politique
Coprésident du directoire du Nouvel Observateur depuis le 1er mars, Laurent Joffrin revient sur l'affaire DSK et sur les leçons à en tirer sur le plan du fonctionnement des médias.

Y a-t-il eu une forme d'emballement médiatique sur l'affaire DSK?

Laurent Joffrin. L'emballement est légitime quand il concerne l'un des hommes les plus connus du monde qui se trouve mêlé à une intrigue policière et sexuelle. Il s'agit d'un événement à la fois ténébreux, troublant et spectaculaire. On ne pouvait pas en faire un traitement banal. Les journaux sont là pour informer les gens sur ce qui les intéresse. La presse américaine, qui donne toujours des leçons à la presse française, a été beaucoup plus violente que nous. Le New York Post, qui a titré «Le Perv» à propos de Strauss-Kahn, condamne maintenant la jeune femme avec une égale violence. Ce sont des méthodes de tabloïd que, fort heureusement, nous ne connaissons pas en France.

 

Le New York Times, qui a révélé le revirement de l'instruction, n'avait rien trouvé quand il avait réalisé une enquête sur la plaignante Nafissatou Diallo. Est-ce pour vous une faillite du journalisme d'investigation?

L.J. Non. Le journalisme d'investigation ne peut pas pratiquer les écoutes téléphoniques, fouiller dans les comptes bancaires ou convoquer les témoins et les faire parler. Tous les éléments qui sortaient tendaient à montrer que la jeune femme était crédible. L'accusation laissait filtrer les choses et la défense de Strauss-Kahn, pour des raisons tactiques, avait décidé de ne rien dire afin de garder ses munitions pour les audiences devant le juge. Dès lors, comment savoir qu'elle avait téléphoné le lendemain à un trafiquant de drogue?

 

La presse internationale a reproché aux journalistes français de ne pas avoir assez enquêté, avant l'affaire, sur la vie de DSK. Vous avez fait le 19 mai, sur France 2, votre mea culpa…

L.J. C'est vrai qu'on aurait probablement dû être plus net sur le comportement fantasque et bizarre de DSK. Il y a eu plusieurs bouquins qui racontaient cela. On aurait peut-être pu en faire plus. Le mea culpa portait sur une forme d'indulgence – qui n'est pas seulement celle de la presse – à l'égard de comportements un peu lourds et un peu méprisants pour les femmes. On a traité de la séduction «strauss-kahnienne» sous l'angle de l'indulgence amusée et ce n'était peut-être pas le ton adéquat.

 

N'y a t-il pas une accélération du temps médiatique qui s'est heurté au temps judiciaire?

L.J. C'est inévitable et c'est comme cela depuis l'affaire Dreyfus. Ce n'est pas nouveau, les agences de presse fonctionnent en continu depuis un siècle. Ça s'accélère car les moyens de diffusion sont beaucoup plus puissants, mais le temps de travail des journalistes n'a pas beaucoup changé.


Prenez-vous position sur un éventuel retour de Dominique Strauss-Kahn dans la course à l'élection présidentielle?

L.J. Oui, nous avons pris position, Jean Daniel et moi. Cela me paraît difficile, autant nous sommes contents s'il est innocenté. Cela signifiera que la justice américaine s'est trompée: elle a noirci Dominique Strauss-Kahn à loisir, elle a cru sur parole une jeune femme avant de s'apercevoir qu'elle n'était pas crédible. Un juge d'instruction, dans le système français, aurait sans doute été plus prudent. Maintenant, un retour est difficile car il y a eu une imprudence folle. Au mieux, il s'agit d'une relation sexuelle consentie. On dira que c'est la vie privée, mais cela signifie quand même qu'il s'est fait piégé. Dans cette hypothèse, il est tombé dans un piège sans prendre aucune précaution alors qu'il allait se présenter à la présidence de la République française. On a là un comportement paradoxal…

 

Mais s'il s'est fait piéger, peut-il être considéré comme responsable?

L.J. Oui, il est responsable de son imprudence.

 

Donc, forcément, là, vous entrez dans la chambre à coucher…

L.J. Dans tous les faits-divers, la presse parle de la vie privée des gens. Là, à moins qu'on démontre qu'il y eu un complot, il s'agit d'un fait-divers. Peut-être spectaculaire, international, politique, mais un fait-divers… Il y a eu plein d'avertissements donnés à DSK et il a quand même pris ce risque incroyable d'avoir cette relation dans cette suite du Sofitel. On a découvert aussi à cette occasion le rôle d'une partie de son entourage, qui n'est pas très enthousiasmant. Il y a là une manière de faire de la communication au lieu de faire de la politique qui est un peu agaçant…

 

Dominique Strauss-Kahn a été conseillé par Euro RSCG et par un homme, Ramzi Khiroun, qui est par ailleurs porte-parole du groupe Lagardère. Est-ce que cela pose problème?

L.J. En soi, non. Que les hommes politiques aient des conseillers, c'est normal. Mais il a été mal conseillé. Il y a un excès, voire des erreurs de communication par rapport au fond politique. Une partie de son entourage n'a pas été assez prudent, ne l'a pas protégé contre lui-même ou contre des pièges extérieurs. Et a été maladroit: l'histoire de la Porsche est un détail invraisemblable. Il s'agit de représenter la gauche française!

 

Prendrez-vous position à l'occasion des Primaires?

L.J. Non, Le Nouvel Obs ne va pas se mettre à la remorque d'un candidat. On se prononcera le moment venu.

 

La perspective de la présidentielle va-t-elle soutenir la diffusion d'un news magazine comme le vôtre en 2011? Depuis votre nouvelle formule du 5 mai, vous annoncez des ventes au numéro en hausse de 33%…

L.J. Oui, les premiers éléments que nous avons sur deux mois sont positifs, y compris pour les numéros magazine non liés à l'actualité. Et sur Internet, nous sommes montés en mai à 5,7 millions de visiteurs uniques. Nous avons embauché 6 à 7 personnes, fusionné les rédactions de façon à enrichir le site par les articles de la rédaction papier. Et nous avons créé une nouvelle plate-forme, Le Plus, qui a attiré 1,5 million de personnes en un mois et demi.

 

Le rêve est-il de faire un équivalent du Huffington Post?

L.J. Oui, c'est un peu la même formule. L'idée est d'avoir des contributions sélectionnées. Chaque article mis en ligne est parrainé par un journaliste du Nouvel Obs qui choisit ce qui lui paraît le plus intéressant de manière à assurer une exigence.

 

Claude Perdriel a pris une participation de 3% dans Rue 89. Pensez-vous que le rôle du Nouvel Obs est d'accompagner ce site dans son développement?

L.J. Pourquoi pas. On va étudier les possibilités de partenariat sur le Web.

 

Quid des synergies envisagées avec Libération?

L.J. Edouard de Rothschild, qui a un sens très développé de l'autonomie, n'a pas donné suite.

 

Dans l'éditorial de la nouvelle formule, vous a avez écrit la «gauche molle se rebiffe». En quoi?

L.J. Sur le fond, nous sommes plus nets, plus polémiques dans nos prises de position. Je pense à l'affaire Ferry par exemple. Au-delà, nous essayons d'animer le débat à gauche, plus qu'on a pu le faire jusqu'à présent. Par exemple, nous avons fait deux journées à Strasbourg sur le thème «100 idées pour la France», qui ont réuni 15 000 personnes. Il s'agit de donner à la campagne présidentielle une base d'idées et de propositions. Nous sommes un journal de gauche, il n'y a pas de question là-dessus. On a pu dire qu'il y avait des ambiguïtés auparavant mais il n'y en a plus. D'une gauche réformiste, moderne et ouverte, qui n'hésite pas à dire quand Sarkozy prend des mesures positives. Avant d'être un journal engagé, le Nouvel Obs est libre, y compris vis-à-vis de ses propres convictions. Et s'il y a des informations désagréables pour la gauche, comme à la relation difficile entre Aubry et Hollande, tant pis!

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