numérique
Richard Stallman, l'un des papes du logiciel libre, était de passage à Paris fin juin pour parler libertés individuelles et droits de l’homme. Il voit avec méfiance la géolocalisation, les réseaux sociaux et les autres déclinaisons de la société numérique.

Et si notre «société digitale», qui nous offre de plus en plus de moyens d'interagir avec les autres, entre smartphones perfectionnés, médias sociaux à foison et services s'appuyant sur la géolocalisation, restreignait nos libertés individuelles? C'est la thèse de Richard Stallman, figure quasiment mythologique du Web, fondateur du mouvement du logiciel libre en 1983, créateur du système d'exploitation GNU, de la Free Software Foundation, et promoteur infatigable du logiciel libre. Il était à Paris le 28 juin, à l'occasion d'une conférence organisée par Reporters sans frontières (RSF), l'agence Limite et la Fédération internationale des droits de l'hommes (FIDH) sur le thème «Logiciels libres et droits de l'homme». Entretien.

 

Vous parlez beaucoup de société digitale libre. Avec les médias sociaux et les services liés à la géolocalisation, jamais les individus n'ont eu autant de moyens d'interagir les uns avec les autres. Est-ce au détriment de la protection de notre vie privée?

Richard Stallman. Je n'ai pas de téléphone portable, je n'utilise pas de réseaux sociaux. En tant que militant, je rejette les services qui m'offrent quelques commodités au détriment de ma liberté individuelle. Le téléphone portable peut être un outil de surveillance. Prenez ce militant allemand [Malte Spitz, un responsable des Verts] qui a demandé à son opérateur de voir ses données de géolocalisation mobile: ce dernier avait collecté 35 000 positions en six mois! On peut comprendre toute la vie de quelqu'un à partir de ses positions géographiques. A côté de cela, les nouveaux droits de l'homme passent par un contrôle par chacun de l'informatique, la possibilité de modifier des logiciels en accédant à leurs codes-sources.

 

Vous ne semblez par ailleurs pas beaucoup apprécier l'écosystème «fermé» d'Apple…

R.S. Oui, je vois que vous avez un «Ithing» [il pointe du doigt en souriant notre Iphone]. Comme l'«Ibad» [Ipad], il symbolise la privatisation de l'ère numérique. L'Iphone comporte des fonctionnalités de surveillance pour restreindre l'utilisateur, comme la géolocalisation. D'ailleurs, ne dit-on pas que l'on peut «jailbreaker» un Iphone, soit rompre les manettes… Le système d'exploitation (OS) d'Apple est injuste, car il emprisonne l'utilisateur dans un système d'applications mobiles propriétaires, je dirais «privatif» plutôt que fermé.

 

Google a conçu un OS basé sur un logiciel libre, Android. N'est-ce pas une juste alternative?

R.S. C'est compliqué, car Android pose sur un code-source publié comme un logiciel libre, avec le noyau Linux. Tout le reste d'Android est sous une licence très faible et modifiable. Mais Android ne fonctionne pas sans certains programmes «privatifs». Or un logiciel libre dans un environnement qui ne l'est pas ne protège pas des logiciels «malicieux» qui pourraient porter atteinte à nos libertés fondamentales.

 

Que pensez-vous du mouvement en faveur de l'«open access» (ouverture des données à tous)? C'est une nouvelle forme de bien commun, dans la lignée de l'«open source»…

R.S. L'«open data» peut être positive pour en savoir plus sur les activités de l'Etat, dans l'idée d'une certaine transparence. Elle peut aussi être utile pour élaborer de nouveaux types de services, du côté des collectivités locales ou des sociétés de transports publics. Avec, par exemple, une application mobile qui donne l'heure et le lieu de passage du prochain bus. Mais ce n'est pas un bien durable, ni très important, contrairement aux logiciels libres, qui peuvent être utilisés et réécrits durant des décennies.

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