Medias
Alors qu’Arnaud Lagardère semble se désintéresser des actifs qu’il ne contrôle pas, Vincent Bolloré monte en puissance dans les médias. Dans quel but ?

Décidément, on n'arrête pas de faire la fête chez Bolloré Média. Après les cinq ans de Direct 8 à l'Aquarium de Paris le 25 mars, ce sera au tour des 80 salariés de Bolloré Intermédia, la régie publicitaire du groupe, de festoyer au Bus Palladium, le 8 avril. Pour fêter quoi, au juste ? Bolloré Média, qui réunit des quotidiens gratuits et la chaîne Direct 8, perd encore quelque 35 millions d'euros sur un investissement de 75 à 80 millions d'euros.

Il n’empêche. Cette activité semble promise à un bel avenir. Direct 8, d'ores et déjà rentable au mois de mars avec 4,5 millions d'euros de recettes et 2,7% de parts d'audience dans l'univers TNT, prévoit d'arriver à l'équilibre avec un an d'avance, à la fin 2010. Et l'offre s'étoffera bientôt d'une nouvelle chaîne «à dominante musicale», Virgin 17, en passe d'être rachetée 70 millions d'euros à Lagardère.

Quant aux gratuits, qui totalisent désormais 1,3 million d'exemplaires, ils seront complétés avant l'été par un quotidien payant lancé au prix de 50 centimes d'euros. Son concept ? «No news, just views», clame Vincent Bolloré. L'industriel précise que la sortie de ce journal d'analyses, programmée pour l'automne, a dû être anticipée pour combler le manque de travail occasionné par le retrait de Direct Matin du Monde Imprimerie. Pas question de s'aliéner le syndicat du Livre et les éditeurs de quotidiens parisiens. Le journal payant, qui sera tiré à «400 000 ou 500 000 exemplaires», requiert un investissement de «15 millions d'euros».

Un développement régional figure également au programme : alors qu'il lancera à l'automne la télé locale Direct Azur, le groupe étudie une prise de participation dans les quotidiens gratuits de Sud-Ouest. Un groupe de presse régionale dont il pourrait assurer la recapitalisation en prenant un ticket d'entrée minoritaire de 30 à 50 millions d'euros.

 

«La presse quotidienne a beaucoup d'avenir»

 

«Nous estimons que la presse quotidienne gratuite ou payante a beaucoup d'avenir, contrairement à ce que l'on pense», a souligné Vincent Bolloré en présentant le 26 mars ses résultats financiers pour l'exercice 2009. Ces résultats témoignent d'une forte résistance à la crise puisque le groupe Bolloré dans son ensemble, qui affiche un chiffre d'affaires en forte baisse en 2010 (-17%, à 6 milliards d'euros), réussit l'exploit de quasiment doubler son bénéfice net consolidé, à 120 millions d'euros, malgré la baisse des prix dans la distribution d'énergie et la diminution de l'activité de fret dans sa branche maritime.

Car si Bolloré Média pèse très peu dans le chiffre d'affaires du groupe, plus de la moitié du résultat 2009 de l'empire familial (65 millions d'euros) provient de participations minoritaires du groupe dans la communication (Havas, Aegis, Euromédia Group). Quant aux recettes publicitaires, elles ont été aussi multipliées par près de deux en un an, à 45 millions d'euros.

Le pari n'est cependant pas encore gagné sur les activités de télévision et, surtout, de presse gratuite. «Je vous dis la vérité. On a des taux de négos défrayant toute concurrence. Si le brut payait pour le net, on ferait la conférence de presse au stade de France !», plaisantait Yannick Bolloré, le fils de «VB», devant les journalistes le 25 mars.

Reste que le groupe profite de l'augmentation de 5% assurée en 2009 aux recettes publicitaires nettes des gratuits d'information, selon l'Irep, grâce notamment au premier client de ses quotidiens, Havas Media. Un héritage de l'intérêt d'Havas pour la presse, selon Gaël Blanchard, patron d'Intermédia, qui précise que ses équipes visitent l'ensemble des agences médias.

Yannick Bolloré, le directeur général de Bolloré Média qui a été gratifié par son père du titre de «champion des médias», savoure en tout cas la montée en puissance de sa branche. Il vient d'acquérir les droits du XV de France de rugby pour Direct 8 et prévoit de lancer un studio de cinéma, en expliquant qu'il souhaitait soutenir des films d'un budget de 2 à 7 millions d'euros, sachant que le prix moyen de la fenêtre de cinéma a fortement augmenté pour sa chaîne: «De 6 000 euros à 80 000 euros pour le même film en trois ans».

Reste une question essentielle : pourquoi les médias ? Bolloré ne vit pas, comme Dassault, des commandes de l'État français. L'influence sur la classe politique n'apparaît donc pas déterminante, même si elle n'est jamais loin quand on a pour conseiller Alain Minc et qu'on invite Nicolas Sarkozy, tout juste élu à l'Elysée, sur son yacht.

L'investissement doit-il donc se comprendre par le souci de confier à son fils Yannick un domaine de chasse assez agréable pour y faire ses armes ? Mais l'héritage est loin, le départ du capitaine d'industrie est annoncé pour... 2022. Michel Calzaroni, son conseiller, insiste donc sur la valeur patrimoniale des médias et sur les marges qu'ils permettent de réaliser en vitesse de croisière. Les bons résultats d'Havas et d'Aegis, en période de crise, en témoignent. Quant à la presse et à la télé, «ils ont demandé en 2009 un investissement cinq fois inférieur à l'Afrique», souligne le patron du cabinet DGM.

 

Un relais d’opinion pour des projets verts et africains

 

L'Afrique ? Et si la clé de l'énigme se trouvait justement sur ce continent qui, comme le dit lui-même Vincent Bolloré comptera «2 milliards d'habitants en 2050, et a pour l'instant le PIB de la Belgique». Quand il imagine l'avenir, l'industriel évoque des voitures électriques à mâts avec des systèmes photovoltaïques et des batteries solides tout à fait adaptées aux pays africains.

Autant de domaines sur lesquels se positionne le groupe Bolloré, plus gros acheteur de fret maritime, qui accroît chaque année sa présence dans les ports africains. Mais pour réussir ce développement à long terme qui, rappelle-t-il, lui vaudrait l'éviction immédiate s'il ne disposait pas d'un actionnariat familial depuis cent quatre-vingt-huit ans, Vincent Bolloré doit pouvoir compter sur des leviers d'action dans l'opinion. D'abord auprès des décideurs africains qui ne sont influencés que par les hommes influents. Ensuite, auprès des pouvoirs publics et des consommateurs français, qu'il va bien falloir éduquer à la nécessité d'une révolution verte.

Vincent Bolloré est en effet à l'aube de la phase industrielle de son investissement dans la voiture électrique : un coût déjà estimé à 1 milliard d'euros, dont 250 millions à venir pour produire 10 000 modèles par an – et non plus 1000 – à partir de cet été. Le pari, très audacieux, peut se chiffrer «en pertes considérables» et implique une maturation rapide de l'opinion. «Cela coûte 300 millions d'euros de produire 15 000 voitures par an... Je dis cela pour les inquiets», lâche-t-il devant les analystes financiers.

D'où l'importance, par exemple, de diffuser un quotidien susceptible d'entretenir le débat sur l'environnement... Yannick Bolloré précise qu'il s'agit de refléter des opinions d'experts, non de donner l'opinion du groupe. Mais quand on l'interroge sur les thèmes qui seront abordés, c'est invariablement l'écologie qui est citée «avec Al Gore ou Yann Arthus Bertrand». Et si les médias fermaient la boucle d'un investissement à très long terme, et à contre-courant, dans la voiture électrique, la batterie solide et l'Afrique...

 

Vers un grand pôle rédactionnel « digital» web-télévisions-papier

 

À court terme, les médias de Bolloré vont commencer par organiser leurs rédactions afin de produire de l'information dans un «grand pôle digital». Le groupe, qui emploie déjà 80 journalistes, annonce sa volonté de lancer prochainement un journal télévisé sur Direct 8 tout en fabriquant des journaux gratuits.

Le quotidien payant ne nécessitera le recrutement que de vingt journalistes. Cette «cross-organisation» qui vise à mêler textes, images et vidéos semble avoir été dessinée pour la révolution numérique et les tablettes multimédias. Encore une longueur d'avance ?

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