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Au Mexique, le gouvernement du président Felipe Calderon finance des séries faisant l'apologie de sa lutte contre les narcotrafiquants. Une instrumentalisation contestée.

Une petite interview peut déclencher une tempête: l'actrice mexicaine Cecilia Pineiro a révélé le mois dernier le tournage d'une fiction à la gloire de la Marine nationale de son pays. Soldats, hélicoptères, porte-avions... L'armée ne lésinerait pas sur les moyens offerts à cette superproduction, baptisée La Teniente(La Lieutenant), qui vante les exploits d'une gradée plantureuse, membre d'une unité spéciale combattant avec panache le narcotrafic maritime. Produite par le géant de l'audiovisuel TV Azteca, cette série télévisée de vingt-quatre épisodes sera diffusée l'année prochaine en prime time, juste avant l'élection présidentielle mexicaine de juillet 2012. Ces révélations provoquent une levée de boucliers dans un pays, où le gouvernement finance des fictions faisant l'apologie de sa lutte contestée contre les cartels de la drogue.

 

En mai, une précédente série sur la police a été financée à hauteur de 7 millions d'euros par le ministère de la Sécurité publique. Produits et diffusés par le groupe Televisa, concurrent de TV Azteca, les quinze épisodes d'El Equipo (L'Équipe) mettaient en scène les prouesses de flics d'élite incorruptibles face au crime organisé. «Une utilisation illégale de fonds publics à des fins de propagande», dénonce Leticia Quezada, députée du Parti de la révolution démocratique (PRD, opposition). D'autant que la police a fourni gracieusement ses équipements, ses hommes et ses infrastructures aux besoins de la production. L'équipe de tournage a même eu accès à des lieux confidentiels, comme le bunker protégeant les systèmes de renseignement du pays.

 

«Ces séries visent à redorer le blason de l'armée et de la police, accusées de mettre le feu aux poudres», explique José Carreño Carlon, spécialiste de la communication politique à l'université Iberoamericana. Les journaux mexicains affirment que la guerre des cartels entre eux et contre le gouvernement aurait fait 48 000 morts depuis que, fin 2006, 50 000 militaires ont été déployés sur le territoire.

 

En face, Jose Luis Vergara, porte-parole de la Marine nationale, assure que «La Teniente ne dispose pas de fonds publics, juste du personnel et des infrastructures de l'armée.» À quoi Leticia Quezada rétorque: «C'est quand même un détournement de ressources humaines et matérielles publiques.» Fin août, l'élue a sollicité une enquête et déposé une plainte contre le ministre de la Sécurité publique, Genaro Garcia Luna, pour utilisation illégale de fonds publics.

Le premier policier du Mexique, qui a son propre personnage dans la série El Equipo, est déjà accusé de plusieurs montages médiatiques. En tête, la mise en scène le 9 décembre 2005 de l'arrestation de la Française Florence Cassez, condamnée à soixante ans de prison pour enlèvement. L'an dernier, la justice mexicaine a reconnu qu'il y avait eu reconstitution médiatique le lendemain de son interpellation. L'affaire a engendré une crise diplomatique entre la France et le Mexique.

 

«Au final, toutes ces productions propagandistes, réalisées avec la complicité du duopole audiovisuel, Televisa-TV Azteca, se révèlent contreproductives auprès de téléspectateurs qui ne sont pas dupes», analyse José Carreño Carlon. Pour preuve, le premier épisode de la série El Equipo a affiché une audience de 15,4%, selon l'institut Ibope Agm, contre 20,3% pour La Reina del Sur (La Reine du Sud), une fiction tirée du roman d'Arturo Perez Reverte relatant, à la même heure sur une autre chaîne, les aventures d'une narcotrafiquante. Entre flics et voyous, les téléspectateurs ont fait leur choix.

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