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Le séminaire annuel des dirigeants de Vivendi, qui s'ouvre le 22 juin, est particulièrement corsé. Au programme: faut-il se délester de certains actifs pour se renforcer dans les télécoms?

Sur le blog CFE-CGC des salariés de Canal+, la prose syndicale a un avant-goût de villégiature au bord d'une mer d'huile. On y raconte que les barons de l'empire Vivendi «ont choisi cette année le bleu calme de la Méditerranée pour valider une stratégie et surtout définir le “bon” périmètre du groupe». Le calme avant la tempête? Lors d'un séminaire annuel, qui se déroulera du 22 au 24 juin en Corse, les dirigeants du groupe ont prévu de passer au peigne fin les actifs de Vivendi.

A vrai dire, nul ne s'attend à l'annonce de combats homériques ou à de redoutables assauts contre des forteresses… «Il ne se passera rien avant les avis de l'Autorité de la concurrence sur Canal+, en juillet, [fusion TPS-Canalsat et rachat de Direct 8 et Direct Star] et l'éclairage de Bruxelles sur le rachat d'EMI, attendu à l'automne», confie un proche de Jean-Bernard Lévy, le président du directoire de Vivendi.

Mais Jean-René Fourtou, le président du conseil de surveillance, a prévenu: il s'agit de «“challenger” notre périmètre, notre stratégie» et il n'y aura «aucun tabou» sur les remèdes à employer pour obtenir une meilleure valorisation de l'action. Tombé à 13 euros, le titre est à son niveau d'il y a dix ans, au moment de la chute de Jean-Marie Messier (J2M). L'explication tient à la fameuse «décote de holding», ce cauchemar des conglomérats qui constatent que la valeur de l'ensemble est inférieure à la somme des parties (SFR, Canal+, Universal Music, Activision Blizzard…).

Dans le cas de Vivendi, cette décote serait de 32%, selon une note d'analyse de Natixis du 8 juin. Ennuyeux pour des mandataires sociaux qui comptent sur leurs stock-options. En 2010, ils se sont partagés 110 000 actions et 27 millions d'euros de rémunération. Jean-René Fourtou, qui avait été appelé à la rescousse en juillet 2002 pour sauver le groupe et ne dispose pas de parachute doré, n'hésite plus désormais à gamberger par écrit.

Dans une lettre aux actionnaires, coécrite le 27 mars avec Jean-Bernard Lévy, il s'interroge: «Faut-il garder le périmètre du groupe tel qu'il est? Faut-il vendre des activités ou séparer le groupe en deux, voire trois?» Rien ne semble exclu. C'est bien le sens du séminaire corse qui doit fixer la feuille de route des prochaines années.

Des actionnaires mécontents

Il n'existe en réalité qu'un seul tabou: jeter à bas la stratégie telle qu'elle a été définie depuis dix ans. En s'appuyant sur des activités télécoms, de médias, de musique et de jeux, elle vise à jouer sur l'intégration numérique qui rapproche contenants et contenus afin de constituer un géant de «l'entertainment». Dans leur lettre, les deux dirigeants contestent ainsi que Vivendi soit «un portefeuille d'activités sans relation les unes avec les autres».

Pourtant, ce discours séduit de moins en moins les analystes financiers qui cherchent parfois les synergies entre des activités éparses et pas toujours aussi profitables. Quoi de commun entre les marges d'exploitation des groupes Canal+ (14,6%) ou Universal Music (10,6%) et les pépites Maroc Telecom (39,8%), Activision (29,5%) et le groupe brésilien de télécoms GVT (27,4%)? La fameuse convergence, chère à J2M, ne suffit plus à emballer la Bourse.

D'autant que l'horizon, en France, s'assombrit. En plus de taxes qui s'alourdissent, SFR subit depuis le 1er janvier la rude concurrence de Free (même s'il affirme qu'il compte de moins en en moins de désabonnements). Un plan de départs doit être annoncé avant la mi-juillet (lire page 38). Le groupe Canal+, lui, voit monter la menace Al Jazira, qui a récupéré une partie des droits du foot jusqu'en juin 2016 pour lancer Be in sport. Et l'on sait que le groupe quatarien peut piocher dans ses réserves pour faire main basse sur la totalité de la Ligue 1.

«Le titre Vivendi a nettement sous-performé le marché depuis un an, –29 points versus secteur médias, indique Oddo Securities, dans une note du 15 mai. Ceci est notamment dû aux pressions sur les télécoms [réglementation + arrivée d'Iliad] et au durcissement fiscal en France, et à l'intensification de la concurrence sur la télévision payante.»

D'où la critique, qui commence à fleurir, que Vivendi n'a pas toujours réalloué son cash là où il fallait. Plutôt que d'acheter EMI et accroître ainsi un endettement conséquent (12 milliards d'euros en 2011), n'eut-il pas mieux valu s'employer à renforcer SFR face aux coups de boutoir de Free?

Chez les porteurs d'action, le mécontentement est d'autant plus réel que l'acquisition des 44% de Vodafone dans SFR était destinée à renforcer le dividende. En réalité, Jean-Bernard Lévy a annoncé en début d'année que ce dernier tombait de 1,40 à 1 euro par action et qu'il était gelé jusqu'en 2014.

Pour réduire la décote de holding, les analystes tablent donc sur une cession de pans entiers de Vivendi. A la suite de l'agence Bloomberg, qui a annoncé la vente de la participation de 61% dans la branche jeux Activision Blizzard (ce qui lui vaut une saisine de l'Autorité des marchés financiers pour manipulation de cours), certains jugent «crédible» le «scénario d'un recentrage sur les télécoms». C'est le cas de Natexis. Compte tenu de la dette, il est impossible de réaliser de grosses acquisitions, estime Jérôme Bodin, son analyste, Vivendi ne pouvant sortir que «quelques centaine de millions d'euros». Or, de l'argent, l'état-major de Vivendi va en avoir besoin s'il veut réaliser son rêve: se consolider dans les télécoms, aux marges luxuriantes dans les pays émergents. «Dans un certain nombre de pays, on observe une concentration, car un trop grand nombre d'opérateurs nuit à l'intérêt général», a déclaré Jean-Bernard Lévy la semaine dernière au Forum du Net des Echos.

Selon nos informations, des contacts auraient été pris avec Bouygues Telecom pour voir s'il est possible de se dessiner un avenir commun dans un contexte d'investissement à long terme sur la 4G. Peut-on imaginer une montée progressive de SFR dans le capital de Bouygues Telecom? Cela fera partie des sujets d'étude du séminaire.

Bolloré bientôt incontournable

Reste à éclairer l'avenir de Canal+. Même s'il perd les droits du football en 2016, le groupe peut survivre en renforçant encore sa création originale à la façon de HBO. Mais il verrait avec hantise une Autorité de la concurrence les contraindre à séparer ses activités d'édition (Canal+) et de distribution (Canalsat), à renoncer à l'autodistribution (la maîtrise de ses abonnés sur l'ADSL, où il recrute le plus), ou enfin à n'acheter de droits que pour le seul satellite. Pour se renforcer dans les télécoms, le groupe Canal+ serait donc, tout comme Activision ou même Universal-EMI, un actif de poids en cas de cession par appartement.

En pareil cas, Vincent Bolloré, qui s'apprête à entrer au conseil de surveillance de Vivendi et à en devenir le premier actionnaire avec près de 5% du capital, deviendrait vite incontournable. Celui qui est aussi le beau-frère de Gérard Longuet, l'ex-ministre de l'Industrie dans le cabinet duquel officia un certain Jean-Bernard Lévy, devrait alors déterminer sa stratégie. Apporter Havas à Vivendi dans l'optique de peser davantage? Ou reprendre le groupe Canal+ pour sa descendance? Gageons que l'ex-raider a déjà son idée sur la question…

 

 

Sous-papier

Mésentente au sommet à Canal+

Comme dans Les Trois Mousquetaires, on trouve au sein de Vivendi les hommes de la reine légitime et ceux du cardinal qui gouverne le royaume. Chacun «œuvre» en fonction de ses intérêts. Côté Canal+, qui revendique depuis toujours un statut royal, on reproche aux hommes gris de la holding de n'être que l'émanation d'un syndic de faillite, nommé au départ pour vendre des actifs au plus offrant. Toute tentative de Vivendi d'introduire de l'autorité est très mal vécue, comme lorsque Jean-Bernard Lévy a nommé il y a deux ans une directrice de l'innovation avec laquelle Bertrand Meheut, le patron de Canal+, ne s'est pas entendu.

Sortie ratée

Côté Vivendi, on ne se prive pas de dire que ce dernier est un redresseur et non un développeur, et qu'il pêche par arrogance, comme lorsqu'il s'est qualifié fin mars dans Le Nouvel Obs de «mâle dominant» du paysage audiovisuel français: des propos qui ne pouvait qu'inciter l'Autorité de la concurrence à en rajouter dans ses exigences vis-à-vis de Canal+. Qui plus est, Jean-Bernard Lévy se serait montré passablement irrité de constater que Bertrand Meheut avait confié le dossier chargé de défendre son groupe à l'avocat Pascal Wilhem, aujourd'hui impliqué dans un conflit d'intérêt avec Stéphane Courbit et un éventuel «abus de faiblesse» sur Liliane Bettencourt.

Au-delà, c'est toute la gouvernance du groupe qui est fragilisée. Le patron de Canal+ a raté sa sortie depuis qu'il a brigué sans succès la présidence de SFR, que Jean-Bernard Lévy a préféré confier à Michel Combes. «Depuis, Meheut est en plein rétropédalage et son numéro deux, Rodolphe Belmer, a été sommé de rester dans sa cage en attendant qu'il trouve quelque chose», confie un cadre de Canal+. Jean-René Fourtou, de son côté, aurait demandé au duo de Canal+ de faire affaire s'ils voulaient durer… Mais il n'est pas sûr que Meheut se contente de la présidence du conseil de surveillance à la fin 2013.

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