La place de la musique à la télévision reste un sujet compliqué. Noyés dans le divertissement ou le télé-crochet, les artistes ont de moins en moins de fenêtres d’exposition sur le petit écran.

Le Midem 2012, du 28 au 31 janvier, sonne le rappel annuel cannois pour toute la filière musicale. Cette année, il y aura un invité de marque: Rémy Pflimlin, le président de France Télévisions. Une première. En effet, le Palais des festivals faisant traditionnellement la part belle aux antennes privées TF1 et NRJ via la cérémonie des NRJ Music Awards, le service public donnait jusque-là dans la discrétion.

 

Mais les temps changent, et un déjeuner avec la presse est notamment prévu le dimanche 28 janvier. «Nous serons au Midem pour dire aux professionnels de la musique ce que l'on fait et qu'on réfléchit à des plateformes nouvelles. Nous sommes ouverts aux idées», explique Nicolas Auboyneau, directeur de l'unité de programme musique et spectacle vivant du groupe public (lire l'interview ci-dessous).

 

Une démarche d'ouverture qui découle de l'annonce faite, mi-janvier, par France Télévisions du lancement d'une plateforme Internet consacrée à la diffusion de spectacles vivants (concerts, opéras, pièces de théâtre, danses...) à la fin de l'année.


Une nouvelle tentative d'évacuation de la musique à l'antenne, cette fois-ci vers le Web?, s'interrogent déjà certains sceptiques. Il est vrai que France Télévisions a beau arguer de diffuser 2 000 heures de musique par an sur ses différentes antennes, les grilles semblent de plus en plus se résumer à la portion congrue en termes de programmation musicale.

 

L'indétrônable Taratata de Nagui est abonné à la troisième partie de soirée de France 2, après l'abandon de sa diffusion sur France 4 en septembre dernier. Le tardif «live» de Ce soir ou jamais n'est plus qu'hebdomadaire sur France 3. Le très court format CD d'aujourd'hui se glisse, lui, à 17h50 sur France 2.

 

Au second semestre 2011, deux magazines musicaux ont, toutefois, fait leur apparition sur le service public: Planète musique mag, le samedi à 10h50 sur France 2, et Monte le son! sur France 4, diffusé le mercredi à 23h30 sur France 4.

 

Néanmoins, ces petites plages consacrées aux artistes ne pèsent pas lourd. «Il n'y a plus aujourd'hui à la télévision publique aucune prime à la nouveauté et à la découverte. La grande majorité des programmes diffusés ne fonctionnent que sur le recyclage et le succès consacré, estime le journaliste Didier Varrod, animateur sur France Inter et auteur de nombreux documentaires TV sur des artistes.

 

«Pour moi, poursuit-il, le combat de la création musicale à la télévision publique est perdu. Je n'y crois plus. Mais le diffuseur n'est pas le seul responsable. Pour que les choses évoluent, il faudrait également une volonté gouvernementale mais les promesses ne sont jamais suivies d'effets.»

 

Un constat partagé par les maisons de disques, qui regrettent la disparition progressive des fenêtres d'exposition télévisuelle pour leurs artistes. Car la musique reste un sujet compliqué au-delà du service public.

 

Une «patate chaude», même, que se renvoient patrons de chaînes et directeurs de programmes actionnant toujours le même argument: la musique est désormais partout à la télévision. Dans la bande-son pointue d'un magazine de décoration ou de football. Dans un télé-crochet comme The Voice, à l'antenne sur TF1 fin février-début mars. Ou encore dans un divertissement-nostalgie, comme le prochain A la recherche du nouveau Claude François sur W9.

 

Noyer la musique dans le divertissement est, pour les patrons de chaînes, un moyen de lutter contre le principal écueil des magazines musicaux classiques (interviews d'artistes, prestations «live» et captations de concerts): une audience faible. «La musique à la télévision ne se consomme pas comme à la radio. Les téléspectateurs ne cherchent pas la musique en soirée par exemple», souligne Frédéric de Vincelles, directeur général de W9.

 

«Pour moi, le format "promo" de l'interview d'artiste a vraiment vécu. Il faut proposer autre chose, comme le mélange de la musique et de l'humour, pour intéresser le télespectateur», estime Thomas Vandenberghe, humoriste et animateur de Planète musique mag.

 

Même sentiment chez l'artiste Tété, qui a coanimé avec André Manoukian sur France 5 le programme Tété ou Dédé: «L'émission développait une double approche, celle de rencontres permettant de raconter l'histoire d'un pays et de sa musique.»

 

Côté mise en images et réalisation, la musique à la télévision ne doit pas être traitée à la légère. «Dans ce type de programme, il faut privilégier la qualité de la production, comme le travail que nous réalisons sur l'émission musicale Talent tout neuf, diffusée sur W9. Cette recherche sur l'image et le son, c'est aussi ce qui peut faire la différence entre la TV et le Web», ajoute Eric Newton, fondateur de la maison de production Home.


Même volonté du côté de Canal+: «La musique draîne certes un public segmenté mais celui-ci est ciblé. C'est pour cela qu'il faut la proposer dans des bonnes conditions de son et d'image pour séduire le télespectateur», estime Stéphane Saunier, directeur de la musique sur la chaîne cryptée.

 

Programmateur de La Musicale et de L'Album de la semaine, celui-ci mise sur un autre credo pour la télévision: «Avoir des artistes que l'on ne voit pas ailleurs et avant tout le monde.» Une plus-value pour séduire les abonnés de la chaîne cryptée.

 

Toujours sur Canal+, Le Grand Journal est également devenu un des rendez-vous cathodiques les plus courus par les maisons de disques et leurs artistes. Une émission à la programmation musicale bien définie (coloration rock-pop-électro), devenue très prescriptrice. Changeant toutes les semaines, le «jingle» de l'émission précédant la coupure publicitaire - le «coming-next» - joue aussi un rôle de défricheur de talents et déclenche aussitôt des ventes sur iTunes.

 

Paradoxalement, c'est également la synchronisation des spots publicitaires qui est venue prendre le rôle de découvreur à la télévision. Et le constat est le même: la diffusion d'un titre musical dans une publicité à la télévision a aujourd'hui un impact sur les ventes de disques et la notoriété des artistes.

 

Dans ce décor, le glissement de l'écran TV à celui du Web n'est pas forcément une mauvaise réponse pour les chaînes. Désormais, la jeune génération se sert d'Internet pour découvrir de nouveaux talents, les titres et les clips de leurs artistes préférés. En France, des blogs comme Fubiz atteignent des audiences proches des 4 millions de pages vues chaque mois.

 

C'est fort de ce constat qu'Arte a développé, en 2009, une plateforme Internet pour la diffusion de spectacles vivants, Arte Liveweb (350 000 visites par mois). Début 2012, la chaîne franco-allemande en est à présent à une autre étape: comment renforcer les liens antenne-Web? Ou comment transformer une idée née sur le Web en programme de flux?

 

«Nous sommes en pleine réflexion sur le 'live' à la télévision. Certaines émissions Web pourraient passer à l'antenne d'ici peu», explique Emelie de Jong, directrice de l'unité Arts et spectacles d'Arte France.

 

Dans sa nouvelle grille de programmes, qui a signé la fin de l'émission One Shot Not, Arte a imaginé à l'antenne des dimanches après-midi culturels qui vont faire la part belle aux documentaires «musicaux». Une nouvelle fenêtre qui vient s'ajouter à des marques médias déjà fortes, comme les émissions Tracks ou Maestro.


Le Web, c'est aussi la réponse de Pascal Nègre, patron d'Universal Music, au manque d'exposition de ses artistes à la télévision. Il y a un an pile, il lançait la Web-TV Off TV (diffusée depuis sur la Neufbox de SFR).

 

Aux manettes de la chaîne Internet aux côtés de Thomas Leroy, William Rejault a le sourire à l'heure du premier bilan. «Nous n'avons qu'une ligne éditoriale, celle de nous amuser et d'oser en termes de réalisation. Nous avons maintenant la confiance des artistes maison», confie le rédacteur en chef d'Off TV. Le cercle est devenu vertueux: la Web-TV commence à revendre régulièrement des sujets aux journaux télévisés... mais également aux marques.

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