvaise Vie, cela aurait évité à Marine Le Pen de s'emparer du sujet ?
F.M. Je n'ai pas vu cela sous cet angle. Marine Le Pen a soulevé une polémique où les gens de bon sens n'avaient pas à aller. Dans ma vie, j'ai fait des films, des émissions et un livre très personnel. Lorsqu'on m'a proposé d'être ministre, j'ai dit que j'étais quelqu'un d'assez atypique. On m'a dit: on le sait. Peut-être que je me hausse du col mais je considère que je suis un artiste. Un artiste, on le prend avec ce qu'il a été en tant qu'artiste. Et j'estime avoir assez bien fait ma métamorphose. Je suis pleinement ministre de la Culture et de la Communication, enrichi de ce que j'ai fait dans le passé comme artiste. C'est parfois un peu douloureux de ne plus avoir le temps d'écrire mais l'action peut-être une autre forme d'œuvre d'art. Si je réussis, ce sera encore une création.
On parle de séparer le ministère de la Culture d'un secrétariat d'État à la Communication. Y êtes-vous favorable ?
F.M. Non, c'est une mauvaise idée. Intrinsèquement, les contenus et les contenants sont liés, et de plus en plus avec le développement du numérique. Quel est l'instrument culturel de chaque foyer où l'on peut dispenser le meilleur de la culture si ce n'est le téléviseur – ou maintenant l'ordinateur ?
Quel rapport avez-vous au numérique? Lisez-vous des blogs?
F.M. C'est un peu comme la musique: je l'adore mais l'écoute peu. Quand je rentre chez moi, je regarde la télé et je lis. Je n'ai pas le réflexe d'ouvrir mon ordinateur et j'écoute très peu la messagerie de mon portable.