cinéma
Une nouvelle superproduction américaine, Meet the Joneses, s'attaque aux nouvelles méthodes du marketing, qui avance de plus en plus caché. Sans vraiment atteindre son but, faute de réel discours critique vis-à-vis des marques.

Des escouades de jeunes femmes ont, au printemps dernier, investi les bars new-yorkais. Leur mission est simple: elles sont payées pour flirter. Sélectionnées pour leur physique agréable, elles sont chargées de parvenir à l'étape ultime avec leurs conquêtes: le moment fatidique où, la proie définitivement ferrée, elles leur tendent leur Blackberry Pearl afin que leur «prise» y entre son numéro de téléphone. Bien évidemment, le pauvre hère piégé par leurs appas peut attendre indéfiniment près de son téléphone: on ne le rappellera jamais. Car cette vaste opération de séduction est due au fabricant de téléphone Blackberry, qui entendait ainsi se donner une visibilité glamour, et est d'ailleurs resté relativement discret sur le dispositif.

En anglais, on appelle cela du «stealth marketing» ou marketing furtif. Ce merchandising en embuscade a inspiré le réalisateur Derrick Borte, pour le film La Famille Jones, sorti le 17 novembre en France et en avril aux États-Unis. L'intrigue: Steve Jones (David Duchovny), son épouse (Demi Moore) et leurs deux enfants emménagent dans une banlieue résidentielle. Dents blanches, cheveux brillants, allure irréprochable et électroménager dernier cri, cette famille ripolinée ne tarde pas à susciter l'envie chez leur voisin. Mais les Jones sont aussi artificiels que leur bronzage: ils sont employés par une mystérieuse firme qui les rétribue selon leur capacité à faire acheter à leurs voisins clubs de golf, plats préparés haut de gamme et autres produits cosmétiques. Le titre du film exploite un mécanisme humain vieux comme les Tables de la Loi: l'envie de son voisin. Il joue également sur une expression anglo-saxonne courante, «Keeping up with the Jones» [rivaliser avec le voisin], du nom d'une bande dessinée datant de 1916 qui montrait deux familles s'affrontant à coups de nouveaux achats.

Mais ce qui a surtout inspiré Derrick Borte, journaliste devenu réalisateur de publicité, puis de cinéma, c'est, comme il l'a expliqué dans le Guardian, qu'il «n'est pas indifférent au phénomène»: ses premières baskets, lorsqu'il avait sept ans, étaient une paire de Puma Clyde, repérées sur le garçon le plus cool de la cours de récréation. Mais le déclic a lieu le jour où il entend parler «de ces constructeurs immobiliers qui embauchent des acteurs au chômage pour vivre dans leurs maisons-témoins». Malin, grâce à son prétexte narratif, Derrick Borte fait le plein de placements de produits dans son film: Lacoste, Lexus… «Je voulais montrer de vrais produits afin d'être le plus réaliste possible», explique-t-il. Si nous avions utilisé de fausses marques, nous nous serions retrouvés dans l'univers du dessin animé…»

«Des marques ravies de participer»

Sans doute est-ce là que se situe le problème du film, qui a obtenu des critiques plus que mitigées outre-Atlantique. L'on y reproche à Derrick Borte d'avoir sabordé son sujet, faute de se montrer suffisamment incisif. «Une des meilleures idées de 2010, tant d'actualité, qui aurait pu être si brillante et qui est tellement massacrée que cela en devient douloureux à regarder», peut-on lire sous la plume du blogueur Josh Larsen (Larsenonfilm.com). «Le problème le plus patent avec cette critique du consumérisme par Borte, c'est que l'on imagine très bien les marques en train de faire la queue pour figurer dans le film», écrit Jeff Meyers, de Metro Times.

Pas très étonnant: on ne sent pas le réalisateur très à l'aise sur le sujet. «Beaucoup de marques haut de gamme étaient ravies de participer», lâche-t-il benoîtement. Pas de réel «Zeitgeist», ou de réelle vision dans ce film trop tiède. Il faudra encore attendre avant la sortie du nouveau Truman Show du marketing.

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